Actualités Orthophoniques Mars 2003 (volume 7, n°1)
L’intérêt de cet article réside en le fait que ce sont les enseignants eux-mêmes qui définissent quel type d’enfant est pour eux en difficulté. Dans une première partie, l’auteur explique la différence qui existe entre la notion de savoir lire basée sur les instructions officielles et celle basée sur les recherches menées depuis ces dernières années.
Acquérir la lecture est bien sûr une des priorités de l’école car sans une bonne maîtrise de la langue orale, l’enfant ne pourra pas réaliser les apprentissages scolaires, il aura des difficultés dans sa vie d’adulte pour obtenir un travail, pour s’intégrer dans la société et devenir un citoyen autonome.
Au cycle 2, selon les instructions officielles, l’accent est mis sur la notion de « lire pour comprendre ». La pédagogie est axée sur le passage de la maîtrise du langage oral à celle du langage écrit. L’enseignant aide l’enfant à travers des échanges verbaux à développer sa connaissance de l’oral. L’élève va ainsi pouvoir observer « les principes généraux de correspondance entre un message oral et une transcription écrite » .
Il doit apprendre à comprendre. Pour cela, il faut qu’il apprenne à utiliser son intelligence et sa mémoire. Il doit « mobiliser dans la mémoire les savoirs pertinents qui permettent de relier entre elles les diverses informations qui parviennent et donner sens à ce qui est perçu » . Le décodage et la compréhension littérale du texte sont des processus à travailler très précisément. L’enseignant doit également apprendre aux enfants à aimer lire.
Selon les chercheurs, apprendre à lire nécessite des capacités métalinguistiques qui émergent selon Gombert vers l’âge de six-sept ans c’est-à-dire au moment même où démarre l’apprentissage qui les nécessite.
Les capacités métalinguistiques comprennent :
Les capacités métaphonologiques c’est-à-dire savoir oralement couper un mot en phonème, identifier des rimes, ajouter ou enlever un phonème, inverser des sons…
Les capacités métalexicales : l’enfant doit être capable de couper une phrase en mots à l’oral comme à l’écrit.
Les capacités métasémantiques qui permettent à l’enfant de reconnaître le « code conventionnel et arbitraire de la langue écrite et de différencier les signifiants des signifiés » .
Les capacités métasyntaxiques qui aident à mieux reconnaître les mots (soutien en particulier pour déchiffrer les homographes et les mots rares et irréguliers), à les intégrer dans une phrase et à construire la signification globale du texte.
La capacité métapragmatique :
Elle entre en jeu dans la lecture des textes complexes permettant de dépasser le niveau explicite pour inférer la signification implicite de ce qui est lu.
Pour savoir lire, il faut que l’enfant maîtrise ces différentes capacités métalinguistiques, il faut qu’il sache décoder, comprendre mais il faut aussi qu’il ait des connaissances sur ces habiletés et qu’il sache les contrôler. Il semble qu’il existe une inter-relation entre la maîtrise de ces capacités métalinguistiques et l’apprentissage de la lecture . Une bonne maîtrise de ces capacités aide l’apprentissage et les progrès en lecture favorise leur développement.
L’étude a porté sur 104 enseignants : des professeurs d’école (PE) en formation initiale à l’IUFM, des enseignants spécialisés dans l’aide pédagogique (AIS) en formation à l’IUFM et des maîtres exerçant dans une classe du cycle2 (RESP).
On leur a demandé :
1- le degré de gravité qu’ils attribuent à certaines situations c’est-à-dire à quel point d’une part le comportement de l’élève face au travail et d’autre part les méprises d’un élève de CP lisant à voix haute peuvent avoir à leur avis une incidence sur la possibilité d’accéder à la langue écrite. Etaient distinguées au niveau des méprises celles qui sont acceptables sémantiquement ou non et celles qui sont acceptables syntaxiquement ou non.
2- répondre à la question « que doit faire l’élève pour bien lire ? »
3- noter trois résumés d’élèves de CP relatif à un texte court de six lignes qui leur a été lu. Le premier résumé est complet, le deuxième et le troisième ont pour point commun l’absence des relations causales, la différence résidant dans le cadre qui est précisément rappelé dans le troisième résumé et succinctement dans le deuxième.
Les réponses des enseignants :
Question 1
Quelque soit le profil des enseignants interrogés c’est le comportement des enfants qui est jugé plus inquiétant que ses erreurs de lecture, la faible persévérance étant l’attitude jugée la plus nuisible. Le rythme de travail trop lent est évalué comme le moins grave alors que pourtant l’enfant n’a pas vraiment le temps de prendre son temps à l’école primaire puisqu’il ne peut être maintenu plus d’une année. Le refus ou évitement de travail est la deuxième raison estimée la moins grave or on peut se demander comment un enfant qui ne travaille pas peut réussir les apprentissages.
Seules les méprises de lecture qui affectent le sens sont jugées comme graves ce qui rejoint les instructions officielles pour lesquelles nous l’avons vu lire c’est comprendre. La compétence métasyntaxique considérée comme si importante par les chercheurs ne l’est absolument pas pour les enseignants.
Question 2
Que doit faire l’élève pour bien lire ? On constate que les réponses sont soit de type cognitif (sont cités le plus rechercher le sens et maîtriser les relations grapho-phonétiques ), soit de type conatif (le plus cité étant se motiver ).
Les enseignants privilégient des réponses exclusivement cognitives – ce qui est le plus fréquent – ou exclusivement conatives. Leur vision de l’acte de lire reste morcelée; ils prennent en compte l’attitude de l’élève ou la maîtrise du contenu mais pas les deux.
Il existe là une différence entre les RESP qui accordent plus d’importance au conatif et les PE et les AIS en formation qui eux privilégient le cognitif.
Question 3
La différence entre la notation du premier texte (complet) et celle du troisième (relations causales absentes mais cadre précisément rappelé) n’est pas significative. « Pour l’enseignant du cycle 2, comprendre un texte signifie essentiellement pouvoir restituer précisément le maximum de faits sans se soucier particulièrement des relations les unissant (hormis l’enchaînement chronologique). La cohérence n’étant pas privilégiée, il peut sembler logique que les enseignants n’attachent guère d’importance à la syntaxe, l’unité de sens étant inférieure à la phrase » .
Il existe donc un décalage entre les enseignants et les chercheurs. Au niveau des capacités métalinguistiques, seules sont citées comme nécessaires par les maîtres les capacités métaphonologiques et métasémantiques. Ne sont pas considérées comme déterminantes les compétences métalexicales, métasyntaxiques et métatextuelles. Les connaissances conceptuelles, la maîtrise de l’oral (pourtant rappelée récemment dans les instructions officielles) et l’attention ne sont considérées comme déterminantes que par 3% des enseignants et la nécessité de développer l’activité oculaire que par 1% d’entre eux.
Il semble utile « d’accompagner les enseignants afin qu’ils puissent opérationnaliser les résultats de la recherche » en se démarquant d’un modèle « applicationniste » et voir comment établir des passerelles entre chercheurs et enseignants. Se pose bien sûr la question de la conséquence de ce décalage sur les jeunes élèves. Travaille- t- on au cycle 3 les compétences non visées au cycle 2 ?
Jean-Michel DEVAUX
Psychologie & Education, n°51, 2002,