Sémiologies des bégaiements

Actualités Orthophoniques Septembre 2002 (volume 6, n°3)
Le bégaiement est un trouble de la parole et de l’émission motrice du langage dans son écoulement fluide avec une élaboration symbolique restée intacte.

Les progrès des techniques électroglottographiques, électromyographiques et surtout les analyses neuropsychologiques et l’imagerie radiologique du cerveau ont permis une compréhension nouvelle des bégaiements. « Les hypothèses neurologiques récentes considèrent comme secondaires les manifestations du bégaiement. »
L’analyse des symptômes sera l’objet de cet article d’Anne VAN HOUT qui est neuropsychiatre à Bruxelles et qui a coordonné plusieurs ouvrages dont l’un est intitulé « Les bégaiements » en collaboration avec Françoise Estienne.

Bien entendu les premiers symptômes caractérisants les bégaiements sont les signes langagiers :

• Les ajouts de langage : ce sont des répétitions de syllabes, phonèmes ou mots. Le pourcentage retenu de survenue qui traduit un bégaiement est égal à 2% du corpus. Ce sont des difficultés à coordonner les mouvements articulatoires, une force articulatoire majorée en début de mots , le plus souvent accompagnées d’un rythme de parole trop rapide. On peut également enregistrer des prolongations de la durée de prononciation de certains phonèmes.

• Les retraits de langage : arrêts subits d’émission de la parole. Ces arrêts peuvent être un blocage de cordes vocales en abduction ou adduction. Ils peuvent aussi être volontaires ce qui laisse le temps au sujet bègue de réfléchir à une stratégie de parole lui permettant d’éviter ces difficultés.

• Les changements de mots : le sujet bègue va remplacer les « mots craints » (ceux entraînant un bégaiement sur certains phonèmes).

Les signes moteurs d’opposition au bégaiement : ce sont des signes secondaires permettant à la parole de démarrer ou semblant aider à la production d’un mot. Ils sont variés : hochements de tête, clignements des yeux, balancements des bras etc…Ces manifestations motrices peuvent être d’amplitudes variées.

Il existe également des signes moteurs destinés eux à tenter d’éviter la sensation de fixité des organes phonateurs (déviation de la bouche,détournement des yeux).

Dans les bégaiements très sévères, peuvent apparaître des tremblements résultant d’une tension musculaire maximum.

La face cachée de l’iceberg : les deux premiers paragraphes ont décrit les phénomènes extérieurs visibles par autrui. Mais le bégaiement génère des craintes qui elles-mêmes engendrent une aggravation du bégaiement. Il n’y a cependant pas de règles. Certains sujets bégaieront plus avec leur supérieur hiérarchique, d’autres avec leur famille. La situation la plus stressante pour tous restant le fait de s’adresser à un inconnu.

Ce que l’on peut retenir des différentes études, c’est qu’elles ne montrent pas une personnalité spécifique du bègue, mais les échecs successifs de communication verbale finissent par les rendre silencieux en public. Peu à peu le bégaiement devient l’objet unique de leur pensée et les thérapies pour qu’elles soient efficaces doivent prendre en compte ce fait : faire d’abord accepter au bègue son bégaiement pour le faire accepter à autrui.

Chez le jeune enfant, les bégaiements alternent des périodes de répétition avec des périodes sans dysfluence. Plusieurs stades évoluent avant l’installation d’un bégaiement véritable : 1 – le stade « alpha » généré par des conditions de stress avec des dysfluences peu sensibles

2 – le stade « bêta » qui montre des répétitions plus importantes de syllabes ou de phonèmes

3 – le stade « gamma »: une tension se surajoute au stade précédent et l’aggrave . Des blocages apparaissent au niveau des organes phonateurs. Des pauses ou des allongements deviennent perceptibles par autrui.

4 – le stade « delta » : 40% des enfants bègues entrent dans ce cas. Des symptômes secondaires se déclarent de plus en plus (fixité des yeux, mouvements des membres).

Certains enfants débutent directement au stade delta ce qui peut entraîner une régression comportementale importante sinon un mutisme.

L’influence de l’environnement dans les manifestations du bégaiement est réelle et plus marquée que pour les autres troubles du langage.

Les facteurs environnementaux prédisposant au bégaiement sont :

– Un rythme de langage trop rapide en direction de l’enfant.

– Des constructions syntaxiques et un vocabulaire trop complexes pour l’enfant.

– Un temps de parole accordé à l’enfant trop réduit.

– Une demande de langage inadaptée de la part des parents.

On relève aussi qu’une vie trop bien remplie d’activités diverses sans repos représente une source de tension. On a constaté que de simples aménagements d’emploi du temps de l’enfant permettant de « souffler » entraînaient une réduction du bégaiement.

L’analyse de la parole de l’enfant constitue un moyen sûr de détection de l’enfant à risque. Les caractéristiques des enfants futurs bègues étant parfaitement cernées, ces examens neurolinguistiques précoces doivent entraîner une remédiation systématique même si certains enfants guériront seuls.

Pour en savoir plus :

CONTURE E., ROTHENBERG M.,MOLITOT R. (1986) Electroglottographic observations of young stutterer’s fluency, Journal of speech and hearing research. 29, 384-393.

STRAKWEATHER C., (1987) Fluency and stuttering. Prentice Hall, Englewood Cliffs.

VAN HOUT A., (1999) Conduite à tenir en présence d’un bégaiement chjez l’enfant. Archives françaises de pédiatrie, 6, 78-86.
Anne VAN HOUT

Langage & pratiques, n°29, Juin 2002