La lecture chez l’enfant sourd profond : conditions d’acquisition

Actualités Orthophoniques Décembre 1999 (volume 3, n°4)
Il n’est plus à prouver l’importance du rôle de la structure phonologique des mots dans le processus de lecture. Mais qu’en est-il des sourds dans l’impossibilité apparente où ils se trouvent d’avoir recours à des ressources phonologiques ?
L’article suivant présente l’intérêt d’une phonologie non pas auditive mais visuelle via des techniques telles que la lecture labiale ou des aides visuelles associées, permettant au sourd de ne pas être irrémédiablement tenu à l’écart de l’apprentissage de l’écrit.

L’acquisition de la lecture chez les sourds est évidemment très liée au niveau de perte auditive et bon nombre d’entre eux se trouvent dans une situation d’illettrisme avec toutes les difficultés d’insertion sociale que cela ajoute à leur handicap initial.

En effet, lire présuppose un certain nombre de connaissances linguistiques que la langue des signes peut effectivement permettre de mettre en place ; cependant, bien que les fonctions communicatives et cognitives soient ainsi remplies, il ne faut pas oublier que l’on ne se situe pas dans un contexte alphabétique et que la phonologie ne peut alors servir de relais entre la langue « orale » et écrite.

La langue des signes induirait plutôt un support de type logographique, associant une représentation mentale des signes à un support écrit : l’apprentissage de la lecture étant réduit à apprendre par c?ur un certain nombre de mots écrits et leur correspondance signée, sans possibilité de générativité. Le niveau de lecture atteint reste faible et rappelle certainement celui des dyslexiques dits phonologiques qui ne peuvent mettre en jeu qu’un processus de lecture basé sur l’identification de mots appartenant à leur stock lexical .

Qu’en serait-il alors d’une phonologie de type visuelle, fournie par exemple par la lecture labiale ? Sans information acoustique exploitable, un sourd peut-il mettre en place le développement de codes phonologiques ?

Le caractère abstrait des traits représentatifs d’un mot peut utiliser divers versants autres qu’auditifs pour donner une représentation concrète : des informations visuelles, motrices, kinesthésiques pouvant dès lors être autant d’indices pour induire une représentation phonologique.

Ainsi, la lecture labiale associée au Langage Parlé Complété (LPC) permettent-ils d’aborder une dimension phonétique : l’accompagnement manuel de la lecture labiale fait disparaître un certain nombre d’ambiguïtés (voisement, position articulatoire..).

L’utilisation très précoce et dans le cadre familial du LPC induit des compétences linguistiques et métalinguistiques bien meilleures que celles d’enfants sourds ne l’utilisant par exemple que dans le contexte scolaire

Quant à l’assemblage phonologique de ces enfants sourds, il a été testé au travers d’épreuves évaluatives contenant des mots réguliers et irréguliers afin d’observer leur utilisation d’un code lexical ou grapho-phonologique : or l’absence de différence significative entre la lecture et l’écriture de mots réguliers ou irréguliers montre un recours encore important aux connaissances stockées dans le lexique du sujet.

La régularité des mots n’est pas un facteur favorisant pour les sourds montrant ainsi que les correspondances phonèmes-graphèmes ne sont pas toujours bien utilisées et que les connaissances orthographiques restent limitées par le caractère imprécis de leurs présentations phonologiques.

Là encore l’utilisation du LPC renforce la connaissance exacte de la séquence de phonèmes correspondant à un mot et les erreurs constatées se rapprochent davantage de celles commises par les entendants dans le sens où elles sont en majorité compatibles avec la prononciation. Il est évidemment indispensable que tous les mots nouveaux soient codés en LPC afin d’en construire une représentation la plus précise possible.

En conclusion il serait intéressant de rappeler qu’un certain nombre d’adultes sourds ont pu atteindre un niveau de lecture fonctionnel avec la langue des signes comme base unique ; mais il semblerait qu’ils aient alors développé un lexique orthographique exceptionnel et ne fonctionnent que par adressage ce qui leur permet notamment de bonnes performances au niveau des épreuves de choix d’homophones ou de décision lexicale, avec toutefois des difficultés pour identifier de nouveaux mots écrits.

Tandis que l’exposition précoce et prolongée au LPC montre bien d’autres compétences, notamment la possibilité d’en recourir à des procédures génératives, et des performances élevées en ce qui concerne des aspects de la langue typiquement faibles chez la plupart des sourds.

Geneviève GALIBERT

Pour en savoir plus :

Alegria,J., Leybaert,J., Charlier,B., Hage,C.(1992) « On the origin of phonological representations in the deaf : hearing lips and hands. » In « Analytical processes to human cognition (pp.107-132) Elsevier Sciences Publishers.

Glossa (1995) Numéro spécial « Le langage écrit », n° 46-47
Jesus Alegria

Langage & pratiques, 1999, 23,pp.27-46