Quelques points de repère pour une didactique de la compréhension

Actualités Orthophoniques Septembre 2003 (volume 7, n°3)
Voici un article court mais très dense à propos de la compréhension, sujet relativement rarement étudié.

L’auteur, ancien instituteur et maintenant Professeur d’Université et chercheur, présente d’abord les trois types de traitements cognitifs, au vu des travaux de psychologie cognitive.
• L’identification des mots écrits

• Les micro-traitements.

Le lecteur relie les informations des unités primaires et construit une signification des groupes de mots.

• Les macro-traitements.

Il s’agit d’une représentation mentale de l’ensemble du texte.

Dès le traitement des premières unités d’un texte, le lecteur crée une représentation mentale, qui va évoluer au fur et à mesure de la lecture.

Pour comprendre un texte, il est nécessaire d’établir en permanence des liens entre les informations prises dans le texte et celles issues de connaissances antérieures. Le lecteur doit donc aller au-delà de ce qui est dit explicitement dans le texte.

L’auteur reprend les propos d’Umberto Eco : … « un texte vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le destinataire » et « un texte veut que quelqu’un l’aide à fonctionner ».

On sait que chez l’adulte, l’identification des mots est une opération très rapide, permettant ainsi de dégager des ressources cognitives pour les micro et macro-traitements. Il n’en va bien sûr pas de même pour l’apprenti-lecteur.

« La qualité de la compréhension des textes est directement dépendante du degré d’automatisation des procédures d’identification des mots » qui s’évalue en mesurant la vitesse de lecture de mots isolés. La capacité de reconnaissance rapide des mots est indispensable à un bon niveau de lecture. Le lien entre les difficultés de compréhension et cette capacité est très fort.

Toutefois d’autres raisons peuvent exister (syntaxe, autocontrôle, connaissances préalables….).

Trois sources majeures de difficultés de compréhension existent :

• Les difficultés de « bas niveau » (faiblesse de l’automatisation de l’identification des mots)

• Les déficits généraux non spécifiques (que l’on retrouve aussi à l’oral)

• Les déficits spécifiques au traitement de l’écrit.

Le contrôle métacognitif en lecture :

Le lecteur peut facilement moduler sa vitesse de traitement puisqu’il y a maintien d’une trace écrite (à la différence de l’oral qui est fugace). Toutefois, le lecteur doit moduler cette vitesse en se référant à sa propre évaluation de sa compréhension. Il doit donc avoir acquis des connaissances métacognitives suffisantes. Il est également possible d’enseigner ces connaissances.

On constate d’ailleurs que les « mauvais lecteurs » ralentissent face à des difficultés lexicales, mais pas sémantiques. Ils ont donc des traitements inadéquats, privilégiant la lecture mot à mot et considérant chaque phrase comme un tout et non comme élément d’un texte. De plus ils ont du mal à modifier leur première interprétation du sens du texte. Ils ont moins de savoir-faire et ils l’utilisent mal… mettre en ?uvre des stratégies peu évidentes pour eux implique une forte allocation cognitive qui leur est très difficile de mettre en ?uvre.

Il est donc nécessaire d’améliorer leurs capacités attentionnelles, en jouant spécifiquement sur leur motivation. Mais cette motivation est souvent difficile à bâtir car l’apprenti-lecteur a vécu des expériences d’apprentissage difficiles. Dans la mesure où ils ne parviennent pas à contrôler leurs performances, ces personnes vont reporter sur le hasard, ou la chance ou la facilité de l’exercice le fait de réussir… Il n’y a donc pas d’effort à faire puisque les causes de la réussite sont extérieures. Ils développent des techniques de défense pour se protéger dans leur estime (par exemple éviter la tâche, se désengager de la lecture, rester à un faible niveau…).

Il existe toutefois des expérimentations pédagogiques qui privilégient l’enseignement de stratégies. Par exemple,

• l’enseignement explicite de stratégies (Pressley – 1990)

• l’enseignement réciproque (Palinscar – 1984 et 1990)

• l’enseignement coopératif (Johnson – 1989)

• l’enseignement intégré (Ogle – 1988)

• les travaux de Rémond (1999) en France.

Mais il ne peut y avoir de progrès que si trois conditions sont réunies :

• L’enfant doit ressentir qu’il peut agir sur ces résultats s’il fait des efforts

• Des procédures spécifiques sont mises en ?uvre

• Si un feed-back est possible.

L’auteur cite également les principaux principes de ses propres réalisations :

Il propose un double mouvement :

• analytique, pour apprendre à décomposer les textes pour en comprendre les mécanismes internes : travail sur la langue, la ponctuation, la cohésion, les questionnaires…

• synthétique, pour « mettre ensemble » ce qui doit être relié (reformulation, rappel, résumé..).

Il faut éviter une série de choix mal appropriés :

• exagération de la dichotomie entre identification des mots et compréhension du texte

• exagération de la compréhension littérale de segments de phrases

• recours excessif à la mémoire pour répondre aux questions

• manque de prise de conscience des stratégies

Dans ce cadre de travail, l’enseignant retrouve la totalité de son rôle. Il maintient l’attention sur la discussion commune (par exemple en masquant certaines informations rétro-projetées). Il peut diminuer une partie de la difficulté des tâches afin de centrer l’effort sur les éléments pertinents. Il facilite la lecture individuelle, voire il lit lui-même le texte.

Il est également nécessaire de structurer le travail avec des situations régulières, des tâches familières et un déroulement formaté.

Il s’agit d’aller de la recherche du sens à la maîtrise des procédures entrant dans la compréhension. On peut donc fort utilement travailler sur des textes déjà compris par les enfants. Par ailleurs il faut éviter de multiplier les sources de complexité et donc choisir des textes simples.

Enfin un travail important doit être entrepris pour qu’il y ait transfert, en allant vers des textes de moins en moins connus, mais toujours de niveau intéressant.
Roland GOIGOUX

Langage & pratiques, n°31, Juin 2003