Même si son étiologie est encore discutée,la dyslexie développementale est largement codifiée depuis un bonne décennie, en particulier après les travaux de Michel Habib et de Sylviane Valdois. Les termes de dyslexie phonologique ou de surface s’imposent naturellement et nos façons de rééduquer se sont plus scientifiques, et plus adaptées, plus précises.
Pourtant, certains cas d’enfants dyslexiques ne rentrent pas dans le moule…. C’est tout l’intérêt de cet article, qui chemine à travers les différentes épreuves pour préciser ce cas inhabituel. Très formateur et porteur de la nécessité d’une évaluation de qualité pour préciser les troubles.
Un cas de dyslexie développementale
avec trouble isolé de l’empan visuo-attentionnel
M. BOUVIER-CHAVEROT et coll.
Revue de Neuropychologie – N°4-1 Mars 2012
Après avoir beaucoup erré dans des propositions plus ou moins de qualité, la dyslexie semble dorénavant pouvoir être clairement rattachée à un déficit phonologique. Depuis une petite vingtaine d’années, les études se sont multipliées et la plupart vont dans le même sens. Dans les tâches « phonologiques », les enfants dyslexiques ont des performances toujours inférieures à celles des enfants normo-lecteurs, en particulier dans les épreuves de « conscience phonémique » (« identification des phonèmes au sein des mots parlés et capacité à les manipuler consciemment »). Quant à l’étiologie, elle apparaît, selon de nombreuses études, rattachée à une atypie d’une zone cérébrale et à une sensibilité de type génétique.
Toutefois la dyslexie n’est pas Une. L’exemple de ce que l’on appelle la « dyslexie de surface » montre qu’il peut exister d’autres troubles. :
Et c’est cela que veulent démontrer les auteurs de cet article à propos d’un déficit de l’empan visuo-attentionnel (EVA).
Cet empan se définit « par le nombre d’éléments visuels distincts qui peuvent être traités simultanément dans une configuration de plusieurs éléments ». Il s’évalue par des épreuves de report (voir plus loin). Cet empan joue un rôle important dans l’extraction de l’information visuelle lors de la lecture et il est déterminant dans l’acquisition de l’orthographe spécifique.
Le cas présenté est celui de Gustave, 9 ans 3 mois, avec un niveau à l’Alouette de 6 ans et 10 mois.
En lecture de texte il lit bien moins de mots que les normo-lecteurs mais avec peu d’erreurs. La lecture de mots isolés est « pathologique » sauf pour les pseudo mots. La conversion graphème-phonème est normale. En lecture de mots irréguliers, les erreurs de régularisation sont majoritaires (ex : aquarelle = a ka relle, paon = pa on). Les temps de lecture d’un texte sont très allongés (ex : 106’’ au lieu de 20’’).
La transcription des mots inconsistants (avec des graphèmes autres que ceux habituellement associés à un phonème – ex : peinture = pintur) et d’exception (graphème très inhabituel comme /femme/ est très chutée. Par contre les mots consistants et les pseudo mots sont assez corrects.
Il s’agit donc d’un profil de lecture du type « dyslexie de surface », donc avec conservation de la conversion graphème-phonème. De même en production écrite. Par contre, le langage oral est dans la norme et la conscience phonologique est correcte.
Le report global et partiel permet d’évaluer l’empan visuo-attentionnel. Il s’agit de présenter au centre de l’écran des séquences de 5 consonnes pendant un temps très court. En report global, l’enfant doit dénommer le plus possible de lettres perçues. En report partiel, L’enfant ne doit lire que la lettre « marquée après la vision » par un trait. Les performances de Gustave dans les deux modalités sont toujours inférieures à celles des enfants de même âge.
Gustave présente donc un profil de dyslexie/dysorthographie de surface.
– atteinte sélective de la lecture des mots irréguliers
– préservation des performances du traitement des pseudo-mots
– importantes difficultés en orthographe lexicale surtout lorsque le degré d’inconstance augmente.
– Très bonnes performances aux épreuves méta phonologiques
– Bonne aptitude de traitement phonologique
– Aucune erreur attribuable à un trouble phonologique
Il n’y a pas de trouble visuel stricto sensu, mais on relève des difficultés sévères de traitement des séquences des lettres (voir épreuves de report). « Ces performances en EVA apparaissent dysharmoniques par rapport aux autres dimensions reliées à l’activité de lecture. »
Ce profil est en accord avec plusieurs études qui montrent « le lien particulièrement fort et stable au cours du temps entre l’EVA et la lecture de mots irréguliers en primaire. »
Le modèle MTM (Modèle connexionniste Multi Trace) propose que « l’identification rapide des mots repose sur la capacité à identifier simultanément l’ensemble des lettres qui les composent. Cela requiert des ressources visuo-attentionnelles suffisantes ».
« Des capacités visuo-attentionnelles limitées ne permettent pas cette identification parallèle. La taille de l’unité est alors limitée, de façon à adapter au mieux le nombre de lettres à identifier en fonction des ressources attentionnelles disponibles. Le mot est alors traité séquentiellement ce qui entraine des erreurs de régularisation sur les mots irréguliers et un temps de lecture de mots allongé ».
On peut ajouter que certains graphèmes complexes (ainsi que les syllabes dans le cas des pseudo mots) doivent être traités en parallèle, « comme un mot » et nécessitent donc un EVA important. Si cela n’est pas possible, on note une lenteur et des erreurs.
« Parce qu’il empêche de traiter globalement la séquence des lettres du mot lors de la lecture, un trouble de l’empan visuo attentionnel ne permet pas de renforcer une trace stable de la séquence orthographique des mots en mémoire, ce qui entraine des difficultés majeures d’orthographe lexicale. »
Bibliographie essentielle :
– « L’apprentissage de la lecture et ses troubles » de P. Colé et S. Valdois, in « Le développement cognitif de l’enfant » de Blaye et Lemaire, Ed. De Boeck 2007
– « Developmental dyslexia and specific language impairment » de Bishop et coll. In Psychology Bulletin, 2004 n°130, pp.858-886
– « Trouble de l’empan visuo-attentionnel dans les dyslexies développementales » S. Valdois, in « Approche neuropsychologique des troubles des apprentissages » de Chokron et Démonet, Ed. Solal 2010
– Rapport d’expertise INSERM « Dyslexie Dysorthographie Dyscalculie : bilan des données scientifiques » ED Inserm 2007