Actualités Orthophoniques Décembre 2002 (volume 6, n°4)
Prévenir une rechute à la suite d’un traitement pour le bégaiement devient une priorité clinique . Cet article présente un programme de rééducation après rechute chez six adolescents qui avaient amélioré leur fluence au cours d’un traitement initial, mais qui ont rechuté au long terme. La rechute a eu lieu entre deux et six ans après l’arrêt de ce premier traitement. La fréquence de leur bégaiement a augmenté de façon non négligeable pour atteindre au moins 5% de syllabes bégayées (SB) en conversation, au téléphone et en situation familiale.
Les résultats de ces sujets à ce traitement anti-rechute ont été suivis longitudinalement sur une période de deux ans après l’arrêt du programme. Cette étude est partie du constat suivant : les stratégies utilisées contre la rechute en cas d’obésité, d’utilisation de drogues ou de tabac ont démontré leur efficacité en réduisant le taux de rechute et ont pour dénominateur commun la technique du self-contrôle.
Les stratégies de self-contrôle sont des procédures qui peuvent aider une personne à maintenir un comportement souhaité en augmentant le sentiment de responsabilité personnelle et de maîtrise de soi-même. Ces stratégies pourraient convenir comme traitement anti-rechute chez les personnes bègues. Un certain nombre de ces stratégies ont été étudiées et discutées dans le passé (Hanna et Owen 1977, Boberg et al 1979). Les exemples typiques sont : objectifs de traitement dans un cadre de réussite, renforcement positif, contrôle personnel des habiletés, mise en valeur de l’auto-responsabilité.
Le programme de cette étude a traité les versants comportementaux et les aspects psychologiques. Les participants à l’étude étaient âgés de 11 à 17 ans au début du traitement anti-rechute. Leur bégaiement était de 5% à 12,5% de SB toujours dans les trois situations précisées au début. Deux sujets avaient eu une rééducation quatre ans auparavant, un sujet six ans auparavant, un autre sujet sept ans auparavant et les deux derniers sujets huit ans auparavant. Ils avaient tous bénéficiés d’un traitement intensif à cette époque. Quatre d’entre eux avaient été rééduqués avec la technique du « parler doux » (smooth speech fluency shaping) et les deux autres par EMG feedback ( électromyography feedback) .
Les composantes du programme de traitement de la rechute :
1 – Smooth speech fluency shaping : technique qui entraîne les sujets bègues à augmenter la prise d’air et à détendre la respiration au cours de la parole.
2 – EMG feedback : le sujet est entraîné à prendre conscience et à réguler lui-même l’activité des muscles de la parole tels que les zygomatiques etc…
3 – Self management skills : auto gestion des habiletés. Mise en valeur de l’auto-responsabilité, de l’auto-évaluation, de l’effort personnel et de la motivation pour atteindre le but recherché.
Les sujets doivent évaluer l’utilisation correcte du « smooth speech » et des techniques EMG. On leur demande de corriger leur bégaiement au cours de la thérapie. A la maison et durant les jours de rééducation, les sujets doivent effectuer un auto-contrôle toutes les deux heures et enregistrer sur une échelle (Likert-type scale) la façon dont ils ont parlé.
Pour renforcer l’auto-responsabilité, des discussion sont mises en place.
4 – Les techniques cognitives : les relations entre les pensées, les sentiments et le comportement sont discutées avec les enfants. Par exemple la possible influence négative sur la fluence de sentiments anxieux à propos d’ interaction sociale ou bien le sentiment d’échec, est abordée. L’augmentation de la maîtrise de soi-même est aussi utilisée durant le traitement pour aider le sujet à se défaire de cette expérience de dysfluence. On apprend aux sujets à traiter avec l’échec quand il arrive : ils sont entraînés à reconnaître les situations à haut risque : fatigue, humeur négative, environnement menaçant et des méthodes sont proposées pour sortir de ces situations.
5 – La relaxation : il s’agit d’une relaxation élémentaire qui permet aux sujets de contrôler la tension musculaire et l’anxiété. Des discussions sont tenues dans le but d’utiliser la relaxation à des fins de pensées positives pour aider à se sortir des situations de parole difficiles.
Le traitement est conduit en groupe incluant les adolescents et au moins un de leurs parents, deux fois par semaine durant deux semaines de 9h30 à 16h avec une cinquième option si les habiletés ne sont pas suffisamment transférées et généralisées en dehors de la rééducation. Le groupe est dirigé par un clinicien expérimenté. Les parents, une fois entraînés aux techniques assument le rôle de thérapeutes auprès de leur enfant.
Après traitement, quatre des six sujets ont maintenu leur gain de fluence deux ans plus tard.
L’anxiété n’a pas été clairement mise en cause avec la rechute. Mais certaines rechutes pourraient être liées à une attitude de communication négative.
Les cas de ces jeunes montrent qu’ils ne doivent pas être considérés comme intraitables ou récalcitrants mais qu’une aide doit toujours leur être offerte. Essentiellement, les habiletés cognitives doivent faire partie de l’arsenal de rééducation en cas de rechute.
Ashley CRAIG et coll.
Asia Pacific Journal of Speech Language and Hearing, vol.7.2, 2002