Language development and delay in internationally adopted infants and toddlers: a review

Actualités Orthophoniques Mars 2003 (volume 7, n°1)
Les enfants nés dans une langue et une culture, puis adoptés dans une autre, constituent une expérience très spécifique de langage. En effet, on ne peut les considérer comme bilingues, puisque, dans la plupart des cas, ils abandonnent leur langue première dès leur entrée dans la famille d’adoption. A la différence des enfants qui changent de langue plus âgés et qui peuvent donc s’appuyer sur la langue première pour apprendre la seconde, les enfants adoptés sont le plus souvent démunis, d’autant que la plupart sont issus d’orphelinats dans lesquels peu de choses ont été faites pour le développement d’un langage.
Des études ont montré que des enfants russes, adoptés à l’âge de 4 à 8 ans, perdaient leur langage d’origine 3 à 6 mois après leur adoption, et toute utilisation fonctionnelle dans l’année. Bien entendu, les enfants adoptés plus jeunes perdent encore plus rapidement leur langage premier. Il faut ajouter à cela la perception négative des enfants lorsqu’ils entendent leur langage premier, ce qui les pousse à l’éliminer encore plus vite.

On peut imaginer que la cassure linguistique brutale peut favoriser les troubles de la parole et du langage chez les enfants adoptés internationalement. Aux USA, de nombreuses orthophonistes prennent en charge ces enfants, d’autant que leur chiffre a tendance à augmenter depuis quelques années (près de 20.000 en 2001 issus principalement de l’Europe de l’Est et de Chine).

Certaines études récentes proposent des chiffres allant de 30 à 60% de troubles du langage dans ces populations. Mais ces chiffres ne sont pas issus d’analyses épidémiologiques, mais d’enquêtes auprès des parents ou de dépistages en langue anglaise chez les nouveaux arrivants. Toutefois, la réalité est là : la préoccupation première des parents un an après l’adoption est constituée par le développement du langage. De même dans l’article de Pollak en 2000, il est noté que 57% des enfants adoptés sont vus par des orthophonistes.

Plusieurs explications peuvent être retenus pour ces taux élevés. D’abord, la difficulté d’évaluation de ces enfants. Chez les enfants bilingues « classiques », il est d’usage d’évaluer le langage dans les deux langues. Or ceci est impossible ici. Soit on peut évaluer l’enfant dès son arrivée dans son langage premier, ce qui est exceptionnel. Soit on l’évalue dans sa nouvelle langue, qu’il est loin de maîtriser au début. Tant que l’enfant ne maîtrise pas pleinement la langue anglaise, il reste délicat de faire la part des choses et de décider si l’enfant a besoin d’une intervention orthophonique, ou simplement d’un suivi, ou de rien !!

D’autant que, même si l’enfant ne parle plus sa langue première, des interférences peuvent exister en arrière-plan. Il est donc nécessaire de comparer les deux langues en matière de phonologie, de syntaxe et de prosodie avant de se déterminer sur l’existence d’un retard. Durant la première année de sa vie, l’enfant utilise les modèles syntaxique et prosodique de sa langue et lorsqu’il doit changer de langue, il doit apprendre les nouveaux modèles. Ainsi lorsque l’on compare la langue russe et la langue anglaise, on note de nombreuses différences que l’enfant aura du mal à assimiler rapidement.

Il en est de même avec la phonologie, car l’enfant de 9 mois « sélectionne » les phonèmes de sa langue, en considérant implicitement comme étrangers, car dépourvus de sens, les autres. Ce mécanisme est profondément ancré comme l’a montré une étude à propos de l’Hindi. Des enfants de langue anglaise mais qui avaient été exposés à la langue Hindi dans les premiers mois de leur vie ont pu rapidement apprendre cette langue alors qu’ils étaient adultes. Ce qui n’était pas le cas d’adultes non exposés, même si l’apprentissage de l’Hindi était long. Peut-être existe-t-il une période critique pour la plasticité neuronale relative à la perception phonétique ? Mais rien n’est vérifié selon les auteurs.

Les orthophonistes doivent donc tenir compte des éléments de la langue première. Mais il faut rester prudent car, même issu d’un pays, un enfant pouvait ne pas utiliser la langue nationale, mais un dialecte local ou une autre langue communautaire. Ainsi de nombreux Chinois ne parlent pas le Mandarin dans leur vie quotidienne.

88% des enfants adoptés internationalement viennent d’un orphelinat et il est vraisemblable que les séquelles de ce séjour restent fortes.

Il s’agit bien sûr des éléments de croissance. Une étude montre qu’un enfant perd un mois de croissance tous les trois mois passés en orphelinat. De même, on a pu noter que la plupart des enfants étaient beaucoup plus petits et plus maigres et ce dans des proportions sensibles.

Il s’agit aussi pour certains pays de l’alcoolisme de la mère. McGuiness a noté que, dans les pays de l’Europe de l’Est, 43 mères sur 47 étaient alcooliques durant leur grossesse. Il y a également de fréquentes maladies, y compris l’hépatite B (35% des enfants adoptés en Roumanie).

Les enfants placés en orphelinat présentent des troubles sévères du langage. En 1991, Dubroniva montre que 60% des enfants de 24 à 30 mois, placés en orphelinat, ne parlaient pas.. Un an plus tard, 14% seulement employaient des phrases composées de deux mots ! A 3 ou 4 ans, la parole restait inintelligible, la compréhension très limitée et le vocabulaire limité.

Une des raisons de ces retards est la faiblesse des interactions langagières, les soignants ne parlant qu’entre eux comme l’a montré une étude. Le langage ne sert qu’à donner des ordres, les enfants restent avec ceux du même âge, empêchant l’écoute des plus grands.

Bien sûr, dès l’adoption, les choses s’améliorent rapidement en particulier pour les caractéristiques physiques. Mais il n’en demeure pas moins que les séquelles de l’orphelinat persistent longtemps et qu’il y a d’ailleurs corrélation entre l’importance des troubles et la durée du placement.

Pour en savoir plus :

Typical and Atypical language development in infants and toddlers adopted from Eastern Europe
Sharon GL ENNEN et Gay MASTERS
AJSLP, Novembre 2002.

Cet article constitue en quelque sorte la suite de celui-ci avec en particulier des guides pour l’intervention des orthophonistes dans ce domaine.
Sharon GLENNEN

American Journal of speech-Language pathology, Novembre 2002