Réduire expérimentalement la négligence spatiale unilatérale : revue de la littérature.

Actualités Orthophoniques Mars 2000 (volume 4, n°1)
Cet article fait le point sur les différentes recherches ayant pour objectif la réduction des signes de négligence visuelle unilatérale (NSU). L’auteur nous rappelle, dans un premier temps, que pour un patient présentant une NSU, l’hémi espace controlatéral à la lésion cérébrale – espace personnel, extrapersonnel et même représenté – n’existe plus. Les recherches actuelles tentent de réduire transitoirement cette négligence visuelle à partir de diverses stimulations qui agiraient sur la structure de représentation égocentrique de l’espace et de son aspect référentiel. Localiser un objet implique passer d’une perception sensorielle spécifique à une donnée spatiale abstraite qui ne peut exister que dans un système de référence égocentrique dépendant de la position de l’observateur. Cette référence ou axe médian -correspondant chez le sujet normal à l’axe sagittal – permet donc de diviser l’espace en hémi espace droit et gauche et de diriger nos actions.
C’est – selon diverses études le cortex pariétal qui est essentiellement impliqué dans l’élaboration de notre représentation de l’espace. Diverses hypothèses ont été proposées associant une activité cérébrale asymétrique à un déplacement de la référence égocentrique. Pour ces auteurs la principale cause de la NSU consiste en une déviation ipsilésionnelle systématique de la référence égocentrique afin de réduire la négligence visuelle.

I – Effets de la stimulation vestibulaire calorique (SVC) sur la NSU.

Il s’agit d’introduire de l’eau froide dans le canal auditif externe. Chez le sujet normal cela provoque un réflexe vestibulo-oculaire avec la phase lente d’un nystagmus dirigée vers l’oreille stimulée. Chez le sujet cérébrolésé, ces stimulations vestibulaires ont été proposées depuis longtemps (1941). Plusieurs recherches ont montré de bons résultats transitoires, à savoir, pendant la SVC, orientation du regard vers la gauche, compensation d’une hémianopsie latérale homonyme et amélioration des performances en lecture. En 85, une étude plus complète a été réalisée à partir de SVC chaude et froide aux deux oreilles chez des patients cérébrolésés droits avec observation des possibilités avant, pendant et après la stimulation. Il en résulte une amélioration des capacités d’exploration de l’hémi espace gauche grâce à la SVC froide à l’oreille gauche et chaude à l’oreille droite avec des résultats plus rapides et plus performants dans le premier cas.

Malheureusement, ces résultats ne perdurent pas : cinq minutes après la SVC les signes de NSU réapparaissent déjà.

Au cours de la SVC, la plupart des patients modifient leur stratégie d’exploration de l’espace : avant la stimulation ils explorent l’espace de droite à gauche, s’arrêtant vers le milieu. Pendant la phase lente du nystagmus, ils explorent de gauche à droite avec plus d’attention et vérifient leur travail.

Les recherches ont été poursuivies et ont démontré :

– d’une part que le SVC peut également réduire temporairement la négligence personnelle et l’anosognosie.

– d’autre part que les signes des NSU peuvent aussi être réduits pour des tâches représentationnelles (ex : description verbale d’un lieu).

D’autres auteurs, observant la réduction grâce à une SVC de certains déficits somato-sensoriels – tels l’hémianesthésie – proposent l’idée que ces derniers pourraient être définis comme des manifestations de la NSU.

Enfin, la SVC ayant amélioré les performances motrices de certains patients présentant une NSU, certains auteurs ont émis l’idée d’une composante de négligence motrice au niveau du déficit moteur.

Aspects neuropsychologiques de la SVC :

Les diverses expérimentations chez l’animal proposent une projection corticale des afférences vestibulaires dans le lobe pariétal. Chez l’homme, les examens spécifiques, et en particulier la tomographie par émission de positons, localise la projection du système vestibulaire au niveau du cortex temporo-pariétal, de l’insula, du putamen et du cortex angulaire antérieur. Ces localisations restent les mêmes que les stimulations aient été réalisées (à l’eau froide) dans l’oreille droite ou gauche.

II – Effets de la stimulation orto-cinétique (SOC) sur la NSU.

La SOC se présente comme l’arrière-fond en mouvement d’une scène visuelle. Elle produit un nystagmus dont la phase lente est de même sens que le mouvement du fond. Ce réflexe permet de maintenir une image rétinienne constante quelque soit le mouvement contextuel (mouvement du corps, de l’observateur, ou mouvement de l’objet observé). Cela implique que le nystagmus soit prolongé pendant un certain temps (de façon plus importante qu’au cours d’une stimulation labyrinthique). Une étude de l’effet de la SOC a été réalisée sur des sujets normaux, des sujets cérébrolésés gauches sans signe de NSU et d’autres cérébrolésés droits avec signes de NSU, à partir d’une épreuve de bissection : indiquer par une marque le milieu d’une ligne (centrée sur le milieu saggital du sujet). La SOC modifie les résultats pour les sujets des trois groupes. Les patients présentant une NSU sont plus sensibles que les autres sujets à la SOC avec une majoration de la déviation de la marque médiane lorsque le mouvement de l’image de fond se dirige vers la droite.

La poursuite des recherches montre qu’il existerait chez le patient cérébrolésé une déviation de la représentation des stimuli somato-sensoriel en rapport avec le déplacement ipsilésionnel de la référence égocentrique. D’où une tendance, dans un cas de NSU, à percevoir systématiquement les stimuli à droite de leur position réelle.

III- Effets de la rotation du tronc sur la NSU .

L’effet de la rotation du tronc par rapport à la tête sur des temps de réactions saccadiques a été étudié dans le but de rechercher un lien de dépendance entre la référence égocentrique et la position dans l’espace de la tête et du tronc. Dans les cas de NSU, les temps de réaction c’est-à-dire de saccades visuelles vers la gauche sont les plus élevés. Lorsque la tête et le tronc sont alignés à 0°. Pour diminuer ces temps de réaction le patient doit réaliser une rotation du tronc sur la gauche.

IV – Effets de la vibration des muscles de la nuque, et de la stimulation électrique transcutanée sur la NSU .

Chez les sujets normaux, la vibration d’un muscle ou des tendons produit une décharge au niveau du système nerveux central, comme si le muscle était étiré. Cette vibration produit donc des sensations illusoires au sujet de la forme, de la position et du déplacement de la partie du corps concernée. Une stimulation des muscles de la nuque à gauche entraîne donc un déplacement des cibles visuelles vers la droite et un déplacement de la position subjective de la référence égocentrique. Des chercheurs ont, dès lors, tenté d’utiliser cette stimulation afin de compenser la déviation ipsilésionnelle hypothétique des patients présentant une NSU. Quant à la stimulation électrique transcutanée – utilisée dans les traitements contre la douleur – elle permet la diminution des signes de négligence visuelle gauche et l’amélioration de la représentation de l’hémi espace gauche.

V – Effets du port de lunettes prismatiques

Le port de lunettes prismatiques qui exposent à une distorsion du champ visuel entraîne dans un premier temps une désorganisation du système visuomoteur

ce qui se corrige peu à peu grâce à un système d’adaptation.

Cette capacité d’adaptation s’observe également dans les cas de patients cérébrolésés droits. Après le temps d’adaptation, lunettes retirées , le patient continue à s’orienter vers la gauche, ce qui réduit les signes de négligence visuelle.

VI – Effets de l’addition de plusieurs stimulation.

Une étude a permis d’observer que les effets positifs de deux stimulations simultanées – la SVC et la vibration des muscles de la nuque – ont tendance à s’additionner à condition que ces stimulations soient proposées en fonction de résultats optimum (SVC à gauche et stimulation de la nuque à droite).

VII – Discussion

On peut expliquer l’intérêt porté aux moyens de réduire expérimentalement les signes de NSU par le fait que la rééducation seule ne permet pas réellement une récupération. Grâce à cette rééducation, le patient parvient à orienter volontairement son attention vers l’espace contralésionnel. Cependant il ne récupère pas une orientation automatique de son attention.

L’auteur souligne l’importance du nystagmus dans le sens où il peut orienter l’attention du patient vers l’hémi espace négligé et donc augmenter les performances du sujet pour des taches visuelles mais aussi non-visuelles.

D’autres études confirment cette idée : ainsi on a constaté que l’extinction tactile gauche peut être réduite lorsque le regard est tourné vers la gauche. Une autre recherche a montré que l’on peut inverser la déviation lors de l’exercice de bissection simplement en modifiant le sens de l’exploration visuelle. L’effet positif du nystagmus paraît donc évident. Il reste à expliquer l’effet positif de la stimulation par rotation du tronc : il s’agirait d’un indice d’orientation explicite de l’attention d’où diminution de la négligence.

En résumé et selon les différents auteurs, toutes ces stimulations expérimentales auraient une influence transitoire positive sur la référence égocentrique – référence qui aurait été déplacée suite à une lésion pariétale droite. Cette interprétation porte toutefois à discussion.

Une autre approche propose la constatation de deux troubles au minimum pour pouvoir définir une NSU : une déviation de la référence égocentrique et un trouble attentionnel.

En conclusion , selon les hypothèses référentielles, la NSU serait dûe à une déviation de la référence égocentrique.

Il paraît utile de poursuivre les recherches à propos de la façon dont les sujets normaux d’une part et cérébrolésés d’autre part se représentent l’espace et dont ils y orientent leur attention. Ceci afin de concevoir des projets thérapeutiques d’autant plus utiles que la NSU reste une pathologie très invalidante.

Viviane REGNARD
Sylvie CHOKRON et Paolo BARTOLOMEO

Revue de Neuropsychologie, 1999, vol.9, n°2-3, pp.129-165