Variabilité individuelle dans le fonctionnement de la mémoire épisodique au cours du vieillissement normal et pathologique :
le rôle de la réserve cognitive
C. BASTIN et coll
Revue de Neuropsychologie 2013 – N°5-4 Octobre/Décembre 2013
On connaît bien le déclin mnésique en lien avec l’âge et aux changements cérébraux qui l’accompagnent (réduction de la densité de la matière grise et perturbations de la connectivité en particulier dans le cortex pré frontal.
Toutefois il existe une grande variabilité individuelle qui s’accentue avec l’âge : les modifications cérébrales varient selon les individus ainsi que leurs capacités mnésiques.
Une première hypothèse (Nyberg) propose qu’il existe une relation entre le degré d’atteinte cérébrale et ses conséquences cliniques, ce qui n’est pas toujours vérifié dans les études. Il semble exister des facteurs qui modulent l’impact clinique des modifications cérébrales, d’où la notion de « réserve cognitive ».
La réserve peut prendre deux formes :
o elle pourrait refléter des différences individuelles dans la taille du cerveau (concept quantitatif et passif)
o ou bien , sous une forme plus dynamique, il y aurait une variabilité dans la façon dont les personnes « utilisent » leur cerveau pour un processus cérébral donné et cela de deux façons.
La notion de « réserve neurale » correspond à « une plus grande capacité, flexibilité et efficacité dans l’utilisation des réseaux cérébraux » chez les personnes ayant une bonne réserve. Pour les tâches de bas niveau, il y aurait une moindre activation et pour les tâches plus difficiles, la personne serait capable d’accroitre son niveau d’activation. S’il y a dégradation cérébrale, ces mécanismes permettraient de mieux faire face aux difficultés.
La notion de « compensation neurale » consiste à pouvoir modifier les stratégies cognitives en recrutant d’autres zones cérébrales pour réussir une tâche.
Tout cela serait en corrélation avec des capacités innés (Q.I. élevé, niveau d’études, nature de la profession, qualité du réseau social, variété des loisirs et pratique de l’exercice physique).
Dans le cas de l’apparition d’une maladie d’Alzheimer, cette réserve permettrait de différer le moment d’apparition des troubles. Ainsi il faudrait plus de pathologie pour que les troubles cognitifs se manifestent.
Toutefois les premières études montreraient que cela n’empêcherait pas la neuropathologie de se développer. Des études plus récentes sont moins catégoriques, notant une moindre accumulation de plaques séniles chez des sujets âgés sains lorsqu’il y a des activités physiques et mentales stimulantes.
Plusieurs études ont montré le rôle positif d’une scolarité de qualité sur les performances mnésiques des patients normaux ainsi qu’une atténuation du déclin mnésique dans le cas de l’existence d’une réserve. Dans la célèbre et si utile étude PAQUID, un faible niveau scolaire ou un réseau social faible entrainerait un plus grand risque de Maladie d’Alzheimer.
La neuro imagerie est venue conforter ces données : à l’IRM fonctionnelle, on noterait chez les personnes âgées avec une réserve cognitive une activation d’aires cérébrales supplémentaires (frontales essentiellement) évoquant un recrutement compensatoire bilatéral.
Un second profil (celui d’efficacité cérébrale) serait caractérisé chez les mêmes personnes par une moindre utilisation des zones habituellement utilisées mais avec un résultat équivalent, donc une utilisation plus économique des réseaux cérébraux.
On retrouve des éléments identiques lorsque le cerveau est au repos.
Une étude récente montre qu’un niveau d’études élevé était positivement associé à une plus grande connectivité fonctionnelle au repos entre le cortex cingulaire antérieur et l’hippocampe et le lobe frontal inférieur. Et cette meilleure connectivité est liée aux performances de mémoire épisodique et de fluence verbale.
En résumé, « la réserve cognitive permet une meilleure résistance aux changements cérébraux liés à l’âge ou aux pathologies. Elle s’accompagne de meilleures performances mnésiques et d’un moindre déclin cognitif dans le vieillissement normal ». Elle retarderait le moment de l’apparition des symptômes démentiels.
De nombreux facteurs contribuent de façon indépendante à la constitution de la réserve cognitive. Certains sont présents dès l’enfance (niveau d’études, QI, maitrise de la langue, degré d’accomplissement professionnel), d’autres peuvent se modifier tout au long de la vie comme les activités de loisirs et le réseau social.
Ces différents facteurs sont corrélés : par exemple le niveau d’études serait influencé par des éléments génétiques, par le niveau socio économique des parents et par les influences socio-émotionnelles au cours du développement. Le niveau socioéconomique de l’âge adulte aurait des retombées sur l’environnement et les comportements du mode de vie.
Toutes ces caractéristiques s’influenceraient pour créer un risque plus ou moins fort de démence. La réserve serait alors un processus cumulatif depuis l’enfance jusqu’au présent. Et dès lors cette réserve ne serait pas figée et pourrait être modifiée, même au cours du vieillissement. Par exemple l’engagement dans des activités stimulantes pourrait compenser un niveau d’études limité. De même la pratique de l’exercice physique.
Toutefois, ce domaine de la réserve cognitive n’a été que récemment exploré, et beaucoup de zones d’ombre ou d’incertitude subsistent. A revoir donc dans quelques années…..
Bibliographie sommaire (en français) :
« Réserve cognitive et fonctionnement cérébral au cours du vieillissement normal et de la maladie d’Alzheimer » KALPOUZOS et coll., PNPV, 2008, n°6
« Effets positifs de l’exercice physique chronique sur les fonctions cognitives des seniors : bilan et perspectives » AUDIFFREN et coll. Revue de Neuropsychologie 2011, n°3