Actualités Orthophoniques Septembre 2003 (volume 7, n°3)
La prescription de soins orthophoniques auprès des patients aphasiques ne semble guère soulever de problème dans notre système de santé, y compris pour les interventions au long cours. Ce n’est pas le cas dans certains pays anglo-saxons où un certain rationnement des soins allié à une vision peut-être différente de la notion même de prise en charge conduit régulièrement certains auteurs à s’interroger sur le bien fondé de la prescription. Les plus anciens se rappellent sans doute les articles de Lincoln, en 1984, qui tendaient à prouver que les volontaires non professionnels apportaient autant de progrès de langage aux aphasiques que les orthophonistes. Bien sûr, dans ce genre d’études, l’aspect méthodologique joue un rôle clé et il est souvent facile de démonter les artefacts. Mais il n’est jamais inutile de regarder de plus près ce genre d’études, qui peuvent apporter des éléments nouveaux pour une amélioration de notre travail.
La méthodologie retenu par S. BHOGAL, qui est un chercheur canadien, est celle de la revue de littérature. Une recherche dans les bases de données classiques (comme MEDLINE ou PASCAL) depuis 1970 a permis de sélectionner huit (oui, 8…) études sur le thème. Curieusement (ou est-ce plutôt un effet de mode à une certaine époque) toutes ces études ont été faites de 1982 à 1989. Depuis 13 ans, rien de nouveau…..
Quatre de ces études montrent un rôle positif de la rééducation orthophonique, et les quatre autres indiquent qu’il n’y aurait aucun impact significatif. Suivons S. Bhogal dans son cheminement : les quatre études positives représentent une moyenne de 8,8 heures de rééducation par semaine et durant 11 semaines, alors que les études « négatives » ne regroupent que 2h par semaine durant 23 semaines. Soit donc près de 100 heures de rééducation dans le premier cas, contre moins de 45 dans l’autre….
De plus, il y a une forte corrélation entre le nombre d’heures de rééducation hebdomadaire et les progrès des scores au Token Text (Compréhension orale) et au P.I.C.A. (Bilan de communication de Porch).
Pour S. Bhogal, la conclusion est simple et définitive : seule une rééducation intensive sur une courte durée permet des progrès, ce qui est en contradiction avec les pratiques orthophoniques canadiennes.
L’auteur s’intéresse ensuite à une forme de rééducation, que l’on pourrait nommer « rééducation contrainte ». Ce type d’intervention existe pour les extrémités des membres et a été proposé en 2001 dans un article de « Stroke » par Pulvermuller et coll. L’idée de départ est que les aphasiques chroniques utilisent les canaux de communication qui leur sont les plus accessibles, les plus faciles et les moins consommateurs d’effort (par exemple le geste, le dessin ou certains mots) pour communiquer. Il s’agit alors de les contraindre à laisser de côté ces canaux pour revenir à la communication verbale.
Cette stratégie repose sur trois principes :
• une intervention « lourde » durant un temps court (par exemple trois heures par jour durant 10 jours au lieu des 30 heures étalées sur quatre semaines)..
• une contrainte forte pour que le patient agisse d’une façon non préférentielle
• un travail sur les pratiques quotidiennes de communication.
Selon l’étude de Pulvermuller, les patients « contraints » montrent une amélioration nette, tant en compréhension orale qu’en dénomination, alors que les patients « classiques » n’évoluent pas. La communication quotidienne serait également augmentée de 30%. Notons que tous les patients de cette étude avaient déjà reçu précédemment une rééducation classique.
Pour l’auteur, cela donne un argument supplémentaire aux bienfaits d’une intervention courte et massive.
Un « grand classique » dans l’étude de l’efficacité de la rééducation orthophonique est de comparer l’intervention de volontaires avec celle des professionnels .
Ainsi en 1982, David fait une étude avec 155 patients, trois semaines après leur AVC. (NDLR : notez bien…3 semaines après l’AVC, soit en pleine période de récupération spontanée !!). D’une part un traitement de 30 heures sur 15 à 20 semaines par un orthophoniste « qualifié », d’autre part des personnes sérieuses qui ont accepté de passer deux heures par semaine avec le patient en l’encouragent à développer sa communication. Ces volontaires recevaient au préalable une information détaillée sur les troubles langagiers du patient. Dans les deux cas, il y a eu des progrès (NDLR : rappelez vous, 3 semaines après l’AVC…) mais aucune différence entre les deux approches…Et David de conclure que le traitement marche quelque soit la personne qui le délivre…Désespérant !!
En 1989, Marshall, un grand nom de l’aphasiologie américaine, propose une étude avec trois groupes, curieusement encore 2 à 24 semaines après l’AVC. Le premier groupe reçoit 8 à 10 heures de rééducation par semaine et pendant 12 semaines par un orthophoniste dans un lieu médical. Le second groupe (« groupe décalé ») ne reçoit aucun traitement durant les 12 premières semaines, puis 8 à 10 heures hebdomadaires pendant les 12 semaines suivantes. Enfin un troisième groupe reçoit un traitement décidé et dirigé par un orthophoniste mais administré par un volontaire (époux, membre de la famille, ami ou simple volontaire) dans les mêmes conditions que le premier groupe. Vous connaissez sans doute la conclusion. Aucune différence entre les groupes !!! Toutefois, on constate que le « groupe décalé » n’avait pas progressé après les douze premières semaines. La preuve donc de l’intérêt d’une prise en charge.
En 1986, Wertz, autre grand nom, avec une méthodologie proche, aboutit à des conclusions identiques : le traitement est utile, la prise en charge décalée n’est pas gênante et la « thérapie-maison » avec des volontaires donne des résultats identiques.
Enfin, Shewan et Kertesz, en 1984, montrent que le traitement orthophonique permet des progrès, alors qu’un groupe « rééduqué » par des infirmières stagne. Par contre, ils ne parviennent pas, du fait d’échantillons trop restreints, à indiquer quel type de rééducation (langagière ou de stimulation globale) serait la meilleure.
L’idée de favoriser une thérapie de groupe chez les aphasiques relève de deux notions :
• développer les échanges sociaux
• limiter les dépenses de santé !
En 1981, Wertz réalise une recherche avec un groupe d’aphasiques recevant une rééducation individuelle classique à raison de 4 heures par semaine et un autre groupe participant pour le même temps à une intervention de groupe.
Après 6 mois de traitement, l’auteur constate qu’il y a eu des progrès identiques dans les deux groupes.
Par contre Marshall en 1993 met en place un groupe destiné à ajuster au quotidien les difficultés de communication et à résoudre les problèmes de nature cognitive. Il constate que seuls les aphasiques qui participent beaucoup au groupe et qui s’intéressent aux autres progressent. Et il conclut donc en indiquant que les aphasiques chroniques, souvent « emmurés dans leur communication », ne sont pas de bons clients pour les groupes.
La conclusion de S. Bhogal est pour le moins chaotique : d’une part il dit qu’il faut commencer au plus vite la prise en charge, dès la phase aiguë, d’autre part, il rappelle qu’une prise en charge différée n’est pas problématique….
Il propose également de faire appel massivement à des volontaires pour pallier aux ressources limitées d’orthophonistes : volontaires qui seront sous contrôle des professionnels.
Enfin, il indique que la prise en charge doit être liée au maximum à la vie de tous les jours et s’intéresser aux comportements qui sous-tendent la communication.
Sanjit BHOGAL et coll.
Topics in Stroke Rehabilitation, 10,2, Eté 2003