Enquête sur le rôle des dispositifs médico-social sanitaire et pédagogique dans la prise en charge des troubles complexes du langage.

Actualités Orthophoniques Septembre 2002 (volume 6, n°3)
Décidément, cela bouge beaucoup dans les milieux officiels à propos des troubles du langage. Et c’est probablement tant mieux, car d’une part cela « remet les pendules à l’heure » sur les qualités et défauts des différentes interventions, et d’autre part cela procure à notre profession une reconnaissance officielle. Après le rapport Ringard sur l’enfant dysphasique et l’enfant dyslexique (Février 2000) et les travaux de l’ANAES (voir Rééducation Orthophonique), voici donc une enquête menée conjointement par les Affaires Sociales et par l’Education Nationale.
Ce rapport est très conséquent tant dans sa forme (86 pages accompagnées de 61 pages d’annexes) que dans son contenu, puisque les critiques sont nombreuses et argumentées et que les propositions sont claires et précises.

D’un point de vue pratique, il est impossible de résumer un tel document et nous avons donc choisi de vous proposer des extraits choisis, tout en gardant la structure même du rapport, afin d’en conserver sa totale cohérence. Ceci donne sans doute une lecture hachée, voire parcellaire. Mais il nous a semblé que cela permettait de rester au plus près des propos car il s’agit d’un rapport officiel et non d’un ouvrage classique.

Et si vous souhaitez lire le texte intégral, vous pouvez le demander à l’IGAS (Inspection générale des affaires Sociales) – Section des Rapports – 25 rue d’Astorg – 75008 PARIS – tel : 01-40-56-60-00.

Le rapport s’articule sur deux grands chapitres : le constat et les propositions .

Commençons par la méthode retenue pour ce rapport :

Les troubles complexes du langage constituent un ensemble disparate et les auteurs n’ont pas souhaité faire un recensement quantitatif. Il s’agit donc d’une enquête qualitative, réalisée dans six départements bien différents. Dans chaque département, près d’une centaine de personnes ont été auditionnées et plusieurs tables rondes ont été proposées. L’ensemble des intervenants (enseignants, RASED, CDES, orthophonistes libéraux, institutions, associations de parents…) a pu ainsi être touché et on ressent à la lecture que le tour d’horizon est complet sans lacune méthodologique.

• Le constat (64 pages) :

• L’offre actuelle en dispositifs pédagogiques et de soins n’a pas été conçue pour les troubles complexes du langage.

1.1.1. Les dispositifs pédagogiques intègrent mal les enfants souffrant de troubles complexes du langage

« Aucun dispositif spécifique n’a été institué pour prendre en charge les enfants souffrant de troubles complexes du langage » (TCL dorénavant…).

« Les dispositifs pédagogiques intègrent mal les enfants souffrant de TCL. ».

« La SEGPA apparaît peu adaptée à ceux, parmi ces adolescents, qui sont dotés d’un quotient intellectuel supérieur à la moyenne, même si leurs troubles du langage les pénalisent sévèrement »..

A propos du contrat d’intégration, « « cette formule est séduisante car elle ne stigmatise pas l’enfant ». « Il est donc nécessaire qu’un intervenant puisse le (l’enfant) conseiller et le guider dans son travail d’individualisation pédagogique ».

Les CLIS et autres U.P.I. sont ensuite rapidement présentées.

« Alors que les Groupes d’Aide Psychopédagogique (GAPP) étaient accusés d’être devenus des lieux de soins à dominante psychothérapique, leur remplacement par les réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficultés (RASED) visait à accompagner professeurs et élèves dans les classes ordinaires ». « Le travail des psychologues scolaires devrait être recentré….sur l’organisation de l’école et la liaison avec les dispositifs extra-scolaires de prise en charge des difficultés des enfants ».

« La démarche de projet, largement prévue dans les textes, n’est pas encore appliquée partout. ». Les différents projets issus de plusieurs circulaires sont rapidement présentés (PPAP, PAS, CLIS, PAI, PII). Les auteurs précisent ce que devrait être un « bon projet » :

• « La procédure est partenariale, elle engage l’élève lui-même, ses parents, l’enseignant, mais aussi toute l’équipe pédagogique, les professionnels des services d’aides spécialisées, de soins médicaux ou paramédicaux, y compris ceux qui sont extérieurs à l’institution ».

• « Le projet coordonne les actions d’éducation et de soins ».

• « Il est élaboré à partir d’une évaluation précise des potentialités et des compétences de l’élève, mais aussi de ses besoins, à partir desquels les adaptations seront définies ».

• « Il est dynamique et révisable ».

« Force est de constater que l’adhésion à cette démarche de projet est loin d’être acquise par tous ».

1.1.2. Le dispositif d’offre de soins et de rééducation est complexe et divers

« Le secteur libéral accueille la plupart des enfants souffrant de troubles complexes du langage ».

« Pédiatres et généralistes sont peu formés au diagnostic et au suivi de ces enfants ».

A propos des orthophonistes, « il apparaît qu’ils sont moins bien formés à l’approche des TCL, notamment des dysphasies, dès lors qu’ils n’ont pas suivi de formation continue récemment actualisée sur ce thème ».

« Il apparaît important…de les inciter à approfondir leurs connaissances sur les TCL en leur facilitant l’accès à ces formations pour les plus anciennes et en intégrant ces notions dans le cursus de leurs études ».

« Par ailleurs, leur participation à un réseau de soins, tout particulièrement celle des orthophonistes libéraux, s’avère nécessaire …».

« ..C’est le secteur libéral seul et tout particulièrement celui des orthophonistes, qui prend en charge en ambulatoire la majorité de ces enfants. Or, si cette offre de rééducation peut s’avérer adaptée pour certaines formes légères ou modérées, elle est insuffisamment développée compte tenu de l’actuel manque de disponibilité des acteurs libéraux concernés (orthophonistes, psychologues et psychomotriciens). En particulier elle s’avère inadéquate dans les formes sévères exigeant un rythme intensif de séance ».

« …Dans bien des cas, des choix de priorités étaient effectués par ces professionnels, davantage dictés par la disponibilité qu’ils pouvaient accorder à tel enfant que par des indications thérapeutiques ».

« La médecine de santé scolaire pratique encore trop peu le dépistage ciblé ». « Elle est entièrement organisée autour des dépistages et des bilans systématiques ».

« Les institutions de prise en charge ambulatoire (CAMSP, CMP, CMPP) sont diversement impliquées ».

Les CAMSP « reçoivent à ce jour peu d’enfants souffrant de troubles du langage » « Ils sont tout à fait équipés pour effectuer un premier dépistage des troubles du langage oral et proposer des consignes de suivi éducatif et thérapeutique ». « En outre, leurs personnels sont bien rôdés à l’accompagnement des familles d’enfants handicapés ».

« Les CMP – Centre médico-psychologique (en fait les dispensaires du secteur de psychiatrie infanto-juvénile) – ne paraissent pas bien armés pour la prise en charge de ces troubles ».

« Les CMPP – Centre médico-psycho-pédagogique – peuvent, s’ils y sont encouragés, avoir un rôle important dans le dépistage et la prise en charge des TCL. »

« Cependant…. leurs orthophonistes ne sont pas tous, loin de là, bien formés à cette rééducation, mais plutôt au travail sur le retard du langage d’origine psychoaffective ou socioculturelle ». « Beaucoup d’équipes de CMPP considèrent encore que faire un diagnostic différencié des troubles spécifiques du langage revient à en dénier la part psycho-affective et refusent cette hypothèse. »

Les établissements de soins du type IME, Instituts de rééducation ou SESSAD ne peuvent pas prendre officiellement des enfants avec des TCL car ils ne sont pas reconnus handicapés par la loi. Toutefois , certaines places ont pu être accordées. L’inconvénient de ce type d’institution est d’une part de « déresponsabiliser les parents », d’autre part de créer un « effet filière » par une trop grande assistance et spécialisation. Sans oublier le coût important

« Le rôle de la commission d’éducation spécialisée (CDES) est important mais mal assuré actuellement ».

La CDES est un organisme particulièrement important qui examine le cas de chaque enfant (présenté par l’équipe technique – médecin, psychologue, enseignant), analyse les désavantages résultant des déficiences et décide d’un taux d’invalidité, d’éventuelles prestations (AES) et d’une orientation le cas échéant.

« Bien des équipes de CDES sont mal informées de la réalité des TCL ».

« Les décisions des CDES sont très disparates dans le temps et l’espace ».

• Le parcours d’un enfant atteint de troubles complexes du langage s’apparente souvent à un « parcours du combattant ».

• La détection est souvent tardive

« La détection consiste à déceler chez des enfants, au moment de l’acquisition du langage oral ou écrit, les signes qui préfigurent de difficultés à parler ou à communiquer, à comprendre les mots, à reproduire ou à segmenter les phonèmes, à s’organiser dans l’espace… »

« Deux acteurs principaux sont témoins du développement du langage oral : les familles et les enseignants de maternelle ».

« Leur (la famille) capacité de repérage s’avère très inégale ».

« Peu de parents ont une notion précise des compétences correspondant à l’âge de leur enfant, surtout s’il s’agit du premier ». Les mères sont « réticentes à faire part au maître de leur inquiétude». « Ce d’autant qu’elles se trouvent confortées par leur médecin : « ça va s’arranger avec l’âge » est une phrase qui revient fréquemment. »

« Celles qui acceptent assez tôt de prendre conscience que leur enfant a de réelles difficultés vont plutôt spontanément demander un avis technique auprès d’une orthophoniste ».

« Les enseignants de maternelle repèrent assez vite les enfants en difficulté de communication ou de langage ».

« Si des difficultés sont repérées en petite section, les enseignants s’en tiennent la plupart du temps à une observation de l’enfant, sans faire appel au médecin scolaire ni à la famille. » Les auteurs indiquent qu’il serait souhaitable que dans ce cas, un contact soit pris avec la famille et avec le RASED.

Signalons l’initiative, relevée par les auteurs, d’un RASED qui a mis sur pied en petite section (3/4 ans) des petits groupes d’observation avec activités langagières, animés par l’enseignant et par un maître G (spécialisé).

Après 4 ans, « la détection est plus orientée vers un signalement…la plupart du temps vers le RASED, en zone urbaine. »

Notons à ce niveau la spécificité du milieu rural : par exemple, un enseignant qui suit longtemps le même enfant dans une petite école, pourra se montrer bienveillant à ces troubles. L’enfant peut alors suivre une scolarité primaire « silencieuse », sans soutien spécifique.

« La détection se fait de manière très inégale ».

C’est souvent « l’échec scolaire entraînant un risque d’exclusion qui est souvent le point de départ de la détection du trouble de langage. Le parcours a souvent été très long et le diagnostic arrive beaucoup trop tard ».

L’attitude de certains RASED, peu enclins à dépister, et plus encore à signaler, peut expliquer ce phénomène, d’autant que de nombreux enfants parviennent à suivre un cursus scolaire, malgré leurs troubles.

Les auteurs signalent certaines attitudes de négation des troubles de la part de certains enseignants.

« L’absence d’information des enseignants et de liens avec le milieu médical en est la cause essentielle, mais il faut ajouter à cela : »

• les effectifs parfois élevés des classes de maternelle ;

• la formation de base des psychologues scolaires souvent à tendance psychanalytique

• l’attitude de certains psychologues du RASED, vécue comme culpabilisante par la famille.

• l’absence de RASED dans certaines zones

• la méconnaissance mutuelle des professionnels de la santé et de l’éducation.

• Le dépistage est encore peu organisé

« Il établit la suspicion de TCL. »

« Il repose sur un bilan global, à la fois psychologique, somatique et instrumental, en éliminant les autres hypothèses. »

Il permet de déterminer ceux qui devront être orientés vers un spécialiste ou une équipe spécialisée. »

« Le dépistage est une étape déterminante pour une orientation vers une « bonne » filière de diagnostic et de suivi ».

La difficulté est d’identifier le professionnel adapté. « Insuffisamment formé, il peut n’explorer qu’une partie des troubles ». « Il en est ainsi de certains « diagnostics » orthophoniques qui n’identifient pas un trouble cognitif ». Mais aussi de diagnostics psychologiques qui négligent une co-occurrence d’un trouble psycho-pathologique et d’un trouble neuro-linguistique ».

« Selon l’attention et les capacités parentales, l’information, l’expérience et la capacité d’observation des enseignants, la qualité du réseau de seconde ligne en termes de disponibilité et d’efficacité, un enfant pourra être rééduqué précocement, dans des conditions très adaptées à son cas ou au contraire développer un échec scolaire massif, des troubles du comportement importants ou une dépression et être orienté en établissement sans que personne n’avance à aucun moment l’hypothèse d’un TCL. ».

« Trop d’acteurs sont investis dans des missions de dépistage qu’ils maîtrisent mal. »

« L’évaluation des TCL est un exercice difficile faisant appel à de multiples compétences, qui suppose une certaine modestie, des outils étalonnés et validés et une adhésion à un travail en équipe ».

« Dès lors que le professionnel chargé de dépister est aussi celui qui a la compétence d’un type de rééducation (pédagogique ou orthophonique ou encore psychologique …), le risque existe qu’il fasse un diagnostic incomplet ne prenant en compte que sa spécialité et tente, seul, une prise en charge partielle ».

« Les personnels des RASED ne paraissent pas encore bien formés à l’approche instrumentale de ces troubles ». « Les psychologues scolaires sont en position ambiguë : (certains) souhaitent s’impliquer dans le dépistage, mais décrivent les outils dont ils disposent comme inadaptés à leur pratique. D’autres persistent à inscrire les TCL dans un champ large incluant une forte dimension psychologique.. ».

« Les médecins libéraux avouent être peu sollicités par les familles, peu formés au choix des outils et à la passation des tests…et peu enclins à la disponibilité… ».

Les équipes de PMI multiplient les actions de dépistage, variables selon les départements. Notons que les auteurs du rapport ne citent pas les orthophonistes à ce niveau d’intervention, alors que leur action est fréquente !!

Selon les auteurs, « un dépistage systématique offre une fausse sécurité ». En effet « la mise en ?uvre pratique de cette méthode paraît fort délicate et n’est pas sans inconvénients :

• Durée du bilan (environ ¾ d’h) alors que les médecins sont débordés.

• Fiabilité non totale des tests rapides.

• Temps de formation assez long (3 jours)

« Un dépistage ciblé bien organisé apparaît plus sûr » .

« Un dépistage ciblé, sur les enfants repérés par les enseignants, apparaît beaucoup moins consommateur de temps, et probablement tout aussi efficace, avec l’avantage de l’interactivité avec les familles ». Le médecin scolaire semble le plus apte à l’effectuer.

Le dépistage doit être inscrit dans une démarche de suivi.

Dernier point à propos du dépistage : « Il est en tout cas nécessaire que les batteries de tests utilisés (BREV, RTL4, Zormann) soient scientifiquement évalués et que ceux qui les font passer soient formés correctement ».

• Le diagnostic approfondi relève d’une équipe pluridisciplinaire

« Le diagnostic va bien au-delà de la confirmation à la famille d’une déficience… Il vise à un double objectif :

• assurer une expertise des troubles par une évaluation fine faisant appel à des compétences pluridisciplinaires articulées en équipe.

• élaborer à l’intention des professionnels de proximité des préconisations thérapeutiques et pédagogiques individualisées au cas de chaque enfant. »

« Ce deuxième objectif est tout aussi important que le premier, car il est un gage d’efficacité de la prise en charge ultérieure. »

« Les acteurs du diagnostic, nombreux et dispersés, proposent des prestations de qualité très inégale ».

« Certains psychologues scolaires ou RASED…n’hésitent pas à « éliminer » le diagnostic de TCL « et lorsque le diagnostic correct est posé, il est parfois considéré comme « imposé par le pouvoir médical » !!

« Les orthophonistes confondent trop souvent bilan orthophonique et diagnostic approfondi d’un TCL. Bon nombre reconnaissent ne pas être bien formés au diagnostic des TCL sévères et au choix d’une rééducation adaptée. »

« Les centres de référence ont été créés pour assurer la qualité du diagnostic ».

En effet « il apparaît que l’étape diagnostic :

• est une affaire de spécialistes, réunis autour de l’enfant en équipe multidisciplinaire,

• n’est pas figée, mais peut être remise en cause en cours d’évolution,

• est nécessairement référée à un suivi de la prise en charge,

• suppose des interactions avec les équipes d’amont et d’aval et bien sûr avec les familles.

En 2001, quinze centres référents ont reçu le « label » et le soutien financier du ministère. Une dizaine d’autres le recevront en 2002.

« Un centre de référence est un expert pour le diagnostic et les préconisations qui en résultent ».

Il est dirigé par un médecin expert, entouré d’une équipe multidisciplinaire : pédopsychiatre et neuropédiatre, psychologue clinicien et neuropsychologue, orthophoniste, psychomotricien et enseignant spécialisé.

« Sa vocation primordiale est l’expertise diagnostique et thérapeutique », le plus souvent en hôpital de jour. Les capacités linguistiques, cognitives générales, attentionnelles, mnésiques, visuo-spatiales et exécutives sont évaluées.

« Ces centres ne doivent pas assurer le suivi prolongé des enfants…Il doit en revanche assumer un rôle de conseil rapproché pour les professionnels qui le sollicitent ainsi que pour les familles ».

« Le centre doit développer la recherche et l’évaluation et proposer diverses formules d’enseignement ». « Il se doit de diffuser ces données nouvelles par un enseignement, tant dans le cadre de la formation initiale que dans celui de la formation continue ».

« Les problèmes des troubles du langage se situant au carrefour de différentes disciplines, leur enseignement ne doit pas devenir le monopole d’une seule de ces disciplines ».

« Toutes ces missions ne peuvent être assumées efficacement que si l’ensemble des professionnels est imprégné de la même culture, animés de la volonté d’adhérer à des principes thérapeutiques complémentaires. »

« Le centre doit s’intégrer en tant qu’outil au service d’un réseau régional qu’il lui appartient de développer ».

« Le travail en réseau est fondamental pour optimiser la qualité des soins à moindre coût. »

La suite (prise en charge et Propositions) sera présentée dans le numéro de Décembre.
IGAS et IGEN, Janvier 2002