Actualités Orthophoniques Septembre 2003 (volume 7, n°3)
Le dossier « intégration » est « pris en charge » par tous les ministres de l’Education Nationale, en faisant une sorte d’emblème. De nombreux textes et règlements ont été mis en place au cours des dernières années. Par exemple, dans une circulaire de 1999, on lit : « la scolarisation est un droit, l’accueil est un devoir ».
Mais l’éducation « spéciale » (selon l’ancienne appellation) reste un domaine délicat.
Il est d’abord nécessaire d’en apprécier l’ampleur (chiffres de 1998) :
• 25 000 enfants intégrés à titre individuel dans les écoles primaires
• 50 000 intégrés collectivement dans les mêmes écoles,
• 12 500 élèves intégrés en second degré.
• 115 000 enfants en SEGPA (mais il s’agit plus souvent d’enfants en difficultés scolaires qu’en situation de handicap).
• Moins de 1000 dans des UPI…
• Il faut ajouter à cela les enfants bénéficiant de soins dans des établissements médico-éducatifs (115 000 personnes dans près de 2000 établissements. Il s’agit d’ailleurs de plus en plus de services ambulatoires et non d’internat.
Mais, malgré les bonnes paroles, seule une minorité d’enfants est scolarisée et la plupart continuent de fréquenter les structures spécialisées. Pourtant l’esprit a changé, passant de « la maison spécialisée » (qui abrite sans projet fort les enfants) à la logique de maintien de liens sociaux. Cette nouvelle façon de voir s’inscrit dans un large mouvement d’idées, datant d’une trentaine d’années et appelé « mainstreaming » ou « normalization ». Il s’agit de promouvoir l’intégration sociale de la personne handicapée et plus spécifiquement ici son intégration scolaire.
Un des points délicats à propos de l’intégration provient de la « défiance réciproque » entre les différents acteurs. Les établissements spécialisés du type IME ont largement évincé les familles des sujets handicapés. De ce fait, la réaction inverse a eu lieu et les familles n’ont plus eu confiance dans les institutions. De même, une défiance existe entre les différents personnels éducatifs et soignants.
Toutefois, au milieu des années 70, un basculement a eu lieu. Pendant longtemps, le modèle médical de catégorisation des troubles prévalait entraînant la création d’établissements aussi divers que les types de handicaps. Mais le fait d’interner (au sens de mettre en internat) les différentes populations n’est pas sans conséquences. On constate :
– un affaiblissement des liens sociaux
– une aggravation des troubles
– un amoindrissement des chances de réintégrer une scolarité normale
– et, de façon générale, une dégradation de la situation pour la personne handicapée.
Au début des années 70, on voit apparaître une contre-culture qui prône d’une part des structures plus petites, permettant une meilleure communication, d’autre part l’accent mis sur la personne. Après 1975, les choses changent à nouveau, puisqu’ il s’agit de trouver des alternatives aux établissements eux-mêmes. En particulier en évitant les ruptures et en maintenant des liens (ou en les restaurant).
On voit donc apparaître des prises en charge novatrices.
• création d’unités de taille plus réduite
• préférence aux structures de proximité
• accompagnement des familles
• diversification des réponses dans tous les domaines
• développement de projets individualisés
• adaptation à l’évolution des besoins spécifiques des différentes populations.
• développement de diverses modalités de travail avec et sur les familles.
Toutes ces innovations s’inscrivent dans deux principes :
D’une part éviter une rupture et donc préférer les dispositifs proches géographiquement,
D’autre part favoriser un travail vers la famille.
Qu’en est-il plus spécifiquement de l’intégration scolaire ?
Elle est loin d’être acquise et apparaît plus comme une tolérance que comme un droit. Bien sûr, elle se développe peu à peu, mais les freins sont nombreux, liés aux préjugés, aux peurs et aux refus des responsabilités. Au total, face à une demande de plus en plus importante, la disparité et l’insuffisance des moyens conduisent parfois à des situations de déscolarisation.
Les obstacles sont souvent bien montrés dans les rapports sur le sujet :
• Manque d’engagement cohérent et continu des décideurs de l’Education.
• Inégalités des investissements humains selon les lieux.
• La décentralisation empêche le contrôle sur le terrain des politiques nationales
• Les classes spécialisées sont trop souvent ségrégatives.
• La pensée d’une perte de pouvoir des personnels des institutions apparaît comme une menace.
• Absence de formation pour le personnel
• Faiblesse des contacts et de la circulation des informations entre les institutions et l’école.
• Retrait des enseignants qui ont peur d’être dépassés par la difficulté ou plus simplement qui craignent un travail plus important.
Néanmoins, plusieurs éléments apparaissent au contraire pour favoriser l’intégration :
• La notion de volontariat est une des clés de la réussite
• De même la notion de coopération entre tous les acteurs
• La dédramatisation vis-à-vis du personnel est importante
• La prise en compte des contextes et l’aménagement réaliste des situations (contraintes liées aux locaux, aux compétences).
• Une préparation longue et forte doit être entreprise (rencontre préalable, temps d’essai, dispositif de suivi…)
• Il faut mobiliser toutes les ressources disponibles
• Chaque projet doit être individualisé (pas de méthode à priori, modularité des horaires et de l’emploi du temps)
• Formation du personnel, y compris avec des sessions communes à tous les acteurs impliqués.
• Globalité de la démarche qui doit déborder le seul cadre du primaire pour s’ouvrir au collège, voire au lycée.
• Evaluation régulière des dispositifs.
Mais la possibilité et la réussite de l’intégration dépendent également de l’engagement des parents. Il existe un « métier de parent » qui s’apprend de façon très empirique.
Il faut que la reconnaissance des compétences des parents soient reconnues au même titre (mais bien sûr de façon différente) que celles des personnels sanitaires, sociaux ou éducatifs.
Pour « réussir » l’intégration de leur enfant, les parents doivent maîtriser certains domaines :
Par exemple,
• Connaître parfaitement les éléments influant sur la prise de décision.
• Développer des contacts avec tous les intervenants et mettre sur pied une information mutuelle
• Bâtir des systèmes d’alliance avec certains acteurs
• Développer un réseau de solidarité
• Oser s’exprimer et argumenter lors des réunions décisionnelles
• Rester vigilant et pugnace, mais toujours lucide
• Moduler son insistance à obtenir satisfaction, apprendre à céder sur des points mineurs pour obtenir un accord plus intéressant, évaluer le seuil de pression acceptable….
Tout cela pose d’ailleurs problème….Seuls les parents favorisés sur le plan social et culturel (prise de parole par exemple, compréhension fine et rapide des informations..) pourront facilement obtenir ce qu’ils souhaitent. Il y a donc une inégalité importante qui ne tient guère compte du degré de handicap. Dans ce domaine, un important effort doit être fait au niveau des institutions pour développer leur rôle d’information, de conseil et de régulation afin de limiter le combat des parents.
Pour en savoir plus :
Divers articles de J-M LESAIN-DELABARRE en particulier dans « La Nouvelle Revue de l’AIS »
Jean-Marc LESAIN-DELABARRE
Revue Française de Pédagogie, n°134, Janvier 2001