Actualités Orthophoniques Juin 2003 (volume 7, n°2)
Même si vous n’êtes pas anglophone, vous avez sans doute compris ce titre, qui laisse un peu perplexe: ?Quel est le nombre de séances individuelles nécessaire pour permettre une amélioration de la communication fonctionnelle chez de jeunes enfants ». Voilà qui n’est guère dans nos habitudes de pensée, même si le cadre de la nomenclature nous donne quelques pistes. Mais, au delà du débat politico-économique, il n’est sans doute pas inintéressant d’avoir quelques informations dans ce domaine.
Habituellement, l’intervention orthophonique cesse lorsque le professionnel estime que le patient a atteint les objectifs fixés ou est parvenu à un niveau acceptable dans sa communication quotidienne. Mais il n’est pas rare que l’intervention s’arrête prématurément, soit parce que le patient stagne de façon durable, soit parce que lui ou sa famille souhaitent arrêter, soit parce qu’il n’y a plus de prise en charge financière !
Les orthophonistes américains sont depuis le début des années 90 confrontés à une pression des organismes privés et publics qui financent les soins. La notion centrale est celle du « managed care ». De nombreux organismes ont été mis sur pied afin d’apprécier la nécessité, le caractère approprié et l’efficacité de la prise en charge orthophonique (mais de toutes les disciplines médicales aussi…).
Une autre particularité vient du fait que les organismes payeurs ne se contentent pas de « bons » résultats aux tests de langage. Ils veulent qu’il y ait un transfert « fonctionnel » dans la vie de tous les jours. Ainsi, il faudra que la compréhension au quotidien soit améliorée, ou encore l’intelligibilité de la parole. Les orthophonistes doivent donc intégrer ces données dans leur plan de traitement. Ce qui ne semble pas stupide, hors du contexte du couperet permanent qui existe outre-Atlantique. Mais il faut aussi savoir que la moyenne des prises en charge remboursées ne dépasse pas 80 séances d’un quart d’heure, soit 20 heures. On imagine qu’il n’y a guère de place à la convivialité et que l’efficacité l’emporte à tout moment (ce qui explique peut-être le rôle central des « programmes »).
Face à ces « gardiens », les organisations professionnelles (en particulier l’incontournable ASHA = American Speech-Hearing Association) ont dû développer des recherches afin de déterminer « scientifiquement » les critères de durée de la prise en charge. Le NOMS (National Outcomes Measurement System = « système national de mesure du suivi ») a permis de rassembler de nombreuses données relatives à l’amélioration fonctionnelle suite à une rééducation. Car il y a nécessité de montrer que les progrès enregistrés chez un patient sont bien liés aux soins donnés…
Un outil spécifique (le FCMs = Functional Communication measures) décortique les différents aspects de la communication dans une pathologie afin de donner un guide de travail pour les orthophonistes dans leurs plans de rééducation.
L’étude présentée ici entre dans le cadre du NOMS. Elle a été effectuée dans un hôpital pédiatrique local et a concerné 234 enfants de 3 à 6 ans. Tous ces enfants avaient un score « pathologique » au FCM dans un ou plusieurs domaines, à savoir articulation/intelligibilité, compréhension orale, production orale. Le FCM est côté de 0 (aucune fonctionnalité du langage) à 7 (langage normal). Mais chaque changement de degré nécessite l’amélioration dans plusieurs tâches langagières. On peut donc considérer que ce changement représente un progrès certain dans la vie de tous les jours de l’enfant.
Passons sur la présentation statistique pour aller vers les résultats des cinq questions posées en hypothèse.
Mais notons au préalable ces éléments : environ 30 % des enfants n’ont pas enregistré de progrès au FCM. Cela ne veut pas dire que, au moins pour certains, ils ne se sont pas améliorés, mais simplement que le transfert dans la vie courante n’a pas été suffisant.
42%, soit la majorité, ont eu une augmentation de 1 au FCM (coté de 1 à 7), 23% ont eu une plus forte amélioration (de 2 à 3 degrés) et 4% seulement ont très nettement progressé…
Peut-être ceci devrait nous amener à quelques réflexions générales ?
1. Y a-t-il un lien entre nombre de séances et progrès au FCM ?
De façon statistique, on constate que les progrès au FCM sont corrélés à l’importance du nombre de séances.
Ainsi, en matière d’articulation, le groupe 0 (qui n’a pas connu de progrès) n’a reçu que 60 unités de rééducation ( de 15 minutes chacune soit 15 heures). Les groupes 2 et 3 ont reçu en moyenne 121 unités, soit 30 heures) et les groupes 4 et 5 (très forte amélioration au FCM) 263 soit 66 heures.
On retrouve les mêmes ordres de grandeur en matière de production ou de compréhension orale : les 15 heures de traitement ne semblent guère suffire puisqu’il y a pas d’amélioration au FCM. Et il faut autour de 25 heures (soit 50 de nos séances européennes) pour obtenir un progrès conséquent (2 et 3 au FCM).
Toutefois il faut noter que cette moyenne recouvre des différences très fortes entre les enfants : ainsi, en matière de production orale, pour un gain de 2 à 3 au FCM, on va de 8 à 298 unités pour un même progrès…. De même en articulation, de 20 à 436 unités…
2 Le nombre de séances nécessaire est-il en lien avec l’âge de l’enfant ?
De façon générale, le nombre de séances nécessaire est moindre pour les jeunes enfants : si l’on s’intéresse à la classe 2 et 3 de progrès au FCM, elle correspond (pour l’articulation) à 85 unités pour les enfants de 3 ans et à 123 pour ceux de 4 et 5 ans. Par contre, les résultats sont moins clairs à propos de la compréhension orale (86 unités pour les 3 ans, 139 pour les 4 ans mais 103 pour les 5 ans…) ou de la production (76 unités à 3 ans , 83 à 4 ans, 75 à 5 ans et 118 à 6 ans pour un progrès de 1 au FCM).
La difficulté vient également du faible nombre de cas ce qui rend aléatoire toute généralisation statistique.
3 L’enfant qui présente initialement un mauvais score a -t-il besoin de plus de séances ?
Les chiffres bruts semblent confirmer cette hypothèse : Ainsi en matière d’articulation, il faudra pour un gain de 1 au FCM environ 69 unités pour un enfant dont le niveau initial est faible, contre 48 seulement pour celui qui débute avec un meilleur niveau. Idem pour un gain de 2 ou 3 au FCM (146 unités contre 81 seulement). On retrouve les mêmes valeurs en production et en compréhension.
Hélas, aucun de ces chiffres n’est statistiquement significatif, ce qui enlève son efficacité à la démonstration, même si l’idée peut être conservée.
4L’existence de facteurs associés amène-t-elle une augmentation du nombre de séances ?
Notons avant tout ce que les auteurs (et le NOMS) considère comme facteurs associés : en vrac, l’autisme, les THADA, un traumatisme crânien, un trouble de l’audition, un retard mental, des crises d’épilepsie, une trisomie 21, l’I.M.C…. L’hétérogénéité est frappante et nous semble rendre délicate une réponse définitive à cette question.
Environ 50% des enfants traités dans cet hôpital pédiatrique présente de tels facteurs associés. Le nombre de séances nécessaire est alors plus important (par exemple de 90 à seulement 65 pour les troubles d’articulation, tous progrès confondus) mais jamais de façon significative au vu de la statistique. Par contre on peut noter que les enfants avec des facteurs associés montrent moins de progrès au FCM : par exemple 38% n’évoluent pas en matière d’expression orale, contre 24% seulement pour l’autre groupe, ou encore 43% contre 25% pour la compréhension orale.
5Les enfants qui ont reçu plus de 20 heures de traitement ont-ils davantage progressé que les autres ?
Bien que les résultats ne soient pas éclatants de limpidité, on peut remarquer qu’il faut toujours plus de 20 heures pour que le score au FCM s’accroisse de plus de 2 niveaux en matière de compréhension orale et d’articulation. Mais on peut également relever des contre-exemples…
Les conclusions apparaissent davantage comme des pistes que comme des éléments définitifs. Il semble par exemple qu’il est préférable d’intervenir tôt chez les enfants, ou bien qu’un niveau de base faible nécessite une plus longue intervention, ou encore qu’il faut souvent plus que les 20 heures généralement accordées pour parvenir à des résultats corrects. Un autre élément est sans doute important, à savoir le lieu de cette étude. Il s’agit d’un hôpital pédiatrique local et de ce fait, la population est probablement assez différente (troubles plus légers, moins complexes) que celle d’une école (dans lesquelles interviennent très souvent les orthophonistes aux USA). Il y a donc encore des travaux à réaliser pour obtenir des réponses précises à une question intéressante.
Pour en savoir plus :
* Treatment outcomes and efficacy in the schools
J. LOGEMANN in L.S.H.S.S., 1998,
* Collecting outcomes data in schools
T. GALLAGHER et coll., L.S.H.S.S., 1998
* Impact of managed care in the schools
O’BRIEN et coll. , L.S.H.S.S., 1998
Gregory JACOB et coll.
American Journal of speech-Langague Pathology, Novembre 2002, pp.370-380