Actualités Orthophoniques Juin 2002 (volume 6, n°2)
Les deux auteurs sont assurément parmi les orthophonistes « qui comptent » dans notre belle profession. Depuis longtemps à l’avant garde des idées et des propositions, ils nous proposent ici un ouvrage quelque peu hors du commun, par sa volonté de mêler technicité et humanisme. Bien sûr une telle synthèse devrait être la base de toute notre intervention, mais dans notre monde saucissoné en tranches techniques, cet abord est bien rare. Saluons donc, avant même de l’avoir entièrement lu (mais le temps presse…), cette ?uvre orthophonique.
L’ouvrage est sous-titré « Lecture labiale, perception audiovisuelle de la parole » ce qui illustre clairement le parcours des auteurs et le sujet de l’ouvrage. Mais la réflexion qui le sous-tend dépasse largement ce domaine précis.
Voir la parole : à chaque instant, la vision capte sur le visage parlant des indices linguistiques et stylistiques qui, coordonnés aux indices auditifs de même nature, créent une bimodalité perceptive efficace. En effet, ce couplage audiovisuel augmente sensiblement les performances de réception et de compréhension du langage oral, cela dès l’aube de sa construction.
Entendre l’articulation de la parole : la Théorie Motrice de Perception de la Parole, en plaçant le geste articulatoire au centre de la perception, en démontrant que perception et production sont les deux faces complémentaires d’un même processus moteur, en faisant du locuteur-auditeur un expert de sa parole et donc de la parole, réactualise les connaissances sur la perception et sur la production du langage oral, dans le sens de la fonctionnalité.
Parler : du pouvoir dire au vouloir dire, de la structure à l’acte de parole, du langage du bébé au discours, des gestes en silence au silence éloquent, la parole se réalise sous une multitude de formes toutes essentielles à la pratique d’une orthophonie qui place le locuteur et ses spécificités au centre du processus thérapeutique.
Lecture labiale : « Voir la parole » s’interroge aussi sur le « mystère » que constitue la lecture labiale en recueillant les témoignages de personnes sourdes sur leur vécu de labiolecteur et en réalisant un inventaire des principales méthodes d’apprentissage de la lecture sur les lèvres.
Surdités : à partir du concept de perception audiovisuelle et d’un modèle riche de tous les états de la parole privilégiant la structuration immédiate de la compréhension, les auteurs ont élaboré un programme de construction précoce du langage oral chez l’enfant sourd profond dans le sens du fonctionnel et du plaisir. Pour le devenu-sourd, ils proposent une stimulation préalable de toutes ses potentialités à réagir et à agir, de toutes ses aptitudes et stratégies à produire du langage et à le comprendre, ce qui le conduira à construire sa propre perception (audio)visuelle de la parole intégrant la suppléance mentale pour faire du sens. Les notions définies et exercées dans le paysage des surdités peuvent s’appliquer aux autres pathologies langagières.
Orthophonie : « Voir la parole »définie une orthophonie renouvelée dans sa méthodologie et dans ses outils dont la pratique se fonde sur le perceptif, le mnésique, l’écologique, l’existentiel qui la formalisent pour mieux en libérer l’expression. Orthophonistes : lorsque la parole n’est pas encore dans la parole, lorsque la parole n’est plus dans la parole, il faut l’y faire éclore. C’est la fonction des orthophonistes. C’est aussi leur passion que les auteurs ont tenté de faire vivre dans ce livre à travers des concepts scientifiques novateurs, leur culture de la parole et du handicap, leur expérience clinique, leur philosophie de la relation thérapeutique, le vécu des personnes sourdes.
Lecteurs : par son état d’esprit fonctionnel conciliant l’organique et le psychique en un même geste, par son approche humaniste réconciliant la technique et la personne dans la démarche thérapeutique, par son écriture originale équilibrant les rapports entre science et pratique clinique, « Voir la parole » s’adresse à ceux qui vibrent pour le langage et qui militent pour son accès à tous.
Annie Dumont est orthophoniste, chargée de cours à l’université Paris-VI, attachée à l’hôpital Robert-Debré.
Christian Calbour est orthophoniste, vice-président de l’association HANDITEC.
Annie DUMONT et Christian CALBOUR
Ed. MASSON, Paris, 2002,