Les approches thérapeutiques non pharmacologiques
des troubles du langage dans les variantes agrammatique
et logopénique de l’aphasie progressive primaire :
revue de littérature
S. ROUTHIER et coll.
Gériatrie et Psychologie, Neuropsychiatrie du vieillissement
Volume 11 – N°1 – Mars 2013-03-31
L’aphasie progressive primaire (dorénavant APP) est une maladie neurodégénérative avec au premier plan une détérioration progressive du langage. C’est donc un domaine particulièrement adapté à notre profession et qu’il nous faut maitriser au mieux dans l’optique d’une prise en charge.
L’APP s’inscrit dans le cadre des DFLT (dégénérescences lobaires frontotemporales).
La classification la plus récente (mais ce n’est ni la première ni sans doute la dernière…) propose trois entités :
– La démence sémantique, avec une anomie, des troubles de compréhension des mots, une alexie/agraphie de surface et un discours fluent.
– L’APP non fluente, avec un discours non fluent et hésitant, un agrammatisme, des distorsions phonémiques, des troubles articulatoires pouvant aller jusqu’à une apraxie verbale
– L’APP logopénique avec un discours non fluent, des difficultés à trouver des mots,des troubles de la répétition des phrases, des paraphasies phonémiques mais PAS d’agrammatisme.
Seules les deux dernières entités font l’objet de cette revue qui étudie 14 articles sur le sujet.
Trois approches rééducatives sont proposées dans ces articles :
- Approche de réapprentissage
Il s’agit de tenter de restaurer les fonctions langagières en déclin dans les domaines suivants : agrammatisme, anomie, compréhension et difficultés phonologiques.
- L’étude d’Henry en 2008 : Les tâches sémantiques choisies cherchent à « encourager la production d’items à l’intérieur de catégories sémantiques cibles et ainsi stimuler le réseau sémantique de façon intensive ». Six catégories sont étudiées dans une rééducation intensive sur 16 jours. Il y a une amélioration en dénomination sur les catégories travaillées, même à 4 mois après l’arrêt. Pour les catégories non travaillées il y a une amélioration, mais de moindre ampleur et sur un plus court terme.
- Dans l’étude de Jokel en 2009, sur la base d’une dénomination via un ordinateur et avec différents indices phonologiques, on note une amélioration assez généralisée mais qui disparaît complètement avant six mois.
- L’étude de Marcotte et Ansaldo associe une rééducation spécifique (la SFA, voir un prochain article sur notre site) à une analyse par imagerie cérébrale. On constate que les progrès sémantiques s’accompagnent de changements dans l’activation cérébrale, les zones de l’hémisphère droit s’impliquant fortement dans la dénomination des noms.
- Dans l’étude de Beeson, on note à nouveau l’importance d’une rééducation intensive (6 séances hebdomadaires pendant deux semaines accompagnées de travaux à la maison) mais également d’une thérapie très calibrée (par exemple, classement par catégorie, comparaison entre items selon les caractéristiques sémantiques, SFA…). On constate une amélioration et une généralisation, avec une modification des stratégies de recherche lexicale, corroborée par l’activation du cortex pré frontal.
- Farrajota compare une thérapie orthophonique « douce » (Travail de production et de compréhension orale et écrite à raison d’une séance par semaine pendant 40 semaines) à un groupe non traité. Peu de progrès et peu de différences entre les deux groupes.
- Mc Neil s’intéresse à une médication (dextroaphétamine, utilisé dans le TDAH ou pour limiter la fatigue dans l’armée) associée à une thérapie comportementale. Il ne note pas d’effet des médicaments comparé à une amélioration de productions de mots. Il considére qu’il aurait fallu une thérapie plus intensive pour parvenir à une généralisation.
En conclusion, toutes ces approches semblent mener à une amélioration du langage pour les tâches traitées et lors du traitement, avec un maintien et une généralisation très variables selon les études.
- Approche participative
Approche de type écologique dans notre langage…
- Murray a suivi une patiente porteuse d’une APP durant deux ans et demi avec trois traitements différents. Le premier reposait sur l’amélioration de la compréhension et de la production et n’a pas donné de résultats intéressants. Le deuxième était axé sur la production de dessins à partir de scènes illustrées : aucune amélioration globale. Le troisième visait à encourager une communication multimodale et fonctionnelle entre la patiente et son mari (jeux de rôle, programme PACE mais aussi visionnage des échanges qui étaient enregistrés afin d’analyser (et de corriger) les problèmes dans la communication. Les résultats s’annoncent très intéressants pour la communication.
- Cartwright a introduit le visionnage régulier de programmes télévisés afin d’améliorer la compréhension du discours. Une grille d’analyse était proposé après le visionnage et les résultats sont meilleurs par le développement d’habiletés de communication. Cette méthode était réalisée en groupe et la participation des patients à la communication du groupe s’est bien améliorée.
- Approche compensatoire
- Cress a travaillé avec un carnet de communication (informations personnelles) pour un patient, et avec deux tableaux différents pour un autre patient (symboles imagés et mots courts pour le premier, sujets abordés par les interlocuteurs et éléments facilitateurs d’échanges pour le second. La famille a reçu une formation spécifique. Les résultats sont très encourageants et montrent qu’une approche compensatoire débutée tôt dans la maladie a une meilleure réussite.
- Pattee insiste sur la motivation essentielle du patient pour parvenir à une amélioration.
En conclusion, les auteurs notent quelques points :
- La « nouvelle » classification (Gorno-Tempini) est très récente (sans doute pas définitive) et peu d’études a été réalisé dans ce domaine.
- Les approches bien construites sont à l’origine d’améliorations
- Il est nécessaire d’identifier des objectifs d’intervention spécifiques
- La mise en place des stratégies de compensation doit être précoce, compte tenu du caractère dégénératif de l’APP et de la nécessité d’intégrer ces stratégies lorsque les capacités communicationnelles sont encore présentes.
- Stabiliser les fonctions ou du moins freiner la dégradation constitue l’objectif de la rééducation dans les APP.
- La rééducation doit idéalement mener à l’obtention de résultats ayant un impact direct et rapide sur le quotidien de la personne et sur sa qualité de vie.
- Les nouvelles technologies bouleverseront peut être le traitement des troubles du langage.
Pour en savoir (un peu) plus :
– « Classification of primary progressive aphasia and its variants » de Gorno-Tempini et coll. In Neurology, 2011, n°76
– « Treatment for lexical retrieval in progressive aphasia » de Henry et coll. In Aphasiology, 2008, n°22