Impact des difficultés précoces de langage sur la conscience phonologique d’enfants scolarisés en grande section de maternelle

Actualités Orthophoniques Mars 1999 (volume 3, n°1)
Monique PLAZA est assurément un des grands noms de la recherche francophone à propos de troubles d’apprentissage et en particulier de dyslexie. Chacun de ses articles marque une avancée supplémentaire dans la connaissance et la compréhension de ces phénomènes qui sont au c?ur de notre activité quotidienne.
Avant de présenter son « expérience », l’auteur nous montre le cadre général de l’acquisition de la lecture, au vu des recherches les plus récentes. Elle nous rappelle le rôle clé des compétences phonologiques, qui permettent d’accéder à des unités abstraites, véritable verrou de la lecture. Elle distingue les capacités existantes avant la lecture (par exemple la détection des rimes) et celles qui sont concomitantes ou postérieures aux premiers apprentissages (segmentation et manipulation phonémique), qualifiées de métaphonologiques.

Elle souligne également le caractère prédictif de certaines capacités phonologiques, ce qui pourrait permettre, par leur détection en maternelle, d’intervenir avant la survenue de la dyslexie ou du moins d’en limiter le tableau.

L’objet essentiel de l’article est de présenter une « expérience » visant à « analyser l’impact des difficultés précoces de langage sur les compétences phonologiques ».

Dans un premier temps, un dépistage précoce a été effectué auprès de 130 enfants de petite section de maternelle à l’aide d’un questionnaire (Questionnaire Langage et comportement 3 ans ½ de Chevrie-Muller). On peut ainsi distinguer plusieurs catégories d’enfants (sans difficulté, à surveiller, en difficultés probables, devant être examiné). Notons que sur les 130 enfants de l’échantillon, 23% étaient en difficulté. Notons également un élément de méthodologie intéressant à savoir que si le dépistage négatif est toujours opérationnel, il n’en est pas de même avec le dépistage positif (enfant indiqué à problèmes) qui est moins fiable.

Il s’agissait donc de faire passer un certain nombre d’épreuves aux enfants déjà dépistés deux ans auparavant.

Sept tâches ont été proposées :

• La première épreuve est composée de 14 pseudo-mots correspondant à des vrais mots dont le premier phonème a été modifié (ainsi dable ou dangue).

• La deuxième propose des non-mots à structure phonétique rare (« tsui…)

Pour ces deux épreuves, l’enfant doit répéter les items. Il s’agit donc à la fois de tester l’articulation et la mémoire auditive immédiate.

• La détection de rimes forme la troisième tâche. On vérifie si l’enfant perçoit les similarités phonologiques, ce qui se fait en général précocement.

• L’identification phonique représente la quatrième épreuve. L’enfant doit indiquer par quel son commencent des pseudo-mots de deux syllabes.

• Les épreuves 5 et 6 s’intéressent à la discrimination auditive. L’enfant doit repérer dans des pseudo-mots d’une seule syllabe un son cible (ici il s’agit du /f/ et du /s/. Le son peut être au début (épreuve 5) ou au milieu (épreuve 6).

• La dernière tâche consiste dans une manipulation de syllabes dans des pseudo-mots. Par exemple, dire TIPA pour PATI entendu.

On peut noter au passage que ces différentes tâches commencent à être bien connues par les orthophonistes et sont en quelque sorte rentrées dans les m?urs de nos évaluations (et de nos rééducations ultérieures).

Les résultats sont particulièrement significatifs :

• les deux premières tâches sont réussies (même s’il y a déjà des écarts non négligeables) par les deux groupres d’enfants (« sans difficultés » au dépistage 3 ans et « en difficulté »).

• L’épreuve de détection de rimes met les enfants du second groupe en difficulté (- de 50% de réussite contre 80% dans le premier groupe).

• Dans la tâche suivante, l’échec des enfants « en difficulté » est flagrant (18% de réussite contre 71%). Il s’agissait d’isoler une unité phonémique dans un mot.

• Les deux épreuves de reconnaissance de cibles (tâches 5 et 6) ne sont pas échouées par les enfants « en difficulté ».

• Par contre, la dernière tâche (inversion syllabique) est quasiment impossible à réaliser pour ce groupe (7% contre 66% aux autres enfants).

On voit ainsi clairement que la tâche la plus discriminante (entre les deux groupes) est celle qui demande à l’enfant d’identifier la voyelle syllabique.

Que déduire, pour l’auteur, de ces résultats ?

Avant tout que le groupe dépisté en difficulté à trois ans montre des défaillances persistantes et importantes dans certaines habiletés phonologiques.

Bien entendu les tâches les plus complexes (sur le double plan linguistique et cognitif) sont les moins réussies.

Par exemple l’identification de la consonne en phonème initial est très difficile, car il faut que l’enfant s’éloigne de l’élément acoustique évident pour rechercher une information recréée et plus abstraite. Par contre, l’identification de la voyelle est plus aisée car la voyelle constitue un élément directement perceptible acoustiquement.

De même l’inversion syllabique nécessite une activité de mémoire de travail qui rend difficile pour beaucoup d’enfants (y compris certains du groupe « sans difficulté ») cette épreuve et alors même que la perception de la syllabe est facile.

Les deux épreuves problématiques font donc appel à la mémoire de travail et à la catégorisation phonologique.

En affinant l’analyse, l’auteur constate qu’au sein du groupe d’enfants « en difficulté », deux sous-groupes sont repérables :

• les enfants du premier groupe ont des résultats difficiles dans toutes les tâches. On peut suggérer qu’il y a là un retard de langage global, retentissant sur les compétences de lecture.

• Dans le deuxième groupe, les enfants ne sont vraiment en difficulté qu’avec les tâches « métaphonologiques » (tâches 4 et 7). Ils bénéficieraient donc en grande section maternelle d’un entraînement spécifique alors que les enfants du groupe précédent devraient être pris en charge par un orthophoniste/logopède.

Pour en savoir plus :

La littérature est nombreuse dans ce domaine depuis quelques années. Par exemple :

Validation d’une méthode de dépistage précoce des troubles du langage
C. CHEVRIE-MULLER
ANAE, 1990, 2,1.

Approche cognitive des troubles de la lecture et de l’écriture chez l’enfant et l’adulte
CARBONNEL, GILLET,MARTORY, VALDOIS
Ed. Solal, 1996
Plusieurs textes très intéressants dans cet ouvrage collectif (par exemple ceux d’Alegria ou de Content).

Phonological impairment in dyslexic children with and without speech-language impairment
M. PLAZA
E.J.D.C., 1997, 32.
Monique PLAZA
A.N.A.E., 1998, n°48
Conscience phonologique, dépistage précoce, défaillances linguistiques