Actualités Orthophoniques Décembre 1999 (volume 3, n°4)
Ce titre m’interpelle et me fait sourire . Après tout, pourquoi pas ? C’est ainsi que je décide de lire ce chapitre et de le résumer.
La plupart des bébés ne parlent pas correctement avant trois ans. Que se passe-t-il avant ? Doit-on s’étonner de ce laps de temps ou au contraire considérer le langage à cet âge comme un miracle ? L’auteur parle de ce postulat : « Tous les nouveaux-nés viennent au monde avec des compétences linguistiques ». Il s’appuie pour énoncer cela sur diverses expériences qui seraient trop longues à détailler ici. Mais c’est un fait qu’il considère acquis ; le bébé ne possède pas ses compétences en écoutant le discours de ses parents. Il sait discriminer les phonèmes de langues très éloignées les unes des autres, alors que les adultes en sont incapables. Mais il préfère entendre sa propre langue et sait la reconnaître. Le nouveau-né doit s’être imprégné de la prosodie de sa langue maternelle dans l’utérus.
Le petit d’homme apprend les sons de la langue tout au long de la première année. Un peu plus tard, il commence à grouper les sons différents, tout en continuant à discriminer les différents sons.
Quelques mois plus tard, il est absorbé par le système linguistique de ses parents et il ne distingue plus que les phonèmes de sa propre langue. Cette étape se situant avant la production ou la compréhension de mots, il n’est pas possible que l’apprentissage phonétique dépende d’une mise en corrélation du son avec le sens, c’est à dire qu’il ne peut entendre une différence de sons entre un mot dont il pense qu’il veut dire « père » et un mot dont il pense qu’il veut dire « peur », parce qu’il n’a encore appris aucun de ces deux mots. On peut donc penser qu’il trie directement les sons en les ajustant peu à peu pour obtenir les phonèmes utilisés dans sa langue. Ce serait le même modèle pour l’apprentissage des mots et de la grammaire.
Le babillage est très important : le nouveau-né a reçu un ensemble de commandes nerveuses dont le rôle est de mouvoir dans tous les sens les articulateurs, en produisant sur le son toute une variété de gammes. En écoutant son propre babillage, le bébé construit son mode d’emploi. Il apprend comment bouger tel muscle et dans quel sens pour obtenir un changement de sons. Ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra reproduire le discours de ses parents.
Vers son premier anniversaire, bébé commence à produire des mots. Tous les bébés de la terre ont des productions identiques : environ la moitié des mots dénomment des objets : la nourriture, les parties du corps, les vêtements, les véhicules, les jouets, les objets de la vie quotidienne, les animaux, les personnes. D’autres mots concernent les actions, les attitudes ( debout….), les adjectifs.
Enfin, certains sont consacrés à la vie sociale : oui, bonjour… Néanmoins, il existe une différence entre les enfants dans le nombre d’objets dénommés ou dans l’utilisation de mots participant à la vie sociale. Certains bébés s’intéressent plus aux objets, d’autres à la conversation.
Il est possible que les enfants enregistrent des mots que leurs parents utilisent seuls ou en position finale accentuée : « Regarde le biberon ». Puis, ils cherchent les mêmes mots dans des séquences parlées plus longues et en trouvent d’autres en jouant sur des sons identiques. Mais quelquefois, le système a des ratés : « j’ai tombé dans le nescalier ».
Autour de 18 mois, le langage démarre : augmentation du stock lexical au rythme d’un nouveau mot toutes les deux heures et ce jusqu’à la fin de l’adolescence. Tous les enfants à travers le monde ont des combinaisons de deux mots semblables : ils mentionnent où les objets apparaissent ou disparaissent, comment ils se déplacent et qui sont leurs propriétaires. Dans 95% des mini-phrases, les mots sont correctement ordonnés. Ceci parce que avant même d’assembler deux mots, les bébés comprennent une phrase par sa syntaxe. Quand ils commencent à dire des phrases, ces énoncés de deux ou trois mots expriment uen idée complexe.
Entre la fin de la deuxième année et le milieu de la troisième, le langage de l ?enfant évolue dans le sens d’une conversation courante avec des phrases grammaticalement correctes, et ce de façon rapide. La longueur des phrases augmente régulièrement. Comme la grammaire est un système combinatoire, le nombre de formes syntaxiques double tous les mois pour atteindre des milliers avant l’âge de trois ans. Quelque soit la rapidité du développement de son langage et des différentes étapes, ces dernières sont en général identiques. L’enfant de trois ans emploie beaucoup de mots de fonction tels que : « qui, ou… », des comparatives, des négations, des compléments, des conjonctions et des passifs.
L’enfant fait des erreurs, mais ce sont rarement des aberrations fortuites : elles suivent souvent la logique de la grammaire : « des chevals ». Pourquoi ces erreurs? C’est que les formes irrégulières doivent être mémorisées et lorsque la mémoire est faillible, la règle régulière comble le vide.On peut donc dire que l’enfant de trois ans est un génie en grammaire.
Le « mamanais » est la langue qu’utilisent les parents pour parler à leurs enfants. On peut le comparer aux vocalisations utilisées par les animaux pour s’adresser à leurs petits : des mélodies avec des intonations montantes ou descendantes pour approuver, une série de bruits brusques et saccadés pour interdire et des sons très doux et très bas pour consoler.
Pour l’enfant, la langue inconnue au tout début est le français ou l’anglais ou le japonais. Ils entendent d’abord le « mamanais », c’est le langage parlé des parents qui est plus lent, plus accentué, plus concentré sur l’immédiat et plus grammatical. Le « mamanais » est aussi plus fertile en questions du type : « qui, qu’est-ce que, où… ».On sait que lorsqu’il a le choix, un bébé préfère écouter du «mamanais». Le dévelopement de la grammaire ne dépend pas de la pratique de l’enfant. Quand ce dernier parle, il ne reçoit pas d’informations sur la langue car les parents corrigent peu les productions infantiles. Ce qui leur importe est la véracité du discours plus que les bonnes formes grammaticales. Pour pouvoir parler un jour correctement, l’enfant ne peut se contenter de tout mémoriser. Il procède par généralisation. Il commence par décliner la forme grammaticale qui lui paraît la plus proche de celle de ses parents et au fur et à mesure de ses capacités, il l’étend plus loin. D’où des erreurs qui font sourire bien des «grandes personnes ». En outre à mesure que se construit le bon système grammatical, l’enfant fair des ajustements et finit par éliminer les formes erronées.
Pourquoi les bébés ne parlent-ils pas à la naissance ? Ils doivent s’écouter pour apprendre le fonctionnement de leurs articulateurs et écouter les aînés pour apprendre les phonèmes, les mots et l’ordre des syntagmes. Ce développement se déroule selon un certain ordre : en premier les phonèmes puis les mots puis les phrases. Mais on peut penser qu’une vie mentale aussi puissante pourrait permettre de l’apprendre en quelques semaines ou quelques mois. Pourquoi doit-on attendre trois ans ? Ce processus pourrait-il se faire plus rapidement ?
On a tendance à penser que non. Si parallèlement à son cycle de vie, l’être humain devait rester en gestation aussi longtemps que les autres primates, il naîtrait à 18 mois, âge auquel le bébé commence à assembler les mots. Ce qui fait dire à l ?auteur de ce livre que le bébé parle effectivement à la naissance.
Le cerveau d’un bébé se remanie considérablement. La taille, le poids du cerveau et l’épaisseur du cortex cérébral (siège des synapses) augmentent très rapidement. Les connections à longue distance continuent à se former et la gaine de myéline se développe. Entre neuf mois et deux ans, l’enfant a 50% de synapses de plus que l’adulte. L’activité métabolique du cerveau a le même niveau que celle d’un adulte entre neuf et dix mois et elle atteint un pic à quatre ans. Beaucoup de neurones disparaissent dans les deux premières années avant que leur nombre se stabilise vers sept ans. Les synapses commencent à dégénérer vers deux ans et ce jusqu’à l’adolescence.
D’où l’hypothèse que le langage pourrait se développer selon un programme de maturation : le babillage, les premiers mots et la grammaire ne se développeraient qu’avec la croissance du cerveau selon le même rythme rapide que le développement du cerveau.
Mais alors on peut se poser légitimement cette question : pourquoi le langage s’installe-t-il aussi vite alors que le reste du développement mental se déroule à un rythme plus lent ? Il faut considérer le rôle de communication du langage qui aurait pour but d’empêcher les imprudences et les morts par accident (cause importante de mortalité en début de vie). Ce n’est peut-être pas un hasard si l’explosion du langage et les débuts de la grammaire correspondent à l’aptitude à se déplacer seul autour de 15 mois.
L’acquisition d’un langage normal est à peu près certaine jusqu’à 6 ans, plus aléatoire ensuite jusqu’à la puberté et rare au-delà. La cause en est les modifications liées à la maturation du cerveau : baisse du métabolisme, diminution du nombre de neurones dans les premières années de la scolarité, abaissement du nombre de synapses et du métabolisme à son niveau le plus bas autour de la puberté.
Ainsi est donc résumé ce chapitre, dont le titre est plutôt amusant. Il est riche d’informations et de pistes de réflexions, même si certaines paraissent loin de nos préoccupations quotidiennes. Il permet en tout cas de prendre un peu de distance avec ces dernières.
Hélène LACAM
Chapitre 9 – « Un bébé naît en parlant et décrit le paradis »
Steven Pinker
Editions Odile Jacob, 1999, 199FF