Le langage de l’enfant : aspects normaux et pathologiques.

Actualités Orthophoniques Juin 2000 (volume 4, n°2)
Voici la deuxième édition de cet ouvrage; la première, parue en 1996, se trouve enrichie et tient compte des avancées et des travaux de ces trois dernières années.

La première partie traite du développement normal du langage; la deuxième partie porte sur les méthodes d’exploration et d’évaluation avec une revue systématique des tests qui sont décrits précisément et ?ordonnés? dans des tableaux clairs. Enfin, dans la troisième partie, ce sont les pathologies du langage chez l’enfant qui sont abordées et quelques informations sur la prise en charge thérapeutique sont parfois données.

La bibliographie est importante et permet à chacun de savoir aisément où trouver des précisions sur le sujet qui l’intéresse. Il s’agit donc là d’un ouvrage qui a assurément droit à une place de choix dans nos cabinets.

Le chapître 25 s’intitule ?troubles affectifs et pathologie du langage?. Il a été écrit par E.DOMENECH, pédopsychiatre et en voici une première lecture.

Il s’articule autour de trois parties.

les altérations du langage secondaires aux carences affectives et sociales.

Le développement d’un enfant dépend des interactions qui s’établissent entre ses capacités et l’influence de son environnement; le langage est grandement tributaire des carences de l’environnement.

Lorsqu’il y a carence totale , on se trouve face aux cas des enfants sauvages dont l’étude permet d’illustrer les conditions nécessaires au développement du langage.

Le plus ancien cas est celui décrit en 1602 par PH.CAMERARIUS; un enfant avait été retrouvé en 1344 en Allemagne; il était âgé d’environ 7 ans et vivait avec des loups.

Les progrès effectués par ces enfants une fois leur retour à la civilisation ont été variables; ils dépendent de plusieurs facteurs :

-le degré de sévérité de la déprivation

-la présence ou non de pathologies précoces. Certains enfants n’étaient peut-être pas normaux au moment où ils ont été abandonnés et il est possible qu’ils aient souffert de troubles graves tel un retard profond ou une pathologie autistique; ainsi par exemple, dans le cas de Victor, l’enfant de l’Aveyron qu’ITARD ne parvint pas à éduquer, plusieurs auteurs pensent qu’il était atteint d’autisme.

-l’âge de début de la rééducation. Ceci ramène à la notion d’existence de périodes sensibles; LENNEBERG (1967) pense que c’est pendant les douze premières années de la vie que le langage s’acquiert, idée partagée très largement; toutefois ?l’hypothèse qui postule l’existence de périodes sensibles pour le développement du langage est très discutée et nombre de questions restent encore actuellement sans réponse (SKUSE 1992). ?

Il est assurément nettement plus fréquent de trouver des cas de carence partielle favorisant le retard d’acquisition du langage à des degrés divers. On distingue :

-la carence institutionnelle : elle fut décrite dès 1945 par SPITZ avec son travail sur l’hospitalisme. En fait, le terme de carence institutionnelle n’est pas correct; le problème pour ces enfants n’est pas le placement en soi mais les manques quant aux conditions psychologiques et aux stimulations que l’on peut trouver dans le fonctionnement de certaines institutions.

-la carence intra-familiale. Elle est la conséquence d’une stimulation verbale déficitaire certes mais on la trouve aussi lorsque de véritables relations affectives ne se sont pas établies.

C’est essentiellement le versant expressif qui est touché chez ces enfants puis on note par la suite des retards dans l’acquisition de la lecture et de l’orthographe; les troubles du langage ne sont pas isolés. Les troubles le plus souvent associés sont ?le retard mental,, le retard de croissance et enfin l’inadaptation émotionnelle et sociale.? Les troubles les plus sévères se rencontrent lorsque se surajoute au manque de stimulations une absence d’amour et d’affection.

Il n’est pas toujours aisé de distinguer les altérations du langage secondaires aux carences affectives et sociales des troubles affectifs secondaires aux altérations du langage.

Pour aider à cette distinction, on constate que, dans le premier cas, l’enfant est désinhibé au plan social, il ne sait pas établir de bonnes relations affectives et ne saisit pas les différences dans les relations sociales; il cherche à se faire remarquer par n’importe quel adulte; il a également des troubles associés dans d’autres secteurs de développement (voir ci-dessus). Les enfants se trouvant dans le second cas de figure n’ont, la plupart du temps pas de difficulté à établir des relations affectives.

Le pronostic dépend de l’importance du trouble, de l’âge qu’a l’enfant quand la prise en charge débute, de la morbidité associée et de la persistance ou de la non persistance de la situation ayant entraîné la carence.

Les troubles affectifs secondaires aux altérations du langage.

Si le langage ne se développe pas correctement, cela va perturber l’enfant dans ses capacités de communication et avoir une influence négative sur ?la cognition, l’affectivité, le comportement, les adaptations sociales et les apprentissages scolaires?.

Des études épidémiologiques transversales et longitudinales fiables ont montré depuis une vingtaine d’années que les enfants ayant souffert de retard de langage ont plus que les enfants sains auquels ils sont comparés de problèmes d’isolement social. On trouve plus d’enfants énurétiques, hyperactifs ou atteints de troubles névrotiques. Des troubles de l’humeur de type dépressif sont souvent rencontrés chez des adolescents ayant des antécédents de pathologie du langage.

Il semble probable, et cela a été constaté dans de multiples études, que dans la majorité des cas les troubles affectifs sont consécutifs aux troubles du langage. L’enfant très tôt confronté à la vie sociale (crèche, garderie…) ne parvient pas à communiquer convenablement d’où des difficultés dans son développement affectif.

Un retard de langage est, on le sait, en relation étroite avec les risques d’échec scolaire d’où trouble affectif.

Environ la moitié des enfants atteints d’une pathologie du langage souffrent d’une pathologie psychiatrique. ?Les altérations psychopathologiques chez ces enfants peuvent être de type ?extériorisé? : manque de contrôle, impulsivité, opposition ou hyperactivité. Elles peuvent aussi être ?intériorisées? : retrait, anxiété, difficultés émotionnelles avec insécurité et sous estime de soi, tableaux dépressifs.?

Le rique d’association d’une pathologie psychiatrique est dépendant de plusieurs facteurs:

-la sévérité de l’atteinte; l’atteinte de la parole a moins de conséquences graves que celle du langage, l’atteinte du seul versant expression est moins préjudiciable que celle des versants expression et compréhension.

-le QI : plus il est faible, plus les risques augmentent.

-l’échec scolaire.

-la durée du trouble de langage.

-les interventions orthophoniques non suivies de succès qui renforcent la mésestime de soi.

-le stress psychosocial.

Les différences individuelles sont importantes et certains enfants autonomes de par leur personnalité et ayant une assez grande confiance en soi vont ne pas développer de troubles du comportement. Les autres facteurs de protection face aux facteurs de risque cités précédemment sont la capacité de l’enfant à utiliser d’autres moyens de communication que le langage oral, la préservation du langage intérieur, l’attitude de l’entourage et les interventions pédagogiques et thérapeutiques positives.

Le diagnostic précoce est primordial afin d’intervenir tôt et ainsi de prévenir les troubles affectifs secondaires. Si, au moment du diagnostic, il existe déjà une psychopathologie, il faut la détecter puis un diagnostic précis devra être posé et un traitement entrepris dès que possible car les problèmes psychologiques ne se résolvent pas avec le temps bien au contraire, ils s’aggravent.

Le mutisme électif ou sélectif.

Il s’agit d’un trouble psychiatrique rare. Dans certaines situations et face à certaines personnes, l’enfant ne va pas s’exprimer oralement; la communication non verbale est en général conservée. Les enfants souf­frant de cette pathologie, qui peut apparaître de façon insidieuse ou brutale, sont souvent timides, inhi­bés, renfermés, très sensibles et obstinés; on retrouve également as­sociés fréquemment des problèmes de comportement en particulier l’énurésie, l’encoprésie, ‘hyperactivité, les tics et les diffi­cultés dans les relations sociales.
C. CHEVRIE-MULLER / J. NARBONA

Ed. MASSON, 1999