Et si la dyslexie n’existait pas ?

Actualités Orthophoniques Mars 1999 (volume 3, n°1)
Lecture, dyslexie, prévention, remédiation, éthologie de l’écolier

Le titre est volontairement provocateur et l’article lui-même tient parfois plus du pamphlet que de la démonstration scientifique. De plus, on a parfois l’impression d’avoir affaire avec un dépliant publicitaire, tant la mise en avant des produits maison est exagérée et occupe toute la réponse aux difficultés des enfants.
Mais dans le même temps, le sujet est d’importance…et d’actualité. Et du coup, malgré son parti pris parfois agaçant, cet article vaut largement qu’on s’y attarde.

L’auteur démarre sur les chapeaux de roues en proposant ses définitions :

Lire : « c’est accéder à la pensée confiée à un écrit »

Inizan insiste également sur la dimension sociale de l’acquisition de la langue.

Etre prêt à apprendre à lire : « C’est disposer des habiletés cognitives qui seront mises en ?uvre tout au long de cet apprentissage ». Malheureusement, en guise de pré-requis, on reçoit une publicité pour la Batterie Prédictive de l’auteur.

De même, « se préparer à apprendre à lire » renvoie à la prévention, qui renvoie à un matériel de l’auteur « 2 as = activités préalables ».

Apprendre à lire , c’est pour un enfant « découvrir comment s’écrit ce qu’il entend dire et sait dire lui-même »

Enfin savoir lire . Pour Inizan, c’est « obtenir 25 points à sa Batterie de Lecture » ! (qui comprend une épreuve de compréhension de lecture silencieuse, une de vitesse de lecture et une de maîtrise de la combinatoire). L’auteur considère cette définition comme expérimentale…donc précise (car il y a référence quantitative) et féconde (puisqu’elle révèle la fréquence du phénomène de non lecture et qu’elle permettrait aux praticiens de communiquer entre eux…). Un « seuil du savoir lire » correspond en fait à l’estimation des enseignants, qui distinguent en fin d’année de CP ceux qui ne savent pas lire et le seuil correspond au plus mauvais des enfants sachant lire (quel couperet !)

Et pour bien montrer l’utilité de ses batteries, Inizan suggère que la comparaison des performances aux Batteries Prédictive (avant le CP) et de Lecture (fin de CP) donne la mesure du rendement de l’apprentissage. Surprenante démonstration scientifique…

Venons-en à la dyslexie, puisque le titre la met en exergue.

D’un simple trait de plume, Inizan rejette la définition actuelle qui « dédouane si bien tout le monde ». Elle serait peu précise et négligerait la question de l’action pédagogique : il ne suffit pas qu’un enfant soit scolarisé pour qu’il bénéficie de bonnes conditions pédagogiques. (NDLR : cela est bien vrai, mais notre expérience montre à l’évidence que la dyslexie n’a rien à voir avec le type de pédagogie enseignée). Mais surtout elle agglomérerait une population bien trop importante (8% ou 20% selon les paragraphes) ce qui enlèverait à la définition toute validité…[NDLR : il nous semblait pourtant que la définition « officielle » était très limitatrice, ne serait-ce qu’avec le critère de deux années de retard.]

La définition d’Inizan rappellera aux plus âgés le bon temps… : « La dyslexie serait une infirmité d’origine cérébrale qui compromet l’apprentissage de la lecture-écriture » en d’autres termes un « minimal brain damage ».

Trois éléments excluraient le diagnostic de dyslexie : un niveau intellectuel défaillant, des pré-requis mal installés et une carence pédagogique.

Par contre et à juste titre, Inizan pense que la dyslexie (la vraie…) devrait être reconnue comme un handicap et permettre des aménagements de temps et le paiement d’allocations spécifiques (à l’image des mal-voyants ou des mal-entendants).

L’auteur entreprend ensuite un tour d’horizon de la prévention, clé selon lui (NDLR et selon nous aussi..) d’un futur bon apprentissage de la lecture. En particulier il souligne la dualité d’approche dans la préparation à l’apprentissage de la lecture dans les écoles maternelles. La tendance actuelle semble privilégier « le grand bain d’écrit » au nom de l’idée « qu’on apprend à lire en lisant ». Or, (et notre expérience nous le prouve) « l’envie d’apprendre à lire n’apprend pas à lire ». De plus notre monde est inondé d’écrits (livres, journaux, publicités) et il n’y a nul besoin d’insister sur cette activité, qui d’ailleurs n’aurait qu’un faible rendement.

Inizan privilégierait donc l’entraînement cognitif qui facilitera l’apprentissage ultérieur de la lecture. Il reprend les produits qu’il a élaborés (les « activités préalables ») et qui ont l’avantage d’être personnalisés en spécifiant les domaines d’activités : espace, temps, fonction symbolique, graphisme de l’écriture et surtout conscience phonologique, le tout sans référence à l’écrit….

Au passage il note que les ateliers cognitifs parfois mis en place dans les classes de maternelle n’apportent guère de progrès car il y a trop d’hétérogénéité entre les capacités des enfants.

S’agissant de l’apprentissage même de la lecture en CP, Inizan souligne, à partir d’une étude éthologique basée sur le temps de regard lors des activités de lecture, le faible rendement pédagogique : les enfants ont un rendement très disparate allant de 4 et 60%… or la plupart des études « scientifiques » sont faites en laboratoire et ne tiennent pas compte de la réalité de la classe in vivo.

Une autre partie de l’article est consacrée aux méthodes d’apprentissage et en particulier à la méthode « naturelle » de Freinet. Notons au passage qu’il s’agit en fait de la méthode globale. L’auteur oppose la méthode traditionnelle basées sur le « soufflage » des graphies à la méthode naturelle, qui constitue une activité mentale soutenue donc plus féconde, même si la nécessité d’une aide pédagogique est aussi ici nécessaire.

L’auteur insiste aussi sur l’absence de personnalisation de l’apprentissage de la lecture.

En fait, il est nécessaire de mettre en place avant le CP un apprentissage spécifique destiné à aider à la découverte et à la maîtrise des invariants (dans la méthode naturelle) lors du CP. Plutôt que de multiplier les écrits, il propose de n’en retenir que quelques -uns mais qui seront plus approfondis. Et ces écrits doivent être personnalisés, adaptés au rythme de l’enfant.

Enfin, en guise de conclusion, l’auteur nous propose (pas à nous orthophonistes, mais aux enseignants bien sûr car dans tout ce texte relatif à la dyslexie, le terme d’orthophonie n’est jamais mentionné, même à propos de rémédiation) un matériel comportant 1000 unités de travail.

René Degiovani

Pour en savoir plus :

Les articles et ouvrages de l’auteur cités dans l’article .

André INIZAN

Psychologie & Education, 1998, n°35