Troubles de la rétention à court terme d’informations auditivo-verbales : évaluation et prise en charge

Actualités Orthophoniques Juin 2002 (volume 6, n°2)
« Mémoire à court terme verbale », « évaluation », « prise en charge », ces trois mots clés interpellent l’orthophoniste qui, confronté à ce déficit spécifique, se trouve fort dépourvu, car les ouvrages traitant de ce trouble et de sa prise en charge ne sont pas légions.
Dans cet article les auteurs nous proposent tout d’abord d’évaluer les troubles de la rétention à court terme d’informations auditivo-verbales en tenant compte des modèles théoriques les plus utilisés aujourd’hui :

Le modèle dit « classique » de Baddeley ( 1986 ) qui implique : un administrateur central amodal, de capacité limitée, secondé par deux systèmes esclaves responsables du maintien temporaire de l’information :

– La boucle phonologique qui comprend : un stock phonologique qui maintient en mémoire et codifie, pendant une durée très courte, les informations verbales. Le mécanisme de récapitulation articulatoire qui réactive l’information en la réintroduisant dans le stock phonologique.

– Le registre visuo-spatial ( ce système n’intervient pas dans le stockage d’informations auditivo-verbales ).

Ces systèmes sont supposés indépendants des représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme.

Les modèles dit « interactifs » tel celui de RC Martin et coll. ( 1999 ). Le modèle de RC Martin repose sur 3 systèmes de stockage temporaire :

– Un système de stockage temporaire des informations phonologiques reçues.

– Un système de stockage des informations phonologiques à produire.

– Un système de stockage temporaire des informations lexico-sémantiques.

Ces systèmes de rétention temporaire dépendent directement des représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme qui par phénomène de réactivation empêchent la dégradation des informations stockées dans les 3 différents systèmes de stockage temporaire.

Evaluation de la boucle phonologique.

Les deux premières épreuves proposées sont des tâches de RSI ( rappel sériel immédiat ).

RSI de chiffres et RSI de mots de longueur croissante. A l’issue de ces épreuves ont détermine l’empan ( séquence la plus longue dont plus de 50% des essais sont correctement rappelés ). Les patients présentant un déficit de la boucle phonologique ont des empans de chiffres et de mots de longueurs différentes situés entre 2-3 ( normalité : 6-7 ).

Les auteurs cherchent, ensuite, à identifier l’élément déficitaire de boucle phonologique grâce aux épreuves suivantes :

– RSI de mots phonologiquement semblables ( mots unisyllabiques ayant tous la même voyelle : poids, doigt, choix, roi… dont on comparera l’empan à celui d’un RSI de mot phonologiquement dissemblables ( mots ayant des voyelles et des consonnes différentes : pied, camp, clou, sol, mur….). Les sujets normaux présentent un effet de similitude phonologique caractérisé par un empan de mots dissimilaires supérieur à l’empan des mots similaires. L’absence de cet effet est révélateur en principe ( sic ) d’un déficit au niveau du stock phonologique.

– RSI de mots longs / mots courts dont on compare les empans respectifs. Les sujets normaux présentent un effet de longueur caractérisé par un empan de mots courts supérieur à celui des mots longs. L’absence de cet effet est en principe ( sic ) d’un déficit au niveau du processus de récapitulation articulatoire.

Notons que la fréquence lexicale et le degré d’imagerie devront être équivalents dans les listes proposées.

On peut également évaluer un déficit de la boucle phonologique par la passation d’une épreuve de répétition de logatomes dont on calculera le NICR ( nombre total d’items correctement rappelés, indépendamment de la position sérielle, sur tous les essais de l’épreuve) ; cette épreuve permet d’exclure toute influence des représentations lexico-sémantiques à long terme.

Les auteurs nous font remarquer que la présence de ces deux effets n’est pas systématique chez le sujet normal ; aussi conseillent-ils plusieurs passations des épreuves avant de conclure à un déficit de la boucle phonologique.

Evaluation des interactions entre stockage temporaire et représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme.

Les auteurs du présent article ont démontré ( 2001 ) que les représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme semblent influencer le stockage temporaire de mots et même de logatomes.

Ils ont ainsi observé dans des épreuves de RSI un avantage pour les mots / non-mots

(effet de lexicalité ), un avantage pour les mots fréquents / mots peu fréquents ( effet de fréquence lexicale ), un avantage pour les non-mots composés de phonèmes fréquents / non-mots composés d’associations de phonèmes peu fréquents ( effet des fréquences phonotactiques ) ; ces effets reflèteraient l’intervention des représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme qui permettraient de reconstruire et de compléter les traces temporaires partiellement dégradées au moment de leur rappel.

Selon les auteurs la façon la plus simple d’évaluer l’influence des représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme sur la mémoire à court terme d’informations auditivo-verbales est d’évaluer l’effet de lexicalité dans une épreuve de RSI de mots et de logatomes par série de longueurs différentes ( longueur de 2 à 7 syllabes, 3 à 4 essais par longueur ), chaque item apparaissant une seule fois, afin de maximaliser la mémoire temporaire des items eux-mêmes.

On peut affiner l’évaluation par l’étude de l’effet de fréquence lexicale pour mesurer l’influence des représentations lexico-sémantique, et de l’effet des fréquences phonotactiques pour mesurer l’influence des représentations phonologiques. Ces deux effets étant mesurés par des épreuves de RSI dont on calculera l’empan, et pour plus de précision le NICR et le NPCR ( nombre total d’items correctement rappelés, en fonction de la position sérielle correcte, sur tous les essais de l’épreuve).

Pour les patients présentant une dysarthrie ou des troubles au niveau de l’output phonologique, la passation d’épreuves de RSI se révèle difficile et les résultats peu objectifs. Dans ce cas de figure, les auteurs, proposent une épreuve de reconnaissance à court terme de rimes. Pour mesurer la variable phonologique on présente des mots de longueur croissante ; à la fin de chaque série on présente un mot cible et le patient doit dire si celui-ci rime avec un des mots de la série. Pour mesurer la variable lexico-sémantique le patient doit reconnaître si le mot cible appartient à la même catégorie sémantique qu’un des mots de la série.

Evaluation de l’administrateur central.

Just et Carpenter ( 1992 ), se basant sur la théorie de Baddeley, ont étudié les liens entre mémoire à court terme et compréhension du langage. Aujourd’hui, le rôle de l’administrateur central, et son évaluation, dans la compréhension du langage est très controversé. Aussi, les auteurs ont-ils choisi l’épreuve la plus utilisée : le Reading Span Test. Ils reconnaissent que la mesure du test n’est pas évidente à utiliser et qu’il convient de valider d’autres outils d’évaluation pour mesurer les relations entre compréhension de phrases et administrateur central.

Perspectives de rééducation.

A la lumière de ces longues, mais nécessaires, évaluations, les auteurs nous proposent deux pistes de rééducation ( nous sommes un peu déçus ; le titre de l’article parlait de prise en charge, nous devrons donc nous contenter de…. pistes ).

La première piste proposée vise à améliorer la capacité de stockage passif en proposant des exercices de rééducation qui permettraient d’augmenter la durée d’activation des traces temporaires : « cet objectif pourrait être réalisé en présentant des mots ou des non-mots ( selon le type d’information qui est difficilement maintenu en mémoire ), dans une tâche de répétition ou de désignation d’images ou de mots/non-mots écrits, et ce en augmentant de plus en plus le délai entre la présentation du stimulus et la réponse. Afin de rendre la tâche encore plus difficile et afin d’éviter que le patient contourne son problème en répétant sub-vocalement les stimuli présentés, on pourra par exemple demander au patient d’effectuer une tâche de comptage durant ce délai. »

La deuxième piste proposée vise à contourner les difficultés de stockage passif et les influences que ces déficits ont sur la production et la compréhension de mots et de phrases, et ce en ayant recours à l’imagerie mentale.

En conclusion, les auteurs nous indiquent que les stratégies de rééducation des troubles de la mémoire temporaire sont peu explorées et que leur exploration ne peut se faire sans une évaluation très précise des systèmes déficitaires.
Martine PONCELET et coll.

Rééducation Orthophonique, Décembre 2001, n°208