Production of discourse in high-functioning individuals with aphasia

Actualités Orthophoniques Décembre 1999 (volume 3, n°4)
La plupart des articles relatifs à l’aphasie s’intéressent soit aux méthodes de rééducation (et c’est bien normal), soit à la problématique de réintégration de l’aphasique dans la vie « normale » (et c’est tout aussi essentiel). Mais ici, nous sommes en quelque sorte entre les deux voies : on s’intéresse à des personnes qui ont recouvré l’essentiel de leur langage, mais qui dans le même temps conservent des séquelles susceptibles de les handicaper au quotidien. Et c’est cette spécificité qui nous a conduit à choisir de vous présenter cet article japonais (rassurez-vous le texte est en anglais..).
Cette étude cible uniquement les aphasiques qui obtiennent un « bon » score aux épreuves d’expression (y compris sur le plan syntaxique) et de compréhension. Mais, malgré cette récupération, les auteurs notent que ces personnes ont des difficultés pour expliquer certains faits complexes de la vie quotidienne. Elles ont souvent du mal à construire un discours facilement compréhensible pour l’interlocuteur.

Ce thème du discours a été largement étudiée par Ulatowska, qui a montré les difficultés à trouver un titre pour une histoire ou une morale à une fable. Les travaux d’Ulatowska concernaient uniquement l’aspect narratif (fables), ce qui permettait de bien délimiter les éléments sémantiques et syntaxiques et ce qui demandait à la fois une maîtrise linguistique et un apport de l’expérience de la personne.

Les auteurs du présent article ont choisi le discours procédural, qui joue un rôle essentiel dans la vie de tous les jours. Par exemple, la télévision offre à tout moment des programmes du genre « comment jardiner ou bricoler , comment faire un plat… ». L’intérêt de ce choix est qu’il y a des étapes nécessaires dans le cheminement ce qui implique une organisation de la pensée au-delà de la maîtrise linguistique.

Les deux hypothèses étaient, d’une part que le discours était perturbé à la fois quantitativement et qualitativement (en termes d’organisation) et d’autre part que ce déficit d’organisation n’était pas spécifiquement langagier, ce qui prouverait que les aphasiques ont aussi des déficits cognitifs.

Considérant que la télévision était le vecteur essentiel d’information, les auteurs ont choisi de proposer un programme sur « comment conserver des photos » ! ! Bien entendu, les sujets n’avaient pas de problèmes de vue ni de mémoire, ni de dénomination…

Les patients donnaient le sujet du programme télé, puis expliquaient les différentes phases (il s’agissait de récupérer des emballages de lait pour en faire une boite à photos ! !) dans le bon ordre.

Le discours des aphasiques a été analysé selon deux aspects :

• la quantité d’information, calculée en nombre d’unités-mots et qui ne montrait pas de différence avec le groupe contrôle,

• la structure de l’organisation des idées. Chaque mot a été associé à une des cinq composantes choisies (par exemple la référence au sujet ou bien la concision du discours, ou encore l’aspect séquentiel des idées). L’organisation du discours a également été analysée par huit non-spécialistes pour apprécier la facilité ou non de la compréhension (notre de 1 à 5).

Les résultats sont quelque peu surprenants : la quantité d’information de même que les composantes du discours ne varient guère entre aphasiques et sujets contrôles. Par contre les notes de « compréhension » varient significativement (moyenne des contrôles = 4,6 et des aphasiques = 2,1 ; notes des contrôles s’étendant de 3,7 à 5.0, celles des aphasiques de 1.0 à 3,7).) .

Bien sûr, au delà des résultats bruts se profilent l’analyse des hypothèses.

La conclusion déjà relevée par Ulatowska se confirme : que ce soit en discours narratif (les fables) ou procédural (ce programme de télé), la nécessité d’une opération cognitive complexe s’impose pour obtenir un discours facilement compréhensible : compréhension de l’information, réduction puis organisation des éléments. Et ceci pose problème aux aphasiques, même si dans le même temps les superstructures linguistiques demeurent intactes (ou du moins sont récupérées). Citant Ulatowska, les auteurs concluent que « les différences cognitives jouent un rôle dans le contenu et la clarté du discours ».

Parallèlement à leur expérimentation principale, Honda et coll. ont testé leurs patients avec le JCADL *. Ils constatent que certaines tâches restent difficiles (par exemple, prendre une médication ou rechercher un numéro de téléphone) et qu’il s’agit là d’une difficulté liée à l’organisation du discours.

Mais au-delà de la vérification des hypothèses, il reste à apprécier le fonctionnement de ce double déficit, linguistique et cognitif chez des aphasiques légers.

Deux approches semblent se juxtaposer selon les patients :

• Pour certains aphasiques, le langage semble être revenu à son meilleur niveau (taux de plus de 90% aux tests, conversation courante quasi parfaite) et le déficit aurait donc pour origine soit la structure linguistique complexe soit plutôt la capacité cognitive d’organisation. Dans un article de 1994, Coelho note que la structuration d’un récit serait davantage de nature cognitive que linguistique. De même Lezak, en 1995, pense qu’un déficit de la fonction exécutive serait à l’origine des difficultés dans le discours.

• Dans d’autres cas, on noterait un très subtil manque du mot. Ce trouble ne gênerait pas la conversation quotidienne et n’aurait que très peu d’impact sur les tests. Par contre l’obligation pour le patient de lutter en permanence pour retrouver le bon mot rendrait difficile dans le même temps le travail cognitif nécessaire dans la construction du discours, expliquant ainsi la difficulté. En quelque sorte, la « charge linguistique » serait privilégiée dans le traitement de l’information sur la « charge cognitive ».

De nouvelles études permettraient sans doute de mieux comprendre ces éléments et de mieux en tenir compte dans la thérapie.

Notons pour terminer le regard positif des auteurs sur les programmes télé comme outil thérapeutique. En effet, si le rôle de déclencheur de parole est identique à celui d’une description d’images ou de photos, on note que les patients sont plus à l’aise devant ces programmes auxquels ils sont si habitués et qui leur paraissent plus compréhensibles et plus attractifs.

A vos magnétoscopes…

René DEGIOVANI

Le JCADL : Cette évaluation est issue du CADL (Communication Abilities in Daily Living = capacités de communication dans la vie quotidienne) mis au point par Audrey Holland dans les années 80. L’idée générale est de simuler certaines activités (au hasard : remplir un formulaire simple, trouver le bon étage du bureau administratif d’un hôpital, commander un repas (une pizza ? ?) par téléphone…). Ce test est très utilisé dans les pays anglo-saxons.

Pour en savoir plus (en langue anglaise car les auteurs ont surtout produit en japonais) :

Methodology for discourse management in the treatment of aphasia
CHAPMAN et ULATOWSKA
Clinical communication Disorders, 1992, 2, pp.64-81

Longitudinal assessment of narrative discourse in a mildy aphasic adult
COELHO
Clinical Aphasiology, 1994, 22, pp.144-155
R.HONDA et coll.

Aphasiology, 1999, vol.13 n°6 pp.475-494