La distance sociale et les préjugés envers les personnes bègues

Actualités Orthophoniques Mars 2003 (volume 7, n°1)
Le bégaiement possède une composante sociale importante. Bien sûr tout acte de communication suppose une interaction avec un interlocuteur. Mais pour la personne qui bégaie, la réaction du partenaire de communication va décider en grande partie de l’ampleur du trouble. D’ailleurs, de nombreux thérapeutes américains travaillent sur une stratégie de désensibilisation du bègue par rapport aux réactions et aux attitudes de l’interlocuteur.
Il est vrai que le bégaiement est associé le plus souvent à des stéréotypes négatifs. A travers de nombreuses études, concernant des publics très divers, on constate que les bègues sont perçus comme hésitant, introverti, réservé, tendu, inquiet, tendu, susceptible, anxieux… Selon la théorie sociologique de l’étiquetage, la distance sociale constitue l’ élément qui influence les perceptions et donc les attitudes vis-à-vis de ceux qui sont différents de soi, y compris les personnes présentant des troubles.

En suivant cette théorie, on peut donc faire l’hypothèse que les personnes les plus proches d’un bègue devraient avoir des attitudes plus positives vis-à-vis de lui que la moyenne des personnes.

La recherche repose sur six personnes bègues (3 hommes et 3 femmes), tous membres d’un groupe d’aide. On a demandé à ces personnes d’indiquer une liste de proches ainsi qu’une liste de leurs collègues. Toutes ces personnes ont été contactées et 65% ont répondu. Un questionnaire leur a alors été adressé à chacune. Il comporte six échelles conçues avec des adjectifs opposés. Ainsi, sympathique/antipathique, ou tranquille/anxieux ou coopératif/non coopératif…. Il comporte également des questions à propos de la perception concernant une personne bègue précise.

Dans l’ensemble, les résultats sont plus favorables que dans les études générales. Rappelons qu’ici, il s’agit de personnes en contact direct et régulier avec une personne bègue. Par exemple, pour le couple d’adjectifs renfermé/ouvert, la moyenne des réponses est de 5,35 alors que dans les autres études elle était de 3,3 ou 3,8. De même dans le couple assuré/timide, le score moyen est de 4,6 contre 2,4 dans d’autres études. Indéniablement les personnes connaissant « en vrai » une personne bègue ont une opinion bien moins défavorable que le grand public. Le seul couple d’adjectifs qui ne montre pas de différences est coopératif/non coopératif.

Une autre partie de l’étude concerne la perception de l’importance du trouble de la parole. Il y a accord sur la sévérité du bégaiement puisque 90% des personnes (bègues ou non-bègues) ressentent le trouble réel comme sévère (ce qui est le cas).

Par contre il y a une importante divergence à propos de la notion de normalité de la parole. Les non-bègues considèrent la parole du bègue comme meilleure que sa propre perception. Sur une échelle de 10, 42% indiquent un score de plus de 5 points alors que 80% des bègues font ainsi ! Plusieurs causes sont évoquées.

L’étude montre clairement que les stéréotypes dévalorisateurs sont moins fréquents lorsque les personnes connaissent un bègue et communiquent avec lui. Connaître un trouble, un handicap permet d’en avoir une image moins défavorable.
Thomas KLASSEN

Journal of Sp eech-Language Pathology and Audiology,

Ete 2002, vol.26, n°2, pp.90-99