Actualités Orthophoniques Septembre 2003 (volume 7, n°3)
Décidément, les Américains s’intéressent à des domaines auxquels nous ne penserions même pas….
Une orthophoniste de l’Université de Boston a souhaité étudier les difficultés de langage spécifiques aux personnes sans abri. Elle rappelle en préambule que deux millions de personnes sont sans abri aux USA et que les familles représentent 40% de cette population Le format type est une mère avec deux enfants d’âge pré-scolaire et cette population spécifique augmente régulièrement.
Dans un premier temps, elle rappelle les principaux troubles dont souffrent les personnes sans abri : l’asthme est ainsi quatre fois plus fréquent chez ces enfants que dans la population normale, et les infections de l’oreille deux fois plus. Les problèmes de nutrition sont bien sûr habituels de même que l’anxiété et la dépression. Des études ont montré un lien étroit entre le développement de l’enfant et sa santé. En supplément de ces troubles de santé, les mères présentent souvent des troubles psychiatriques, des abus physiques ainsi que des prises de drogues.
Quelques études ont déjà été réalisées sur cette population spécifique. Par exemple, Bassuk et Rudin, en 1987, étudient les troubles de développement des enfants sans abri (motricité globale et fine, insertion sociale et développement du langage). Ils constatent que 47% des enfants sans abri de cinq ans ou moins présentent au moins un trouble et que 33% en montrent davantage… Les troubles du langage apparaissent les plus fréquents. Dans cette même étude, les auteurs constatent que 43% des enfants ont des difficultés scolaires, que 25% sont dans des classes spéciales et que 45% ont déjà redoublé.
L’influence maternelle globale vis-à-vis de l’apprentissage du langage de l’enfant est bien connue. Des études de Health en 1982 se sont intéressées aux conséquences de la lecture partagée (parents-enfants) de livres sur la réussite scolaire. Ils constatent que dans les classes moyennes (versus les couches populaires), les parents lisent des livres à leurs enfants mais font aussi des commentaires et posent des questions permettant aux enfants d’accéder à un niveau plus élaboré et plus abstrait de langage. De ce fait les enfants seront plus qualifiés pour les standards de l’école.
Dans une étude de 1995, Hart et Risley démontrent que le niveau de langage à trois ans (qui préjuge en grande partie de celui de 9 ans) est étroitement lié avec le statut économique et social des parents. D’autres études montrent que le niveau d’instruction des parents ainsi que l’origine ethnique jouent un rôle également important.
Enfin l’étude de Dollaghan en 1999 montre des différences importantes dans le processus de communication des mères selon leur statut ethnique, social et économique. La stimulation du langage, la facilitation, la longueur des énoncés, la complexité des phrases, la vitesse de parole, l’utilisation d’un langage abstrait, tout cela varie selon les mères.
L’hypothèse de l’étude de l’auteur est donc fort naturellement que les retards de langage des enfants sans abri d’âge préscolaire sont corrélés à des troubles langagiers maternels. C’est ce que l’auteur a démontré dans son étude, qui porte sur 25 familles, composées d’une mère et d’un ou deux enfants de 3 à 6 ans. On compte 14 familles noires (africain américain selon la terminologie politiquement correcte), 6 hispaniques et 5 Blancs (caucasiens…). L’âge moyen des mères est de 28 ans et la situation de sans -abri dure depuis quatre semaines en moyenne.
Le langage de chaque mère et chaque enfant a été évalué, sur le plan oral et écrit, en expression et en compréhension.
Le tableau clinique de la plupart des familles montrait des problèmes de santé physique ou psychiatrique. Ainsi 28% avaient des problèmes psy, 16% avaient eu un traumatisme crânien. Chez les enfants, 14% avaient de l’asthme et autant des infections de l’oreille. Près de la moitié des mères avaient un niveau scolaire de fin de collège. 62% des enfants ne bénéficiaient pas d’un programme éducatif (rappelons qu’il n’y a pas vraiment de maternelles aux USA sauf le Kindergarten qui correspond à la Grande section). Neuf mères sur 25 avaient un emploi au moment de l’étude.
Les bilans orthophoniques montrent que 60% des mères présentent des troubles de langage dont 30% dans plus de trois domaines (compréhension/expression orale, lecture, écriture). A l’exception des troubles de la compréhension orale, plus du tiers des mères souffrent de difficultés. De même les deux tiers des enfants ont des troubles souvent dans deux modalités en même temps.
Plusieurs analyses ont été faites sur le plan statistique. Il ne semble pas y avoir de corrélations entre la race de la famille et des troubles du langage, ni avec le niveau d’éducation de la mère. Par contre, un enfant dont la mère a un trouble général du langage a 48 fois (quarante huit…) plus de risques de présenter lui-même de tels troubles.
L’étude ne permet pas de spécifier strictement les raisons de ces déficits?
Mais plusieurs pistes semblent évidentes :
– On constate que les enfants les plus âgés présentent le plus de troubles de langage. On peut facilement penser que les troubles n’étant pas dépistés vont donner naissance à de nouvelles difficultés.
– Créer des structures éducatives, mais aussi suivre les enfants même lorsqu’ils changent de lieu, semble incontournable.
– Mettre en place un dépistage et un traitement systématique des maladies pouvant jouer un rôle sur le développement du langage est nécessaire.
– Il apparaît indispensable de concevoir des programmes « orthophoniques » impliquant de façon obligatoire les parents et permettant d’offrir une bonne guidance à la mère.
D’autres études devraient être menées, à la fois sur des groupes plus importants et sur l’utilité des interventions spécifiques. Mais dès à présent, le caractère évident de la spécificité de ces problèmes est souligné par cet article.
Therese O’Neil-Pro zzi
American Journa l of Speech-Language Pathology, 12,2, Mai 2003