Actualités Orthophoniques Décembre 1999 (volume 3, n°4)
Les transsexuels font partie des patients à la recherche des services d’un/e ortho. Vous savez certainement que les transsexuels sont des individus qui pensent que leur vrai sexe ne correspond pas à leur sexe biologique. M. Pausewang Gelfer a travaillé de près avec ces personnes et a pu partager leurs expériences et leurs informations. Ce n’est pas une prise en charge banale et les différentes étapes de transformations doivent être connues du thérapeute pour une meilleure approche d’un/e patient/e particulier/e.
Le candidat au changement sexuel devra d’abord passer par une étape de conseils. Cette période doit durer au minimum trois mois. Viendra ensuite un traitement hormonal destiné à stimuler le développement des caractères sexuels féminins. Cependant durant cette période, le patient conservera son identité initiale à la maison et au travail. Quand il se sentira prêt pour l’étape suivante, il pourra débuter le « test de la vie réelle » au cours duquel le candidat se conduira comme une femme sur le plan vestimentaire et social à la maison et au travail. C’est un moment essentiel dans la transition. Actuellement ce test ,qui doit durer au moins douze mois, est un prérequis à la chirurgie transexuelle. A ce niveau une partie des sujets au changement ira jusqu’à la chirurgie, l’autre partie en restera là pour différentes raisons mais continuera dans ce rôle féminin.
Le patient typique est un homme d’âge moyen, marié et père d’un ou plusieurs enfants. L’âge moyen d’une recherche de conseil professionnel pour leur transsexualité est de 30 ans. Leurs occupations professionnelles sont très souvent dans des domaines très « virils » : l’armée, les travaux publics….
Au cours du premier entretien , il sera important d’interroger le patient sur le prénom qu’il/elle préfère qu’on utilise ainsi que le pronom personnel (il/elle) le/ la désignant. La plupart des patients/es préfèrent être appelés/ées par le prénom féminin qu’ils/elles ont choisi. Si la personne débute les stages de transition, malgré une apparence masculine, le thérapeute doit lui poser la même question par courtoisie.
L’implication de la patiente dans le traitement dépendra en partie du chemin parcouru à travers les différentes étapes de la transsexualité (conseil, traitement hormonal, test de la vie réelle, chirurgie).
D’autres questions importantes concernant l’environnement humain familial et professionnel de la patiente sont importantes pour la conduite du traitement ( est-il soutenu par sa famille ou n’est-elle pas au courant ? etc….)
Bien sûr, un questionnaire de santé habituel sera posé . Entre autre, existe-t-il des difficultés de communication (perte auditive dûe à l’âge….)
Pour finir, il est fondamental de comprendre les attentes et les espoirs de la patiente ainsi que ce qu’elle a déjà fait pour essayer de changer de voix. Le thérapeute ne doit pas laisser croire qu’ une patiente de 50 ans pourra obtenir la voix de la thérapeute qui en a 25.
La Rééducation Vocale
Bien entendu, le but premier du traitement est d’élever la fréquence du fondamental et ceci de façon « visible ».
Plusieurs études faites par des cliniciens et des chercheurs indiquent qu’un fondamental doit être au moins situé autour de 160-165 Hz et même plus haut pour une voix que l’on veut ressentir comme appartenant au sexe féminin. La hauteur tonale ciblée ne devra pas être trop haute afin que les différentes inflexions soient possibles .
Lorsqu’une patiente débute, il s’agit de lui proposer une cible de hauteur tonale précise durant quelques séances. La note sera donnée par un pipeau et modélisée par le thérapeute. Elle sera visualisée en feed-back sur un Visi-Pitch. La patiente doit reproduire des fréquences variées en utilisant la syllabe (ma). L’utilisation d’une voix claire et légère sera modélisée par le thérapeute. On démarrera sur une note autour de 147 Hz (D3 ).
Lorsque cette hauteur tonale sera correctement réalisée, une note plus haute sera choisie comme but avec le même travail. De cible en cible, de note en note, la patiente pourra parvenir à une fréquence de 175 Hz.
Chaque demi ton sera retravaillé pour y arriver, toujours en utilisant la syllabe (ma). Dans un deuxième temps, des syllabes différentes seront proposées. Le thérapeute participera et modélisera. L’attention sera portée également sur une bonne reprise respiratoire et une détente entre les syllabes. Divers exercices de montées et de descentes de gammes seront associés. Peu à peu la voix s’améliorera et la patiente sera plus à l’aise.
L ?intonation du chant et de la parole : produire une hauteur tonale sur une syllabe est bien plus facile que sur un mot. Introduire des mots dans la rééducation devient donc le challenge réel puisque se rapprochant du modèle de la parole. Pour arriver à ce cap, l’auteur précise qu’il est plus facile de chanter les mots et de faire suivre les mots parlés avec intonation. De même que les syllabes, les premiers mots débuteront par un (m) qui facilite une bonne résonnance orale
(production de vibrations) et permet à la patiente de bien localiser la hauteur tonale recherchée avant de poursuivre le mot. Le thérapeute sera toujours là pour modéliser. Un contrôle visuel sera donné par le Visi-Pitch. Progressivement, d’autres débuts de mots seront introduits.
Les phrases : le même principe d’initialisation par un (m) se retrouve afin de faciliter la localisation de la hauteur tonale.
A ce niveau et pour compléter la rééducation, on peut utiliser divers exercices de questions/réponses, de jeux de rôle permettant à la patiente de se retrouver dans des situations de la vie réelle. L’obtention d’une intonation naturelle deviendra à ce stade l’ultime but. Ce sera aussi l’opportunité de traduire différentes émotions et niveaux d’intensité en utilisant la voix féminine. C’est ce temps-là qui fera la plus grande différence avec les patients habituels en rééducation vocale.
A la technique vocale, le thérapeute pourra ajouter des comportements non-verbaux et paralinguistiques qui sont spécifiques aux transsexuels. Ceci afin de s’assurer qu’à une voix féminine correspond une gestuelle féminine. De même, il sera important de proposer des techniques permettant à la patiente d’être identifiée comme appartenant au sexe féminin au téléphone (« bonjour, je suis Marie Dupont, puis-je parler….. »)
En conclusion, le changement comportemental n’est pas une chose aisée mais des possibilités sont offertes aux transsexuels. Le déroulement d’une prise en charge telle que décrite plus haut permet d’aider une population particulière à atteindre son objectif avec des réussites variables.
Gabrielle CHAPELAIN
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M. Gelfer
American Journal of Speech-Language Pathology, 1999, 8, pp.201-208