Actualités Orthophoniques Mars 2003 (volume 7, n°1)
Le présent article a 2 objectifs : faire le point sur l’évolution des principaux modèles explicatifs du développement de la communication chez l’enfant et proposer une conception écologique de l’intervention en orthophonie.
• Evolution des principaux modèles explicatifs du développement de la communication chez l’enfant
* Modèle béhavioriste ( Skinner 1957)
Le développement du langage repose sur l’imitation par l’enfant des modèles qui lui sont proposés dans son environnement ; le langage serait donc un comportement appris, résultant des antécédents et conséquents du comportement langagier.
L’intervention orthophonique vise à favoriser le modelage des réponses de l’enfant ; ce type d’intervention a été particulièrement utilisé auprès d’enfants déficients intellectuellement .Mais ce système a des limites car il favorise essentiellement un apprentissage de surface avec des difficultés pour généraliser et il tient plus compte de l’expression du langage que de la compréhension.
* Modèle linguistique ( Chomsky)
Chomsky montre que l’enfant n’imite pas vraiment quand il apprend à parler mais qu’il dispose de règles grammaticales innées ; il apprend à parler en formulant des hypothèses sur les règles grammaticales à partir d’un ensemble d’exemples entendus de façon régulière. Puis il teste ces hypothèses en les utilisant. Chomsky postule également que les diversités entre les langues sont seulement de surface, les principes sous-jacents étant uniformes ; il s’agirait donc d’une grammaire universelle.
L’évaluation orthophonique s’inspirant d’un tel modèle vise à mettre en lumière la grammaire sous-jacente de l’enfant, c’est à dire sa connaissance des règles du jeu ; l’intervention porte sur les règles grammaticales non apprises par l’enfant . Ce modèle est plus ou moins utile pour expliquer le développement normal de l’enfant car il découle d’une grammaire adulte imposée aux enfants ; il ne fournit pas d’information sur la période prélinguistique qui n’est pas considérée comme essentielle au développement de la communication.
* Modèles psycholinguistiques
Ces modèles découlent d’une reconnaissance de l’importance du sens du langage dans la communication et ce, au-delà de la forme qu’il revêt ; Bloom s’intéresse à une analyse sémantique du langage de l’enfant allant au-delà des mots pour atteindre le sens. La sémantique serait une façon de représenter l’expérience vécue dans l’environnement et les règles sémantiques seraient universelles et représenteraient un patron général de développement cognitif.
Dans le cadre d’une évaluation orthophonique s’appuyant sur ces modèles, l’intervenant cherche à analyser non seulement la structure du langage mais aussi le contenu véhiculé par les énoncés produits ainsi que le but que l’enfant cherche à atteindre en s’exprimant.
L’intervention, si elle est nécessaire, portera tout d’abord sur le développement des prérequis cognitifs servant de base à la construction des règles sémantiques puis sur leur forme et leur utilisation.
* Modèles du traitement de l’information
Les tenants de ces modèles soutiennent qu’il n’y a peut-être pas de bases spécifiques à la structuration des phrases ; ces modèles peuvent être centrés sur l’étude de processus en série ( le langage étant une séquence d’étapes cognitives successives et séquentielles) ou plus récemment, en parallèle ( l’information) à l’entrée du système, est distribuée à plusieurs n?uds dans le cerveau qui, activés de façon parallèle, permettent le processus langagier.
Le but de l’évaluation selon ces modèles est de générer des hypothèses sur l’activité du cerveau de l’enfant, notamment du traitement de l’information lors de tâches structurées ; l’intervention dans cette optique consiste à fournir à l’enfant de quoi faire de nouvelles connections linguistiques et non linguistiques. Ce genre d’optique mène le plus souvent à une intervention intensive centrée sur une capacité faible , mais souvent éloignée du discours naturel.
* Modèle cognitiviste
• Il découle essentiellement des travaux de Piaget pour qui le langage est une manifestation d’une fonction symbolique unique et générale, elle-même reflet de processus cognitifs développementaux plus généraux encore. L’enfant développe son langage au fur et à mesure qu’il peut comprendre les aspects du monde dont parlent les adultes qui l’entourent et incorporer des éléments extérieurs comme outils et symboles dans ses schèmes sensorimoteurs.
• Cette conception du langage permet d’utiliser des échelles développementales pour évaluer le langage et le fonctionnement cognitif de l’enfant.
L’intervention prend appui sur le niveau de développement global de l’enfant à un point donné dans le temps et se centre sur les prérequis à la communication.
* Modèle socio-interactionniste
Ce modèle est centré sur le transfert d’information plus que sur la structure langagière ; il a été expliqué par Vygotsky qui considère les outils et symboles utilisés par les adultes, comme éléments externes que l’enfant incorpore dans ses interactions avec l’environnement. Vygotsky s’intéresse aux fonctions sociales et communicatives du développement du langage plus qu’aux structures langagières.
Bruner a insisté sur l’importance de l’interaction parent-enfant dans le développement de la communication de ce dernier ; l’acquisition du langage devient un processus social où l’enfant apprend d?abord les règles du dialogue avant celles de la syntaxe ou de la sémantique. La communication est essentiellement expressive et affective .
L’évaluation qui découle de ce modèle vise à investiguer la motivation de l’enfant à communiquer et à cerner ses capacités d’adaptation dans différents contextes et avec divers partenaires de communication.
L’intervention vise à aider l’enfant à communiquer correctement mais aussi à interpréter correctement ce qui se passe autour de lui.
* Modèle systémique dynamique
Il fait suite à la conception interactionniste et s’appuie sur le constat que chaque étape du développement de l’enfant dépend des étapes précédentes et conditionne les étapes suivantes ; des changements dans un domaine de développement peuvent entraîner un changement du système entier ; c’est ainsi que le développement de la communication peut être provoqué par des changements au niveau moteur, dans l’environnement de l’enfant ou dans son comportement ; inversement, la communication peut conduire à des progrès dans d’autres domaines du développement.
Le but de l’évaluation est de faire l’état des habiletés langagières de l’enfant à partir des différents systèmes en développement. L’intervention proposée va chercher à faire évoluer les différents domaines d’acquisition, un changement dans un domaine entraînant un changement dans un autre domaine.
Le développement de ces différents modèles explicatifs du développement de la communication chez l’enfant met en lumière l’importance l’environnement de l’enfant
( facteurs relationnels, sociaux) , la qualité de l’interaction parent-enfant et la complexité du processus en cause.
2) Vers un modèle écologique de l’intervention orthophonique
Ce modèle ( Bronfenbrenner-1979) vise à rendre compte de la nature des interactions complexes entre l’individu et son environnement ; il étudie le développement humain avec les interactions des divers composants.
L’évaluation qui s’appuie sur ce modèle prend comme point de départ l’enfant placé dans son environnement ; on étudie le divers facteurs relatifs à l’enfant ( biologiques, cognitifs) , puis ses besoins, les facteurs de risque selon l’environnement ou l’enfant lui-même ; la collecte des données se fait à l’aide de tests, d’observations, sur l’enfant et son environnement ; on parvient ainsi à une compréhension exhaustive du développement de la communication de l’enfant, à partir de laquelle on peut élaborer des hypothèses de travail.
L’intervention orthophonique cherchera alors à créer des conditions écologiques favorables pour la poursuite du développement de la communication de l’enfant en développant ses compétences et sa participation dans son quotidien. Cette intervention sera multidimensionnelle ( individuelle, familiale ou de groupe) ouverte sur d’autres disciplines ou thérapeutes.
La limite d’un tel modèle réside dans la complexité des interventions qu’il commande, mais les travaux de recherche sont prometteurs.
A. SYLVESTRE et coll.
Journal of Speech-Language pathology and Audiology, Hiver 2002, vol.26, n°4