The challenge of communication with persons with dementia

Actualités Orthophoniques Décembre 2002 (volume 6, n°4)
Michelle BOURGEOIS est sans doute actuellement une des orthophonistes américaines les plus en pointe dans l’intervention auprès des patients atteints par la maladie d’Alzheimer. En particulier, elle sait mêler rigueur technique et approche humaine, ce qui est un challenge souvent délicat dans ce type d’intervention.
Dans cette maladie qui est décrite comme un « long au revoir », il est du ressort des professionnels de santé de faciliter la vie du patient et de ses proches le plus longtemps possible. En particulier il est nécessaire d’apprendre aux accompagnants une large gamme de stratégies facilitatrices afin de maintenir une communication aussi satisfaisante et significative que possible et cela jusqu’au derniers instants.

Il n’est pas habituel que les troubles du langage soient à l’avant-plan en début de maladie. Les différents modules du langage – phonologie, syntaxe, lexique et pragmatique – sont le plus souvent bien conservés dans la démence, masquant souvent la détérioration cognitive. Les personnes démentes font des phrases grammaticalement correctes, composées de mots correctement prononcés et choisis sans erreur. Elles répondent aux demandes sociales et peuvent même initier des conversations. Les accompagnants nient totalement qu’il puisse exister des troubles du langage : rien n’est mal prononcé, les phrases sont correctes et on comprend clairement l’intention. Ce déni (tout à fait naturel…) peut être à l’origine de grandes difficultés de communication. L’accompagnant va répondre de façon littérale à une demande qui « en dit plus long ». ainsi, cet employé de banque qui a accepté des retraits fréquents et très importants d’argent tout simplement parce qu’il n’était pas alerté par un trouble de la parole !

On peut toutefois noter, dès le début des troubles, quelques signes langagiers qui montrent une légère détérioration. Par exemple, un léger problème pour trouver ses mots ; ou bien une difficulté à comprendre le langage abstrait ou à suivre une conversation complexe ; également quelques oublis précis pour des noms de personnes ou de lieux.

L’auteur présente ensuite le fonctionnement de la mémoire avec les composantes de la mémoire de travail ainsi que les différents types de mémoire à long terme. Elle va corréler les troubles (langagiers et mnésiques) avec ces différentes mémoires, même si les interrelations sont fortes.

• Les troubles liés à la mémoire sensorielle

Il s’agit d’une incapacité à enregistrer ou à reconnaître un stimulus sensoriel. Ainsi lorsqu’une personne se perd dans sa maison ou dans son univers quotidien, c’est parce qu’elle n’a pas su retrouver les indices visuels nécessaires à une bonne gestion de l’environnement. La précision des objets a tendance à s’amoindrir, provoquant des erreurs problématiques. Ainsi une ombre dans une pièce peut donner l’impression au patient qu’il y a quelqu’un. Une poubelle peut « devenir » un siège de toilette…. Ces troubles agnosiques concernent évidemment aussi le versant auditif. Certaines demandes ne sont pas entendues ou mal comprises provoquant des situations à problèmes. Dans le stade final, on voit souvent des patients qui fixent obstinément un objet, comme pour compenser par le regard l’impossibilité de trouver le nom qu’il cherche. Le soignant a un rôle important dans ce domaine, en activant les chemins visuel, tactile et auditif qui permettent l’accès au mot. Il peut rendre les éléments d’un objet plus visibles et les mettre en valeur.

• Les troubles liés à la mémoire de travail (encodage/décodage des informations).

On entre là dans un des problèmes essentiels rencontrés dans la communication avec les patients. L’accompagnant répond une première fois à une question (du genre « où allons-nous ? » « faire des courses ») et quelques minutes après la question est à nouveau posée, et cela de façon régulière et à intervalle rapproché, amenant une certaine exaspération, voire une exaspération certaine au bout d’un certain temps. Certains accompagnant finissent même par imaginer que le patient fait exprès, avec un esprit malin.

De toute évidence, l’encodage ne s’est pas fait…Et la première chose à faire est d’expliquer clairement à l’accompagnant les raisons du problème et le non fonctionnement de la mémoire. La situation est identique lorsque le patient ne peut enregistrer une demande trop longue ou complexe et n’en retient donc qu’une partie. Il est donc utile d’apprendre à l’accompagnant des stratégies pour limiter les effets de ces troubles mnésiques. Par exemple, ajouter un geste ou un dessin à une réponse. Ou bien décomposer une demande en petites étapes. Il faut dans tous les cas éviter de critiquer le patient ou de le presser, ce qui ne déclenche qu’irritation, agacement, perte de confiance et frustration.

• Les troubles liés à la mémoire à long terme (rappel des informations)

Toutes les personnes âgées (et pas seulement âgées…) oublient à certains moments un mot précis ou le nom d’une personne. Et en général le retrouvent quelques secondes ou quelques minutes après. Ce n’est pas le cas pour les patients déments, d’une part parce que le trouble est rapidement plus massif mais également parce qu’ils changent rapidement de sujet (et donc ne recherchent plus le mot !). Ce manque du mot, et le remplacement par des mots vides donnent rapidement au discours du patient une allure creuse. Mais les choses empireront ensuite jusqu’à ce que la conversation soit totalement vide de sens. Des emprunts à la question, des répétitions, des termes indéfinis comblent alors les mots manquants.

Il est difficile de lutter contre ce manque du mot et ce vide dans la conversation. Un des meilleurs moyens est de modifier systématiquement les questions afin d’obtenir une réponse par oui ou non, ou par un seul élément. A titre d’exemple contradictoire, à la question « combien avez-vous d’enfants ? des garçons ou des filles ? », le patient a répondu « des garçons et des filles, des filles et des garçons ». La question « combien avez-vous d’enfants ? 1, 2 ? » a provoqué la réponse suivante « 1,2,3,4 »… On comprend mieux que les questions doivent être en permanence calibrées et cette stratégie doit être enseignée et monitorée par l’orthophoniste.

• Les troubles liés à la mémoire à l’interaction entre les différents systèmes.

Un des comportements fréquents chez un patient dément est son « vagabondage ». La personne se promène dans la maison sans cohérence, passant d’une pièce à l’autre, sans rien y faire. Les accompagnants indiquent que « le patient ne veut rien faire, ni maintenant ni à un autre moment, juste s’asseoir et attendre ». En fait, le patient était sans doute parti pour exécuter quelque chose qu’il a oublié en route. Sur son chemin, l’esprit donc « libre », le patient va avoir son attention ?accrochée? par quelque chose et il va donc suivre cette nouvelle idée, et donc aller quelque part…et il oublie à nouveau….Les nouveaux « indices » qu’il trouve sur sa route supplantent les informations premières et lui font oublier son but.

D’autres comportements sont du domaine de la perte mnésique et non du trouble psychiatrique. Ainsi un patient peut être agité en permanence car il ne parvient pas à trouver les mots pour expliquer ce qu’il voudrait faire. Ainsi un patient qui semble faire de la résistance à une action n’a peut-être pas compris ce qu’on lui demandait. Ainsi lorsqu’une personne gémit ou pleure, c’est peut-être parce qu’elle ne peut plus trouver les mots pour expliquer ses états d’âme.

Dans tous ces cas, il est nécessaire de revenir vers le patient et de communiquer avec lui pour essayer de comprendre. Mais il est habituel d’ignorer les patients qui n’expriment rien de précis, renforçant ainsi le comportement problématique. Ceci est surtout vrai dans l’évolution de la maladie. Selon Beck, les comportements difficiles correspondent à des besoins qui ne se croisent pas. Les réactions des accompagnants vont correspondre à leur compréhension du trouble du patient. S’ils ne le comprennent pas, ils seront agacés, voire énervés. S’ils comprennent le « sens » du comportement, ils vont essayer d’interpréter la demande du patient et éviter le renforcement de son comportement.

Au delà des stratégies globales, que l’on pourrait considérer comme des attitudes générales vis-à-vis du patient, des interventions plus ciblées sont nécessaires de la part de l’orthophoniste.

• Stratégies pour améliorer la mémoire sensorielle.

Il est nécessaire de porter davantage d’attention aux indices sensoriels. Par exemple, il faut agrandir les caractères des mots, utiliser des couleurs claires voire fluo pour soutenir l’attention, mettre en valeur certains éléments, créer des situations bien contrastées. Des objets personnels peuvent aussi être utilisés.

Par exemple, des photos des personnes collées sur la porte des chambres (ou le nom écrit clairement en gros caractères) évitent des erreurs de chambre. Il est même possible de personnaliser davantage chaque porte avec des objets personnels.

Par exemple, un objet personnel bien évident (un vase avec des fleurs..) permet de retrouver plus facilement la table du repas. L’utilisation de couleurs dans les couloirs est devenu habituel dans les maisons de retraite. De même, mettre un tapis épais et coloré devant la sortie permet d’alerter le patient. Etiqueter les tiroirs d’une commode ou les étagères d’une armoire permet de limiter des recherches sans fin.

Dans certains cas, il est possible d’utiliser des aides mnésiques externes. Il faut utiliser ce qui est le plus évident pour un patient, donc ce qui automatiquement le met en alerte. Par exemple, un sonnerie classique de réveil, ou une sonnerie caractéristique de porte, ou encore une minuterie de cuisinière. La perception de ces sons est automatique, non conscient et donc résistant à la détérioration mnésique. Un autre exemple, qui commence à entrer dans les habitudes est celle de la fermeture des portes d’une voiture, avec les lampes qui clignotent, permettant de retrouver facilement son véhicule (NDLR : c’est vrai, je fais comme cela aussi…). En matière visuelle, certaines aides sont également automatisées comme les Post-It sur le réfrigérateur ou l’usage d’un calendrier mural ou encore les boîtes à médicament.

Par contre, à la fois à cause des troubles d’encodage et des troubles visuels et/ou auditifs fréquents à cet âge, il n’est pas possible en général d’apprendre à utiliser des aides totalement nouvelles ou d’un maniement complexe.

• Stratégies pour améliorer l’encodage

Il est nécessaire de créer des stratégies compensatrices à l’incapacité d’encodage de fait nouveau par le patient. Nouveau veut dire réellement nouveau ou simplement un fait ancien rappelé par l’accompagnant parce qu’il est oublié. Un livre de mémoire constitue un intéressant outil où sont rappelés les faits importants. Leur « mémorisation » change de statut passant de l’obligation du souvenir à la simple utilisation du livre. Ainsi une photo de la tombe de son épouse avec la phrase suivante : « Lily, votre femme, est morte du cancer en 1975 » évite les questions permanentes sur le sujet. De même, il est possible de noter de nombreux éléments dont la demande est fréquente et de proposer au patient de se reporter au livre de mémoire. La répétition de questions baisse sensiblement avec l’utilisation d’un tel livre.

D’autres aides peuvent exister, comme les agendas, les répertoires téléphoniques ou les organisateurs du type Palm. Mais elles nécessitent impérieusement une utilisation préalable à la maladie, ou un apprentissage long (mais possible) car elles sont souvent complexes. De plus il est souvent peu aisé d’intégrer ces aides dans la routine quotidienne.

Afin de faciliter l’apprentissage de nouvelles informations, CAMP et coll. ont mis au point une méthode appelée « Rappel espacé ». Cette méthode repose sur la mémoire implicite (voir Schacter) qui est une forme inconsciente de stockage.

Lors d’une session d’apprentissage (à titre d’exemple…), le thérapeute demande au patient : « Vous rappelez-vous à quelle heure a lieu le déjeuner ? » et le patient doit répondre « Je regarde dans mon agenda ». Le thérapeute félicite le patient et lui demande de bien retenir la réponse car on lui redemandera cela. Après un temps déterminé, le thérapeute pose la même question. Si la réponse est bonne , on augmente le temps avant de poser à nouveau la question. Sinon, on raccourcit le temps. Et ainsi de suite. Selon l’auteur, la méthode donne de bons résultats pour stocker des informations nouvelles à long terme.

• Stratégies pour améliorer le rappel.

Lorsque le rappel pose problème, il faut utiliser des aides extérieures : par exemple, des cartes d’indices, ou une montre, ou un agenda, ou encore des livres de mémoire. Lorsque le patient en est capable, l’utilisation de systèmes électroniques est idéal car ils sont puissants, adaptables et rapides. Mais ils sont également complexes et peu habituels pour les personnes âgées de notre époque (NDLR l’histoire nous dira ce qu’il en sera dans 30 ans…).

Les informations de ces livres sont sous forme écrite, et renvoient le patient vers le bon chemin. M. Bourgeois suggère que la langue écrite est mieux conservée chez le dément et elle a donc mis au point un portefeuille de mémoire, composé d’une trentaine de pages, avec une phrase ou une image par page, qui permet d’améliorer la communication du patient, d’éviter les demandes répétitives et les fréquentes ambiguïtés.

De façon générale, tout ce travail de stratégies doit être précédé par une évaluation fine de l’environnement du patient : son niveau d’études, son expérience des technologies nouvelles, son stade de dégradation cognitive, sa perception de ses problèmes de mémoire et sa motivation à lutter. Sans cette évaluation, les tentatives risquent d’être vaines, voire néfastes lorsqu’elles inspirent au patient un sentiment d’échec.

Un autre point essentiel est d’essayer de mettre en place un maximum de stratégies au plus tôt dans la maladie afin d’en faire des habitudes avant la détérioration. Enfin, aucune stratégie ne peut être applicable si elle ne fait pas l’objet d’un entraînement précis, progressif et contrôlé.
Michelle BOURGEOIS

Alzheimer’s care Quarterly, Printemps 2002 .