L’aphasie progressive est un concept récent (Mésulam en 1992) et il n’est donc pas étonnant que de nombreux travaux soient consacrés à cette maladie neurodégénérative afin d’en fixer les limites et les subtilités. Dans notre rôle de spécialiste du langage, il est de plus en plus fréquent qu’on nous adresse des patients avec cette pathologie. Voici donc une mise à jour des connaissances.
Subtypes of progressive aphasia : application of the international consensus criteria C. LEYTON et coll. Brain – 2011 – n°134
L’aphasie progressive primaire (APP) a été mise en évidence par Mesulam, il y a juste 30 ans. Il s’agit d’un trouble majeur et irréversible du langage sans trouble démentiel généralisé. Comme c’est souvent le cas (voir MIT par exemple) dans ces « nouveautés », des différenciations sont rapidement apparues : d’une part la démence sémantique, d’autre part une aphasie non fluente/agrammatique. Puis, en 2004, Gorno-‐ Tempini distingua l’aphasie logopénique.
Chacune des variantes est corrélée à un modèle d’atrophie cérébrale spécifique, ce qui donne de la consistance à la classification :
-‐ L’APP sémantique ou démence sémantique correspond fortement à une atrophie bilatérale mais très asymétrique de l’aire temporale inférieure.
-‐L’APP non fluente a un modèle moins systématique avec une atrophie péri sylvienne gauche.
-‐ Les données pour l’APP logopénique sont moins consistantes (Atrophie pariétale inférieure gauche et temporale supérieure.
La majorité des patients atteints présentent des pathologies cérébrales sous jacentes de type dégénératif fronto-‐temporal (pathologie Tau). Toutefois lors des autopsies, on trouvait des lésions de type Alzheimer (pathologie béta amyloïde) chez un quart des patients. Ici encore, on doit noter une certaine corrélation entre les trois variantes de troubles et les pathologies cérébrales. Les auteurs mettent en avant les avancées majeures d’une technique d’exploration, le PiB (Pittsburgh Compound B), qui est un PET Scan (tomographie par émission de positons), qui permet de déceler in vivo les dépôts amyloïdes, que l’on trouve essentiellement dans les cas d’aphasie logopénique.
Enfin ils rappellent la Conférence internationale de consensus (2011) qui a précisé certaines définitions comme suit : Aphasie primaire progressive 1. L’élément clinique principal est un trouble du langage (difficulté à trouver les mots, paraphasies, troubles de la grammaire et/ou de la compréhension, parole laborieuse). 2. Le langage doit être le symptôme essentiel en début de maladie et durant les premiers stades (les troubles mnésiques, visuo-‐spatiaux ou comportementaux ne doivent pas exister à l’origine de la maladie). 3. Les déficits langagiers ne doivent pas pouvoir s’expliquer par d’autres pathologies, par exemple psychiatriques ou non-‐dégénératives)
Variante sémantique 1. La dénomination est pauvre et la compréhension des mots perturbée, cela en lien avec la dissolution des connaissances sémantiques 2. Il n’y a ni agrammatisme ni troubles moteurs de la parole
Variante non fluente 1. Il existe des troubles moteurs de la parole, avec une parole laborieuse, des erreurs et des distorsions dans les sons inconsistants ou des troubles agrammatiques. 2. La compréhension des mots isolés est épargnée ainsi que la connaissance des objets
Variante logopénique 1. La parole spontanée est perturbée par le manque du mot qui crée des pauses dans le débit. 2. La répétition de phrases est perturbée 3. La compréhension des mots isolés est épargnée et on ne constate pas de troubles moteurs de la parole.
L’étude a trois objectifs : -‐ relier les pathologies cérébrales (voir PET Scan) aux variantes et ainsi démontrer que l’aphasie logopénique n’est qu’un sous type de la maladie d’Alzheimer. -‐ Etablir la proportion de patients correctement étiquetés par ces approches -‐ Mettre en place une échelle d’évaluation de qualité et facilement applicable pour une utilisation systématique.
Une cinquantaine de patients (et autant de contrôle) ont participé à cette étude. L’évaluation comportait une interview semi-‐organisée pour objectiver des distorsions dans la parole, des changements dans l’intonation ou la prosodie, un niveau d’intelligibilité) ainsi que des tests plus formels (dénomination, répétition, compréhension). Les résultats étaient classés en trois catégories (discutable, certain, sévère). Par exemple pour la dénomination, erreurs occasionnelles sur des items peu familiers, erreurs régulières, erreurs systématiques y compris sur des mots familiers.
Le PALS (Progressive Aphasia Language Scale) a été mis au point (après comparaison des conclusions d’experts) avec 4 épreuves discriminantes pour les trois types d’aphasies (S pour APP sémantique, NF pour APP non fluente et L pour APP logopénique.) et évaluant : -‐ les troubles moteurs de la parole -‐ l’agrammatisme -‐ la compréhension des mots isolés -‐ la répétition de phrases. Pour les troubles moteurs, les résultats sont flagrants : seul la NF est très affectée et de façon sévère. Pour l’agrammatisme, les troubles sont moins sévères mais tout autant discriminants pour la NF. Pour la compréhension des mots isolés, c’est la S qui est touchée avec des troubles modérés à sévères, enfin pour la répétition de phrases la NF et la L sont très touchées, ce qui fait une nette différence avec la S. On voit donc clairement que la PALS permet de différencier les types, de façon rapide et tout aussi bien que l’ avis d’experts.
Il est alors possible de créer une arborescence de diagnostic :
-‐ Si la compréhension des mots isolés est présente et qu’un trouble moteur et/ou un agrammatisme est absent, c’est une APP sémantique.
-‐ Si la compréhension des mots isolés est préservée et qu’il y a des troubles moteurs et/ou de l’agrammatisme, c’est une APP non fluente.
-‐ Si la compréhension des mots isolés est préservée, qu’il n’y a pas de troubles moteurs, mais un trouble de la répétition des phrases, c’est une APP logopénique.
Uniquement dans ce cas le PETScan montre des tauopathies à rapprocher de celles retrouvées dans la maladie d’Alzheimer. Toutefois il faut se garder de tout essai de généralisation entre la présence de dépôts beta amyloides et la maladie d’Alzheimer, puisque ces dépôts se multiplient chez toutes les personnes âgées en liaison avec l’avancement en âge. C’est un point assez fort mais pas direct.
NDLR : En conclusion, on peut scientifiquement utiliser ce PALS (dont vous trouverez une version française expérimentale d’ici peu sur ce site) pour distinguer les trois catégories d’aphasies progressives primaires. Reste ensuite à prendre en charge ces patients, ce qui est loin d’être facile. La prise en charge se fait en quelque sorte à rebours, partant d’un lexique encore correct vers un fort appauvrissement, avec son cortège de mots vides, de détours, de phrases avortées, de communication difficile, allant vers le mutisme et donc une frustration énorme d’autant que par ailleurs le patient vit une vie à peu près normale durant longtemps. Il convient donc d’alléger peu à peu les « exigences » rééducatives et en même temps de soutenir au mieux le patient dans une rééducation très « engagée ».
Bibliographie essentielle : Quelques articles clés hélas en anglais comme souvent…. -‐ « The logopenic/phonological variant of primary progressive aphasia» de Gorno-‐Tempini et coll. In Neurology, 2008 n°71
-‐ « Classification of primary progressive aphasia and its variants » de Gorno-‐Tempini et coll. In Neurology, 2011, n°76
-‐ Semantic dementia » de JR Hodges. In Brain 2010, n°133
-‐ « Nonfluent progressive aphasia and semantic dementia : a comparative neuropsychological study » de JR Hodges in I.J.N.S., 1996
-‐ « Alzheimer and frontotemporal pathology in subsets of primary progressive aphasia » de Mesulam et coll. In Annals of Neurology, 2008, n°63
-‐ « Syndromes of nonfluent primary progressive aphasia : a clinical and neurolinguistic analysis » de JD Rohrer et coll. In Neurology, 2010 n°75
-‐ « Longitudinal assessment of Abeta and cognition in aging and Alzheimer disease » de Villemagne et coll. In Annals of Neurology, 2011, n°69