« L’écoute de la parole ralentie » ou l’application en milieu écologique d’une méthode qui a fait ses preuves.

Actualités Orthophoniques Mars 1999 (volume 3, n°1)
Nous vous parlions dans le précédent numéro d’ « Actualités Orthophoniques » de l’expérience menée aux Centre des Lavandes et de son application à venir auprès des familles et des orthophonistes en exercice libéral. C’est chose faite puisque une expérimentation vient d’être lancée par Michel Habib et ses collaborateurs et ce pour une durée d’entraînement de dix huit semaines.
Mais revenons-en aux sources qui ont inspiré cette méthode de rééducation, c’est-à-dire les travaux menés par Paula Tallal aux Etats-Unis, auprès d’enfants présentant des troubles de l’apprentissage du langage.

Chez ces enfants, la perception et la production phonologiques sont défaillantes en raison d’une difficulté à détecter et à discriminer l’ordre de présentation des stimuli rapides : c’est le traitement de l’information temporelle rapide au niveau des sons qui fait défaut, entraînant un déficit du traitement de l’information acoustique sur les sons verbaux.

L’idée originale de Tallal a été de traiter les troubles au niveau de la perception temporelle en opérant à une modification acoustique de la parole dans le sens d’une augmentation de la transition formantique , c’est à dire du passage entre la fin d’une consonne et le début d’une voyelle. Dans ces conditions, les enfants parviennent à améliorer leurs capacités discriminatives.

Faisant le rapport avec l’acquisition du langage écrit qui fait également intervenir le traitement d’une information de manière séquentielle, Tallal a appliqué cette expérimentation auprès de jeunes dyslexiques auxquels elle a proposé des épreuves de perception de sons en opérant à des distorsions acoustiques. Les résultats confirment les difficultés accrues des dyslexiques lorsque les intervalles inter-stimulus diminuent : les stimuli auditifs présentés plus lentement sont mieux traités, facilitant ainsi la conscience phonologique.

Des études utilisant le test d’écoute dichotique ont amené à prouver que l’hémisphère gauche du cerveau est spécialisé dans le traitement temporel de la parole : en effet, chez des sujets porteurs de lésions cérébrales gauches ou chez des sujets normaux, on constate un effet de supériorité de traitement de la parole par l’oreille droite, d’où une spécialisation de l’hémisphère gauche dans le traitement de l’information auditive rapide pour des stimuli verbaux ou non verbaux.

Chez les dyslexiques, la perturbation des mécanismes spécifiques traitant de la dimension temporelle des stimuli, serait à l’origine du trouble phonologique.

Un entraînement des aptitudes du travail temporel a donc été mis en place auprès d’enfants présentant des troubles du langage : sur une durée de vingt jours, ces enfants ont été soumis à des jeux audiovisuels faisant intervenir la discrimination auditive sur des sons dont la durée, l’intensité et l’intervalle inter-stimuli diminuaient au fur et à mesure des progrès. Les résultats obtenus ont bien démontré l’amélioration de la conscience phonologique grâce à l’entraînement.

Il restait à appliquer cette méthode d’entraînement à la population des dyslexiques : intégrer cette « rééducation du cerveau » à nos pratiques orthophoniques.

L’équipe « Parole et Dyslexie » du Laboratoire Parole et Langage à Aix en Provence a mis au point un corpus de travail et le relais a été pris en appliquant l’expérimentation auprès de dyslexiques âgés de 11 à 13 ans 6 mois, présentant une dyslexie à prédominance phonologique, sans troubles associés tels que des troubles du langage.

L’expérience a été menée aux Lavandes, centre scolaire spécialisé dans le traitement de la dyslexie : un groupe contrôle recevant un entraînement avec de la parole normale et un groupe expérimental avec de la parole modifiée, il s’agissait, sur une période de 5 semaines (5 jours par semaine pendant 45 minutes), d’accomplir des tâches métaphonologiques, telles que recherche d’intrus et dictées de non-mots.

En fin d’entraînement, les résultats étaient bien meilleurs pour le groupe expérimental au niveau des capacités de conscience phonologique : les épreuves de comptage phonémique, de segmentation phonémique, de jugement de rimes et de suppression du premier phonème, l’attention à la lecture se trouvaient nettement améliorées par la méthode de modification acoustique. De plus, une seconde évaluation un mois plus tard, a permis de constater la persistance de l’effet observé, à un moindre degré toutefois.

Forte de ces résultats, l’équipe a proposé de compléter l’étude avec le double objectif de généralisation de la méthode non seulement à un milieu écologique ( en cabinets d’orthophonistes et en milieu familial) mais aussi à une population plus large (enfants plus jeunes).

L’étude « Lavandes II » a donc été lancée par Michel Habib et son équipe, à nouveau en collaboration avec le laboratoire de phonétique d’Aix en Provence dans le but de constituer une « prégénéralisation » à la méthode.

Des orthophonistes et des familles se sont donc proposés pour participer à ce travail; des enfants de 5 ans 5 mois à 12 ans 7 mois ont été sélectionnés ; un matériel constitué d’un CD-audio, d’un casque et d’un livret d’enregistrement des résultats a été fourni. L’entraînement s’est déroulé sur une période de 8 semaines, à raison de 10 à 15 minutes quotidiennes et d’un suivi des exercices par l’orthophoniste.

Les épreuves se sont organisées en trois niveaux en fonction des âges :

*identification de phonèmes et comptage syllabique pour le niveau 1

*auxquels se rajoutait une dictée de structures simples et complexes pour le niveau 2

*avec suppression de syllabes et acronymes pour le niveau 3

Là encore l’amélioration des performances de conscience phonologique a été prouvée, plus sensible cependant auprès de la tranche d’âge des 8 /10 ans, période semblerait-il la plus favorable quant aux capacités attentionnelles et aux apprentissages scolaires.

La participation des parents, leur implication semblerait également avoir eu un effet très bénéfique sur le bon déroulement de l’expérience, encourageant donc ce type d’intervention.

Le seul effet « négatif » constaté serait la lassitude , la démotivation des enfants (et peut-être des parents…) en fin d’entraînement, alors que malgré tout l’évolution reste constante.

Au mois de Janvier 1999, l’équipe a « récidivé » , mais compte tenu des conclusions précédentes, le projet a subit quelques modifications : la durée de l’entraînement est désormais de 18 semaines, afin de mieux mesurer le maintien de l’apprentissage, scindées en 4 périodes et entrecoupées de périodes de repos afin d’éviter la lassitude. Par ailleurs, le groupe d’enfants choisis se veut volontairement plus homogène en âge, tandis que d’autres projets avec des charges attentionnelles et mnésiques moindres sont attendus.

Les épreuves au fil de l’entraînement :

*intrus phonémiques sur mots et logatomes

*rimes

*retrouver le nombre de fois où un son est perçu dans un même mot

*segmentation phonémique

*dictée de non-mots

*suppression de phonème

*acronymes

Evidemment les résultats vous seront communiqués dans un prochain numéro, il est évident que cette approche qui s’adresse spécifiquement à un mécanisme neuro-cognitif précis, et s’appuyant sur la modification de l’organisation même des circuits cérébraux requiert toute notre attention dans la prise en charge que nous pratiquons au quotidien.

Geneviève GALIBERT

avec les collaborations de Michel HABIB, neurologue à Marseille,

et de Roselyne CAMPS, neuropsychologue à Marseille.
Pour en savoir plus :

Bruas,P & Grès,C.
« Rééducation de la conscience phonologique par modification acoustique de la parole dans la dyslexie de développement »
Mémoire de DEA, Aix, 1997.

Camps,R.
« Entraînement des aptitudes du traitement temporel chez les enfants dyslexiques : mise en place d’un programme rééducatif »
Mémoire de recherche, DESS de Psychologie,1998.

Habib, M.
« Dyslexie : le cerveau singulier » Marseille ;
Solal. 1997.

Habib, M.,Espesser,R., Rey,V., Giraud,K., Bruas,P., Grès,C.,
« Training dyslexics with acoustically modified speech ; evidence of improved phonological performance » (à paraître)

Lemoine, S.
« Contribution à l’étude de l’efficacité d’une méthode d’entraînement acoustique dans la dyslexie de développement »
Mémoire d’orthophonie, Marseille, 1998.