L’orthographe aux cycles 2 et 3

Actualités Orthophoniques Juin 2000 (volume 4, n°2)
Voici un ouvrage s’adressant plus particulièrement aux enseignants de part le sujet proposé, l’enseignement de l’orthographe aux cycles 2 et 3, mais qu’il nous a paru intéressant de présenter tant du point de vue de la présentation de l’orthographe qui y est développée dans un contexte plus large, celui de la langue, mais également en raison du rapprochement des méthodes pédagogiques avancées et de nos principes rééducatifs.
Ce livre se présente de façon originale et claire comme un guide décrivant parallèlement pour les enseignants et les élèves les connaissances préalables à l’apprentissage de l’orthographe, les finalités de son enseignement et les étapes à mettre en place pour développer des compétences ; il propose en outre toute une série de séquences d’activités sous forme de fiches pratiques.

Où l’on part du constat que la fameuse « crise de l’orthographe » n’est pas un sujet neutre et qu’elle laisse ceux qui sont chargés de son enseignement dans un profond désarroi : réforme ou pas ? , baisse ou non du niveau ? , pratiquer ou non la dictée ? Autant dire un flou artistique et beaucoup de doutes tant dans l’enseignement que du côté des parents ou de la société elle-même qui assimile bien souvent « réussir dans la vie » à s’avoir s’exprimer par écrit.

Or s’exprimer dans une langue revient à la dominer comme un système, à en saisir les constantes, les régularités, à comprendre les mots et leurs relations pour en extraire une fonctionnalité. Ca ne vous rappelle rien, vous autres thérapeutes du langage ?

L’orthographe est un « pluri-système » qui combine deux principes (transcription et inscription) et résulte d’une histoire : le classique alphabet latin a dû s’adapter à la phonologie du français pour produire des « phonogrammes composés » (nos fameux graphèmes complexes : ain, eau, ien….). L’importance est donc bien mise sur le sens d’un énoncé, son unité marquée par son intonation, sur l’analyse des syllabes puis des phonèmes : on part bien de la continuité de la chaîne orale pour segmenter l’écrit.

Ces constats ne permettent cependant pas à l’élève de construire des règles prédictives pour choisir un phonogramme à partir de l’oral : il s’agit également d’apprendre à traiter les morphogrammes syntaxiques et lexicaux qui marquent les relations entre les mots. D’où la nécessité d’étapes telles que la comparaison (des homophones par exemple), la généralisation (désinence du pluriel par le « s »,..), de l’association (d’un mot avec un autre de la même famille, …), ce qui sous-tend encore et toujours une bonne maîtrise de l’oral afin de mettre en place un dispositif d’apprentissage de l’orthographe.

C’est à partir de ces pré-requis obligatoires que les enseignants sont censés construire des connaissances et développer des savoir-faire alors que les fameux « programmes » apparaissent peu explicites ni dans leur contenu ni dans leur méthodologie.

Depuis 1991, les cycles à l’école primaire ont cependant pu donner aux enseignants une base de travail à partir de laquelle les contenus à acquérir se répartissent entre les classes d’un cycle, de manière à assurer la progressivité des apprentissages, leur laissant une plus grande initiative mais aussi une plus grande responsabilité.

Il s’agit donc plutôt d’analyser les compétences d’un élève à un âge donné, de déterminer les connaissances nécessaires (maîtrise/analyse de la langue essentiellement) et enfin de formuler des objectifs autour d’une suite de séquences adaptées, comprenant les fameuses associations, comparaisons, généralisation.

On voit alors l’importance des compétences lexicales nécessaires aux élèves et paradoxalement la difficulté de les définir selon leurs possibilités, leur milieu de vie, etc.. ; on peut adresser un grand merci à la célèbre échelle Dubois-Buyse qui, même si elle aurait besoin d’être réactualisée dans son contenu, reste un outil reconnu pour une évaluation qualitative et quantitative.

En définitive, l’élève qui termine son cycle élémentaire doit avoir stocké un nombre de mots qu’il peut lire et écrire allant de 2500 à 3000, lesquels doivent couvrir l’essentiel de ses besoins. Il doit également avoir acquis une méthodologie pour mémoriser des mots nouveaux, résoudre les problèmes d’accord et contrôler ses productions écrites.

Comment donc concevoir une démarche d’apprentissage ?

En orthographe d’usage, la base est bien la mémorisation et nous connaissons bien l’hétérogénéité des compétences des élèves : il s’agit de questionner les mots, d’organiser sa mémoire et d’apprendre à consulter des dictionnaires ou autres répertoires.

Cela passera progressivement par l’observation de représentations graphiques dans les petites classes, privilégier des activités phonologiques (nous sommes censés connaître…), établir des cartes de graphèmes et savoir les combiner, les dériver, construire des règles contextuelles (afin de mettre en évidence les variations des terribles « s » et « g » par exemple..), utiliser le vocabulaire avec ses dérivations, constituer des répertoires.

En orthographe grammaticale il s’agit de partir de la cohésion des phrases et de la cohérence des textes en observant et en identifiant les relations des mots entre eux : d’où l’importance de faire varier les éléments d’une phrase selon un axe syntagmatique, en utilisant par exemple de textes lacunaires qui présentent l’avantage de donner du sens.

Pour finir, la question truculente : dictée or not dictée ?

Les textes officiels accordent une grande importance à cette activité contestée. Reconnue comme un bon moyen d’évaluation de la synthèse des apprentissages et de la mise en ?uvre des compétences, elle place cependant l’élève dans une situation artificielle, pointant ceux qui ont le plus de difficultés, s’appuyant sur un barème de notation décourageant et arbitraire, elle ne contrôle que rarement les seules difficultés étudiées au préalable.

Il semblerait préférable de concevoir la dictée comme une activité d’apprentissage, permettant à l’élève d’être confronté à des messages écrits, peut-être même des situations d’énonciation transférées à un système d’écriture ; « réduire » ainsi la dictée à l’apprentissage d’une organisation de systèmes d’accord sous-tend neutraliser les occasions de faire des « fautes d’usage », il est alors nécessaire de fournir des lexiques, renforçant d’ailleurs ainsi leur utilisation.

L’intérêt est également mis sur l’accompagnement fourni à l’élève pour comprendre ses erreurs au moment de la correction et l’on peut par exemple proposer un classement des erreurs pour pouvoir les traiter de diverses façons :

*relation oral/écrit : erreurs de segmentation, erreurs phonétiques, erreurs sur les phonogrammes

*relations entre les mots : chaînes d’accord, morphogrammes, homophones.

Cette démarche novatrice proposée par l’auteur et qu’il dénomme « pédagogie différenciée », vise essentiellement à amener tous les élèves à progresser en évitant de creuser des écarts : elle tient compte des compétences de départ de chaque élève et suppose une attention permanente de l’enseignant aux besoins de chacun ainsi qu’une adaptation des objectifs pédagogiques. C’est en cela que de nombreuse remarques et fiches proposées, nous ont paru très proches de la démarche de rééducation orthophonique qui, quoique n’ayant pas par définition une visée d’apprentissage, s’organise également autour d’une approche adaptative, respectant les possibilités de l’enfant à un moment donné et visant la généralisation d’un savoir-faire.

Pour en savoir plus :

Ters F., Reichenbach G., L’échelle Dubois-Buyse d’orthographe usuelle française ,

MDI, 6 e édition, Paris, 1998.

Pothier B., Comment les enfants apprennent l’orthographe ? , Diagnostic et propositions pédagogiques, Retz, Paris, 1996 .
Bernard Couté

Ed. Retz, Les guides ressources, 1999.