Targeting temporal processing deficits through Fast ForWord: Language therapy with a new twist

Actualités Orthophoniques Mars 2000 (volume 4, n°1)
La présentation précédente cite en référence le Fast ForWord. C’est ce même jeu vidéo qui a récemment fait couler beaucoup d’encre par sa grande médiatisation et son caractère quasi-miraculeux…Nous pensons donc utile de vous présenter l’ article récent américain qui le commente.
Soyons bien clair : Il s’agit (comme toujours d’ailleurs) d’une présentation et non d’un quelconque acquiescement de cette méthode. A chacun de vous de juger selon vos modèles et vos approches cliniques.

L’auteur évoque d’abord les différentes recherches dans le domaine, en débutant par les plus anciennes, dans les années 70. par exemple, il avait été remarqué que des intervalles silencieux entre deux éléments auditifs successifs facilitaient la perception. De même en augmentant l’intensité d’un des éléments d’une séquence, ou bien en faisant varier la durée des différents éléments. Les éléments de parole (ou ressemblant à la parole) sont plus facilement repérables que les sons non-verbaux.

De nombreux travaux ont essayé de lier capacités auditives d’origine centrale avec les possibilités de communication. Dès 1968, Eisenson souligne le lien entre une perception auditive défectueuse et les troubles du langage. Il pense qu’il existe un lien direct entre la perception auditive, le langage et les troubles phonologiques.

D’autres auteurs pensent que la discrimination des séquences sonores était un pré-requis pour l’acquisition du langage.

Toutefois, dans le même temps, plusieurs auteurs proposaient d’autres approches et ne validaient pas le rôle spécifique des capacités auditives dans le développement du langage. D’autres éléments, comme la vitesse, la durée, l’intensité ou la fréquence, ont été proposés comme déterminant au même titre que la capacité auditive.

C’est naturellement Paula Tallal qui par une série de travaux parus depuis près de 25 ans a mis en avant le lien direct entre les difficultés de langage et des troubles auditifs temporels. Selon elle, les difficultés de langage puis de lecture proviennent des difficultés de perception temporelle des stimuli verbaux.

Elle note que les enfants ayant des troubles du langage ont plus de difficultés à juger de l’ordre de stimuli auditifs, sauf si les intervalles entre les stimuli sont significativement augmentés par rapport aux enfants « normaux ». De même, ils perçoivent mieux les sons vocaliques que les consonantiques, sauf si la voyelle est immédiatement suivie par un autre stimulus.

Pour Tallal, certaines habiletés dans le traitement des stimuli rapides ou de transition doivent être présentes lors de l’apprentissage du langage. Dans le cas contraire, on voit apparaître des troubles du langage.

C’est cette hypothèse qui constitue la base théorique du Fast ForWord.

Certains auteurs ont nié cette proposition théorique, mettant par exemple en avant les troubles de l’attention (Stark) voire renversant l’alternative, comme Bishop (1992) qui pense que c’est le trouble d’apprentissage qui est à l’origine de la mauvaise performance de certains enfants dans les tâches auditives. Ces enfants auraient de mauvais résultats parce qu’ils ne seraient pas familiers avec les mots proposés dans les épreuves (du fait de leurs troubles du langage) ou qu’ils auraient du mal à les nommer facilement. Le trouble dans le traitement auditif ne serait alors que la conséquence d’un trouble linguistique plus global.

En 1995, d’autres auteurs (Studdert-Kennedy et Mody) remarquent que les enfants échouent lorsqu’on leur présente des stimuli de parole synthétisée, mais pas lorsqu’il s’agit de signaux non-verbaux ayant pourtant des propriétés identiques à celles des stimuli verbaux. Les enfants à problème de langage réussissent aussi bien que les autres aux épreuves comportant des stimuli non verbaux, ce qui suppose que les troubles ont une autre origine (phonologique par exemple).

Les bases théoriques posées et discutées, passons au Fast ForWord lui même. Sa conception repose sur une étude de Merzenich et coll., en 1995, portant sur l’animal et indiquant que certaines habiletés dans le traitement d’informations sensorielles pouvaient être améliorées par une pratique intensive.

Tallal et coll. ont donc mis au point des expériences, dont les résultats se sont avérés prometteurs. En effet, après avoir « travaillé » avec des jeux vidéo, avec des stimuli acoustiquement modifiés, les enfants avec des troubles du langage ont progressé de plus de 18 mois à des épreuves d’évaluation du langage. Ce qui renforçait évidemment la base théorique initiale.

Le Fast ForWord pouvait donc voir le jour, et il fut proposé aux orthophonistes en Mars 1997.

Il s’agit d’un logiciel destiné à entraîner certaines habiletés dont les enfants à problème auraient besoin pour comprendre, parler ou lire. Les exercices proposés dans les différents jeux comportent de la parole acoustiquement modifiée, ce qui permet, au terme de l’apprentissage, de discriminer des différences subtiles de sons. Il s’agit donc d’entraîner les enfants en présentant des sons et des mots à des vitesses s’accroissant jusqu’à parvenir au débit de la parole normale.

Sur le plan concret, les clients doivent acheter une licence d’utilisation auprès de la société « Scientific Learning Corporation » (SLC) et travailler avec un orthophoniste. Ils peuvent travailler à la maison ou au bureau du professionnel, voire même à l’école.

Le Fast ForWord comporte sept jeux (voir liste en annexe)

L’enfant doit jouer chaque jour à cinq jeux qui sont choisis par le programme ce qui doit représenter 100 minutes (eh oui, 1h40…) quotidiennement ! soit environ 20 minutes par jeu. Il faut jouer 5 jours par semaine.

Lorsque l’enfant obtient des résultats corrects au premier niveau, le programme passe directement au suivant. Il y a cinq niveaux par jeu.

Le premier niveau comporte des stimuli auditifs particulièrement modifiés de façon électronique. Les signaux digitalisés sont manipulés de telle façon que la durée et l’intensité de certains phonèmes ou de certaines transitions soient augmentées. Ces modifications sont ensuite diminuées à chaque niveau pour arriver à une parole normale au cinquième niveau.

Il s’agit donc « d’entraîner le cerveau » (« train the brain ») .

L’objectif est de réaliser au moins 80% de réussite (c’est-à-dire arriver au cinquième niveau) à au moins cinq jeux sur les sept proposés. Au rythme proposé par la Société, cela représente environ 6 semaines de travail.

C’est le responsable du programme (en général un orthophoniste) qui décide de l’arrêt du travail. La licence expire à ce moment et le logiciel est rendu par l’utilisateur.

Le Fast ForWord peut être joué en solitaire par un enfant. Mais il est très conseillé qu’un adulte soit présent, permettant une aide comportementale (relaxation entre les jeux, feedback favorisant..). Les repos ne doivent pas être pris au cours d’un jeu. Certains enfants ayant des problèmes d’apprentissage ou d’attention nécessitent la présence permanente d’un adulte.

Les résultats sont envoyés chaque jour via Internet à la Société « Scientific Learning Corporation » pour être analysés. La confidentialité est réalisée par un mot de passe délivré à l’orthophoniste…. Par la suite, des tableaux et des graphiques peuvent être imprimés et remis aux familles.

Qu’en est-il de la clientèle potentielle ?

Il s’agit d’enfants de 5 à 12 ans, présentant des difficultés dans un des domaines suivants :

Conscience phonologique, compréhension orale, lecture ou écriture, compréhension de consignes ou de concepts, discrimination de mots, langage non approprié à l’âge .

Une évaluation préalable est souhaitable, mais elle n’est pas obligatoire…

Toutefois, dans la mesure où ce sont principalement des orthophonistes qui supervisent ce programme, il est habituel de faire passer un bilan préalable, qui servira de référence pour apprécier l’évolution.

Qu’en est-il des résultats (selon la Société SLC ?)

Les orthophonistes et les parents notent des progrès dans toutes les catégories du langage : vitesse de traitement auditif, mémoire de travail, conscience phonologique, utilisation de la syntaxe, compréhension…Les enseignants remarquent que les enfants sont plus attentifs en classe, plus intégrés aux activités de la classe et ont davantage de confiance en eux.

Deux études ont été réalisées par Tallal et son équipe portant sur plusieurs centaines d’enfants. Pour ceux qui ont achevé le programme, 90% obtiendraient des améliorations significatives aussi bien dans les activités de discrimination auditive, qu’en compréhension ou en expression orale…

De même la passation du Token Test pour enfants (test de compréhension) ou celle du CELF (important test d’expression et de compréhension aux USA) montre une amélioration nette des résultats après le programme.

Selon des articles parus en 1997, sous la plume de…Tallal, des résultats intéressants apparaissent avec d’autres catégories d’enfants comme ceux présentant des troubles d’attention ou des désordres autistiques.

L’auteur de l’article propose en conclusion les avantages et les inconvénients du Fast ForWord :

Les avantages :

• Les données sont particulièrement faciles à obtenir et à traiter, facilitant l’analyse des progrès. Des graphiques aident considérablement la perception de l’évolution .

• la technologie informatique permet de proposer des stimuli parfaitement adaptés, stables et répétables.

• L’aspect « jeu » (avec graphismes et animations) de ce programme favorise la participation de l’enfant, qui sera davantage interactif et plus attentionné.

• Les stimuli utilisés sont particulièrement contrôlés. Il n’y a pas d’indices suprasegmentaux (du type gestes ou intonation) habituels dans la thérapie classique.

• A la différence d’autres programmes comme l’A.I.T. (Auditory Integration Training, proche de la méthode Tomatis ), le Fast ForWord est utilisé par des personnes certifiées, le plus souvent des orthophonistes. (NDLR : à l’heure actuelle en tout cas…). Ceci doit apporter rigueur dans la passation et qualité dans l’évaluation.

Ce programme est fortement basé sur les multiples travaux de recherche de Paula Tallal et ne sont donc pas empiriques.

Du côté des inconvénients, l’auteur propose 5 éléments :

• Le prix à payer reste élevé pour certaines familles, d’autant qu’il ne s’agit que d’une licence d’exploitation et non de la possession du logiciel. De plus, les familles doivent recourir à un orthophoniste, ce qui (aux USA) augmentent fortement la note…

• On peut remarquer que certains exercices proposés correspondent d’assez près aux éléments des principaux bilans de langage utilisés pour apprécier les progrès (par exemple le « Block Commander » est proche du Token Test). Ce qui bien sûr pourrait fausser la réalité des progrès.

• La communication ne se limite pas (loin de là) à des mesures chiffrées. Or c’est tout ce que délivre ce programme. Il serait sans doute utile d’apprécier (autrement qu’avec les dires des parents ou des enseignants) l’amélioration de la communication dans la vie de tous les jours et pas uniquement en situation de test.

• Ce programme a été mis sur le marché avant d’être validé quant à son efficacité réelle. Ce qui pourrait poser des problèmes éthiques. Toutefois, l’auteur de l’article rappelle que toute la thérapie n’est pas scientifique (loin de là) et que la formation des orthophonistes leur permet de choisir des méthodes convenables…(NDLR, ce qui pourrait sans aucun doute faire l’objet d’un réel débat…).

• Enfin, la thérapie est essentiellement réalisée par une machine, ce qui modifie sensiblement nos habitudes. Il serait sans doute nécessaire d’analyser le rôle que pourrait jouer la technologie dans la thérapie ainsi que les potentialités de traitement à distance (puisque l’ordinateur est alors chez l’enfant, même si une supervision régulière est réalisée par l’orthophoniste).

René DEGIOVANI

Liste des 7 jeux proposés par Fast ForWord.

Circus Sequence

Objectif : Obtenir une certaine vitesse de traitement dans les séquences temporelles.

Description : L’enfant doit reproduire en ordre une séquence de deux tons avec une intensité faible ou forte.

Old MacDonald’s Flying farm

Objectif : Apprendre à distinguer des changements de sons phonémiques.

Description : L’enfant doit cliquer sur la souris lorsque des animaux de la ferme produisent des syllabes sans signification et doit relâcher la souris lorsqu’il y a une nouvelle syllabe.

Phoneme identification

Objectif :Apprendre à l’enfant à reconnaître certains phonèmes.

Description : l’enfant écoute une syllabe cible (non significative) qui est suivie par deux propositions. Il doit identifier celle qui s’apparie à la cible.

Phonic match

Objectif : Développer la mémoire et le raisonnement avec des syllabes non significatives qui ne différent que par un seul phonème.

Description : Il s’agit d’une sorte de memory.

Phonic Word

Objectif : Apprendre à reconnaître des phonèmes et des mots qui ne différent que d’un seul phonème.

Description : Il y a sur l’écran deux images de mots qui ne différent que d’un seul phonème. L’enfant entend un mot et doit cliquer sur son image.

Block Commander

Objectif :Développer la compréhension orale et la syntaxe par l’utilisation de courtes phrases simples.

Description :l’enfant doit écouter (et donner une réponse) des consignes comportant un nombre de plus en plus grand d’éléments. Des manipulations de pièces électroniques de couleur et de forme différentes sont nécessaires.

Language comprehension builder

Objectif : Proposer des phrases de plus en plus complexes y compris avec des éléments syntaxiques. Description : L’enfant entend des phrases de plus en plus longues et complexes. Il doit choisir l’image correspondante sur l’écran .
Tina VEALE

Language, speech, and Hearing Services in Schools, 1999, vol.30, n°4