Actualités Orthophoniques Juin 1999 (volume 3, n°2)
Nous avons souvent constaté la fréquence des troubles du langage consécutifs à un traumatisme crânien encéphalique ( T.C.E.) qu’ils soient ou non de nature aphasique. Cet article a le mérite de faire la synthèse sur les connaissances actuelles en ce qui concerne l’impact de l’atteinte cérébrale sur la communication verbale mais aussi les possibilité de récupération et d’acquisition de nouvelles habiletés dans ce domaine.
Les auteurs nous rappellent que le T.C.E. est dû à une blessure provoquée par une force extérieure et précisent le diagnostic différentiel (atteintes congénitales ou d’origine vasculaire, infectieuse). La fréquence des T.C.E. chez les enfants est importante. Les dommages sont soit primaires, c’est-à-dire survenant dès l’impact (contusion, sectionnement de fibres nerveuses), soit secondaires, c’est-à-dire dûs aux complications du T.C.E. (hématomes, ?dèmes). En général, seuls ces derniers peuvent être diminués à condition qu’il y ait intervention rapide.
Les auteurs nous rappellent les trois constats principaux au sujet des troubles du langage acquis chez l’enfant selon la conception classique :
L’aphasie de l’enfant est non fluente avec soit mutisme, soit manque d’initiative. On n’observe pas de logorrhée.
Une grande proportion des enfants aphasiques présente des troubles de la lecture et de l’écriture.
La récupération est plus favorable chez l’enfant que chez l’adulte et ce en proportion de son âge : récupération totale avant trois ans, persistance de séquelles au niveau du langage écrit jusqu’à dix ans, persistance de séquelles touchant le langage oral et écrit de dix à quatorze ans.
Hecaen explique cette récupération par une possibilité de réorganisation inter-hémisphérique alors que la spécification des différentes régions cérébrales n’est pas encore totalement marquée. Toutefois, la méthodologie utilisée pour les recherches à l’origine de cette conception classique a ses limites et ses lacunes. Cette conception ne semble plus totalement fiable comme le confirment de nouvelles observations cliniques. Ainsi, on a pu constater chez l’enfant l’existence d’aphasies fluentes, de jargons logorrhéiques et d’aphasies de types différents comme chez l’adulte.
De plus, la récupération totale et rapide n’est pas systématique : des troubles langagiers séquellaires persistent et ce, malgré l’absence d’une aphasie proprement dite. Quelques améliorations méthodologiques ont donc été mises en place dans les années 80 :
Les échantillons sont mieux sélectionnés. Les études concernent, non plus les lésions cérébrales en général, mais de façon plus spécifique soit les T.C.E., soit les accidents vasculaires, soit les lésions d’origine infectieuse.
Une échelle de sévérité du T.C.E. est prise en compte, l’outil de référence étant l’échelle coma de Glasgow qui distingue les T.C.E. sévères des T.C.E. légers et modérés.
Des évaluations langagières plus systématiques permettent la mise en évidence de troubles de la communication verbale, de déficits langagiers en l’absence d’aphasie proprement dite.
Les études développées dans la suite de l’article tiennent compte de ces améliorations. Les auteurs nous proposent ensuite la synthèse des résultats obtenus au cours de ces dernières années de recherche sur les différentes questions en rapport avec les habilités langagières en cas de T.C.E.
Les séquelles langagières des T.C.E. sur les enfants :
Une étude, en 1979, a mis en évidence la fréquence, en cas de T.C.E., des problèmes de mémoire (50%) et de langage (31% anomie, 11% problèmes réceptifs). Une étude plus récente sur des enfants et des adolescents un mois après leur T.C.E. confirme que le versant expression (et la dénomination) est plus touché que le côté réceptif. Une autre étude s’est intéressée aux difficultés de communication d’enfants ayant subi un T.C.E. au cours de l’année précédente, en comparant leurs résultats à ceux d’un groupe témoin. Le déficit des enfants ayant subi un T.C.E. concerne la dénomination, déficit en rapport avec un « manque du mot ». Une autre étude a recherché, dans un contexte naturel, les performances d’enfants et d’adolescents ayant subi un T.C.E. sévère. Sept échantillons de conversation ont été recueillis sur une année. L’analyse a porté sur sept aspects formels du langage (longueur et complexité des énoncés entre autres). Les résultats sont déficitaires dans le cas de T.C.E. pour ces sept critères. Toutefois, on peut regretter que d’autres aspects du langage comme la structure ou le contenu n’aient été pris en compte.
Ces aspects ont été étudiés au cours d’une autre recherche par un travail de rappel d’histoire. Les enfants et les adolescents ayant subi un T.C.E. omettent des informations concernant la structure du récit et ce dans une production langagière plus réduite. Plus le T.C.E. est sévère, plus le discours est désorganisé
Par l’analyse de la relation entre les capacité narratives et d’autres mesures cognitives, les auteurs concluent que la richesse du discours permet d’aborder d’autres aspects (socio-cognitivo-linguistiques) des séquelles du T.C.E.. Or les tests standardisés ne mettent pas ces troubles en évidence. Et nous savons bien qu’une atteinte des fonctions cognitives telles l’attention, la mémoire, l’organisation, le raisonnement, peut altérer les capacités de communication. D’autres auteurs confirment l’impact des ces difficultés cognitivo-linguistiques sur les habiletés conversationnelles et leurs conséquences sur la réintégration sociale et la réussite scolaire de ces enfants.
Les résultats de ces diverses études concordent dans le sens de l’existence d’un déficit langagier après un T. C.E.. Celui-ci apparaît dans les situations de la vie courante (contexte naturel de conversation ou de narration) plutôt qu’au cours d’épreuves formelles.
Impact de la sévérité du T.C.E. sur les séquelles langagières
La majorité des études réalisées dans des délais de six mois à un an après le T.C.E. révèlent que l’importance de l’atteinte des habiletés langagières est bien liée à la sévérité du T.C.E..
Les tâches proposées diffèrent selon les auteurs : dénomination, étude du langage expressif, fluence verbale.
Les épreuves qui mettent en évidence des différences significatives en cas de T.C.E. sévère ou léger sont celles qui impliquent une limite de temps.
Récupération des habiletés langagières suite à un T.C.E.
Une étude (1993) compare les résultats obtenus en cas de T.C.E. léger, et sévère, et ce, en quatre temps, lors de l’admission à l’hôpital puis à six, douze et dix-huit mois du T.C.E.. On constate que les déficits persistent, en particulier pour l’épreuve de dénomination, mais avec une amélioration progressive des résultats allant en faveur d’une récupération possible. Le rythme de récupération est rapide au cours des six premiers mois. Il est plus lent et se produit sur un temps plus long pour les T.C.E. sévères.
Une autre étude dans un contexte conversationnel a comparé les résultats d’enfants avec T.C.E. sévère et ceux d’un groupe témoin.
Le bilan initial donne des résultats déficitaires en cas de T.C.E. pour chacune des épreuves. Le bilan suivant, réalisé douze mois plus tard, constate une amélioration chez ces enfants pour toutes les épreuves à l’exception du nombre d’énoncés et du pourcentage d’énoncés complexes. Les résultats du groupe témoin, eux, n’ont pas évolué ce qui permet de conclure dans le sens d’une récupération possible. Les auteurs précisent toutefois qu’à degré de sévérité égal, on observe des différences interindividuelles quant aux capacités de récupération.
Influence de l’âge sur les capacités langagières
La majorité des études ne différencie pas suffisamment les résultats obtenus par des enfants d’une part et par des adolescents d’autre part. Une étude (1975) a démontré que l’atteinte du langage écrit est plus importante dans un groupe d’enfants en bas âge (de 5 à 10 ans) que dans le groupe plus âgé. On en déduit que les aspects du langage en cours d’apprentissage lors de l’atteinte par T.C.E. restent plus fragiles.
Les recherches, trop rares, auprès d’enfants en bas âge confirment l’hypothèse d’une fragilité accrue pour les enfants les plus jeunes.
Impact à long terme d’un T.C.E. sur les capacités langagières
Plusieurs études ont permis des évaluations de un à dix ans après le T.C.E.. L’une d’elles conclut que l’amélioration de la majorité des performances, qui restent toutefois inférieures à celles d’un groupe témoin, s’explique par des phénomènes développementaux plutôt que par une récupération réelle des déficits initiaux.
Une autre étude concerne l’évolution scolaire : la réintégration dans le système régulier n’est possible que pour 8% des participants ; 39% suivent une scolarité en milieu spécialisé ; 17% suivent une thérapie intensive ; 25% resteront non éducables.
Quant aux T.C.E. légers, ils ont des répercussions à long terme sur les capacités langagières, en particulier pour les tâches dont l’acquisition n’avait pas encore débuté au moment de l’accident. Les troubles n’apparaissent qu’au rythme des essais d’apprentissage nouveaux.
On remarque, d’autre part, que ces capacités d’acquisition peuvent être ralenties par des troubles de mémoire. Avec le temps, la pression scolaire vis-à-vis des fonctions exécutives de l’enfant augmente alors que ces fonctions restent souvent compromises. Les difficultés s’accroissent avec la quantité d’informations à traiter.
Une étude montre qu’une atteinte de ces fonctions exécutives paraît anodine en primaire puis révèle des troubles cognitifs et comportementaux en secondaire.
Les auteurs concluent en l’existence de séquelles à long terme sur le plan cognitif, communicationnel ainsi que vis-à-vis des apprentissages scolaires.
L’article se termine par le résumé des résultats obtenus pour chaque question :
Les séquelles langagières consistent non seulement en troubles du langage écrit mais également en manque de fluidité verbale, d’organisation et de précision du discours. Ces difficultés cognitivo-linguistiques qui entravent l’apprentissage et la scolarisation doivent faire l’objet d’une rééducation dans une approche plutôt écologique.
La sévérité du T.C.E. a une influence directe sur l’importance des séquelles. Toutefois, même dans les cas de T.C.E. légers, on remarque des problèmes de langage.
La récupération des habiletés langagières est partielle : malgré une amélioration des capacités, persistent des séquelles dont une partie ne sera apparente que lorsque l’enfant sera confronté à l’acquisition d’apprentissages nouveaux.
Lorsque le T.C.E. est subi au cours des premières années de vie, les séquelles langagières sont plus importantes, les aspects du langage en émergence étant les plus vulnérables
L’impact à long terme d’un T.C.E. est lié à la sévérité de celui-ci. Toutefois, restons attentifs à tout signe de difficultés qui pourrait prédire un problème plus important dans l’avenir.
Enfin, de nouvelles parties de recherche sont évoquées telles l’étude de la vulnérabilité des aspects du langage en émergence au moment même du T.C.E. avec comparaison des résultats obtenus par des évaluations formelles et des évaluations en milieu naturel.
Rappelons que la précision des connaissances et des résultats obtenus pour ces questions est en relation directe avec la qualité de nos prises en charge.
V.R.
N. TRUDEAU, Y. JOANETTE et D. POULIN-DUBOIS
Revue d’Orthophonie et d’Audiologie, 1998, 22, 3.