Actualités Orthophoniques Juin 2000 (volume 4, n°2)
Nous savons dorénavant tous le rôle évident de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la lecture. Et nous savons aussi, par l’expérience, que les enfants présentant des troubles du langage oral ont souvent des difficultés lors de l’accession au langage écrit.
C’est autour de ces constats que l’auteur a développé ses hypothèses de travail :
• un travail sur la conscience phonologique pourrait-il améliorer les productions orales des enfants à problèmes (notion de SLI = spoken language impairment = trouble du langage oral) ?
• Est-ce que ce travail permettrait également d’aider à l’apprentissage de la lecture chez ces enfants S.L.I.
Il va utiliser un certain nombre de pistes issues des travaux dans ce domaine (ce qui permettrait au lecteur intéressé de s’ouvrir sur un champ d’investigations très large).
Par exemple, les travaux (assez bien connus chez nous) de Frith qui rappellent que le décodage phonologique du mot écrit tient pour une large part (surtout au tout début de l’apprentissage) à la connaissance orale de ces mots.
Ou bien tous les travaux montrant l’intérêt d’un exercice de la conscience phonologique chez les enfants sans troubles de langage. Ce qui ne peut que conforter nos approches, plus récentes.
Les travaux de Dahlgren (1997) montrent qu’une amélioration de la conscience phonologique peut exister chez des enfants SLI. Ceux de Larrivee et Catts, en 1999, lient les troubles phonologiques oraux avec le décodage difficile. Enfin, Leitao (1997) indique les difficultés de segmentation de phonèmes chez les enfants SLI.
L’auteur se penche ensuite sur la thérapie orthophonique traditionnelle en matière de troubles du langage oral, qui se concentre sur l’amélioration de l’articulation et de l’intelligibilté de la parole. Par contre, la capacité à analyser la structure des sons n’est que rarement développée et elle n’est donc pas facilement disponible pour l’enfant.
Dans un article de 1995, Dodds montre bien que des enfants ayant progressé dans leur langage oral (suite à une intervention orthophonique…) réussissent mal les épreuves de traitement phonologique et de lecture. L’orthophonie a amélioré l’expression orale, mais l’enfant ne parvient pas à une utilisation consciente et à une capacité à manier des lois phonologiques qui lui permettraient d’aborder la lecture, dans son lien avec le langage oral.
Un des objectifs de l’étude réalisée par GILLON est d’évaluer chez des enfants SLI les effets d’une intervention portant sur la conscience phonologique. Il s’agit aussi d’observer l’éventuel transfert vers la reconnaissance des mots et la lecture.
L’hypothèse est qu’un enfant SLI bénéficiant d’une intervention axée sur la conscience phonologique améliorerait davantage ses capacités de lecture qu’avec une intervention traditionnelle.
Un autre objectif est d’apprécier les effets de l’intervention sur l’expression orale de l’enfant, c’est-à-dire sur l’objet même des troubles initiaux.
Améliorer la conscience de l’enfant pour la structure sonore du mot pourrait entraîner des représentations phonologiques plus précises, pouvant conduire à une amélioration phonologique dans la parole.
L’étude, réalisée en Nouvelle-Zélande, portait sur 90 enfants : 30 témoins et 60 présentant des troubles du langage oral (mais bien sûr exempts de troubles intellectuels ou cognitifs). Les âges allaient de 5,6 à 7,6 ans (moyenne de 6,1 ans). Il faut savoir que l’enseignement de la lecture commence dès 5 ans (mais sous quelle forme ?) dans ce pays et que donc tous les enfants ont au moins six mois d’apprentissage derrière eux.
De nombreuses mesures ont été réalisées avant le traitement :
• tests d’articulation
• test de variabilité phonologique.
• Décodage et compréhension de la lecture à haute voix.
• Lecture d’une liste de mots de plus en plus difficiles
• Lecture de non-mots.
• Reconnaissance de mots de haute-fréquence dans les livres de premier apprentissage utilisés en classe.
• Identification des minuscules et des majuscules.
• Capacité à distinguer deux sons, à analyser le nombre et l’ordre des sons à l’oral
• Acitivités de maîtrise de la conscience phonologique (syllabes identiques dans deux mots, rimes orales, son initial, manipulation de phonèmes…)
4 groupes ont été formés selon le type d’intervention :
• intervention expérimentale
• intervention traditionnelle
• intervention minimale (de contrôle)
• groupe témoin
Dans le groupe 1, les enfants reçoivent 2 fois une heure par semaine d’un programme axé sur la conscience phonologique, et cela durant 10 semaines.
Les principes, tirés de nombreux travaux de recherche cités, sont les suivants :
• Il faut s’intéresser avant tout au niveau du phonème
• La correspondance lettre-son doit être privilégiée
• Les activités de segmentation des phonèmes sont importantes.
• L’enfant doit manipuler du matériel bien ciblé et on doit l’aider à réfléchir sur les tâches phonologiques.
• Une approche directe est davantage bénéfique.
• Une approche individuelle intensive est nécessaire pour les enfants lourdement troublés.
Les activités proposées sont classiques :
• Travail de rimes pour identifier les ressemblances dans des paires de mots donnés oralement.
• Manipulation phonémique de sons isolés. Par exemple, représenter le nombre de sons entendus et indiquer s’ils sont identiques ou différents par des cubes de couleur.
• Identifier des sons initiaux et finaux
• Segmentation et association de phonèmes.
• Lien entre oral et écrit.
Afin de maintenir l’attention de l’enfant durant une heure, chaque activité est présentée durant 5 à 10 minutes. Certaines activités sont faites en début du programme (rimes, segmentation..) alors que d’autres se situent vers la fin des 10 semaines.
Une activité est arrêtée lorsque l’enfant la réussit à 100% à trois reprises.
Le groupe 2 correspond à une intervention traditionnelle. Mais la quantité de soins reste identique.
Il s’agit d’améliorer les capacités phonologiques et langagières sur le versant expressif. L’intervention est orientée sur le phonème. On demande à l’enfant d’articuler des sons isolés, des syllabes, des mots et des phrases (Méthode Van Riper). Un programme spécifique aux enfants dyspraxiques (Nuttfield Centre Dyspraxia Programme – 1994) est également utilisé. Il s’agit, dans un programme gradué et progressif d’apprendre à l’enfant le placement et les mouvements nécessaires pour produire des éléments sonores puis de coordonner ces éléments simples en séquences.
Le groupe 3 est celui de l’intervention minimale :
l’orthophoniste voit l’enfant et ses parents une fois par mois et donne des conseils sur les activités à la maison ou à l’école.
Les résultats de cette étude apparaissent très intéressants :
A l’épreuve de Lindamood, significative de la maîtrise de la conscience phonologique, on constate une stagnation des résultats des groupes 2 et 3, une petite augmentation du groupe témoin (sujets « normaux ») et une forte augmentation (de 30% de réussite à 65%…) dans le groupe 1. On constate la même chose pour la lecture de mots isolés, la compréhension écrite ou la reconnaissance orale.
Mais on constate également une amélioration notable du langage oarl pour le groupe 1. Ainsi le pourcentage de consonnes correctes à l’oral passe de 23 à 53% pour un des enfants du groupe 1. Un autre passe de 37 à 66%….La suppression de la syllabe finale régresse également (par exemple de 27% à 6%, voire de 41% à 0%…).
On doit toutefois noter qu’une bonne progression existe également dans ce domaine pour l’intervention traditionnelle.
Ainsi donc, une intervention orthophonique basée sur la conscience phonologique permet à la fois d’aider à l’apprentissage de la lecture, mais aussi de permettre la régression des troubles du langage oral.
L’auteur suggère que le système traditionnelement proposé, à savoir un modèle linéaire à voie unique, allant de la phonologie de base à la conscience phonologique, n’est pas valable. Il faudrait davantage réfléchir sur un modèle à deux voies, la maîtrise de la conscience, la représentation de la structure d’un mot, la conscience même du son permettant d’avoir des indices pour rétablir un langage oral satisfaisant.
Toutefois, l’auteur souligne en conclusion qu’un certain nombre d’enfants (« les résistants au traitement ») n’améliorent pas leurs performances et qu’il faudrait donc travailler sur ce sujet (degré de sévérité, âge de l’intervention, milieu social…). De plus il ne faut pas négliger de travailler sur les autres aspects du langage, à savoir la sémantique et la syntaxe, qui ne profitent pas du travail sur la conscience phonologique.
Pour en savoir plus :
Articulation and phonological disorders
BERNTHAL et BANKSON
1998, Ed. Allyn & Bacon
Training phonological awareness
BRADY et coll.
Annals of Dyslexia, 1994, n°44
Causes of reading disabilities
CATTS et KAMHI
1999, in Language and reading disabilities, Ed. Allyn & Bacon
Enhancing the phonological processing skills of children with specific reading disability
GILLON et DODD
European Journal of Disorders of Communication, 1997, n°32
Early reading achievement in children with expressive phonological disorders
LARRIVEE et CATTS
J.S-L Pathology, 1999, 8, 2
Gail GILLON
Language, Speech, and Hearing Services in Schools, Avril 2000