Dyslexie : le retour

Actualités Orthophoniques Mars 2002 (volume 6, n°1)
Le titre est accrocheur et le ton est résolument polémique. Bref, J. Fijalkow voit rouge dans cet article…Loin des écrits scientifiques dont l’intérêt était considérable en son temps (« Mauvais lecteurs, pourquoi ?), il nous propose ici une lecture politique du célèbre Plan d’action qui vient de voir le jour. Et quelles que soient nos propres convictions, on ne peut qu’être fortement intéressé par ce discours, au delà (ou en raison) de son aspect iconoclaste. Et si la pensée unique (comme en politique d’ailleurs) était un danger ?
D’emblée, l’auteur relève quatre risques majeurs à ce Plan.

• Appeler dyslexiques les enfants mauvais lecteurs n’apporte rien, si ce n’est une stigmatisation et une ségrégation dommageable.

• L’origine non pédagogique de l’expertise peut conduire à une dé responsabilisation des enseignants, avec un abandon des enfants en difficulté.

• « Confier certains élèves à des personnels extérieurs à l’Education nationale ne peut que renforcer le processus » de libéralisme de l’école (sic).

• Différencier une sous-population d’élèves (ici les dyslexiques) ne conduit qu’à accroître les inégalités avec le reste de la population.

J. Fijalkow développe ensuite le cheminement historique qui a mené à cette importante victoire d’un camp dans « une de ces guerres de cent ans dont la lecture est le terrain ».

Les débuts de cette « guerre » commencent effectivement à la fin du XIXème siècle lorsque les enfants en grande difficulté de lecture ont été « médicalisés ». En l’absence de psy et autres pédago, le médecin est roi, d’autant qu’à peu près à la même époque l’aphasie est « découverte » (1865). On attribue donc la « dyslexie » (NDLR : le terme ne sera semble-t-il créé qu’en 1897) à une blessure cérébrale.

Il faudra attendre les années 50 pour voir se développer une autre approche. A cette époque, un fort courant d’idées, sous l’impulsion de Wallon, puis de Zazzo, conteste l’origine organique. C’est l’époque du développement des sciences humaines, qui remet fortement en cause l’explication médicale. C’est l’époque où le mot de dyslexique est banni pour celui de mauvais lecteur.

L’auteur propose des explications à la victoire de la Santé sur l’Education !

Il pourrait s’agir d’un abandon du Ministère de l’Education qui, malgré de nombreux essais, ne serait pas parvenu à endiguer le trouble dyslexique et qui considèrerait que ce domaine n’est pas de sa compétence. Mais a-t-on vraiment TOUT essayé et si oui, pourquoi les innovations n’ont-elles pas essaimées ?

Il pourrait également s’agir d’une nouvelle donne en matière de recherche. Mais qu’en est-il vraiment de ces travaux ?

La première constatation est que les « gourous » ne sont plus les médecins, mais plutôt les psychologues, et plus spécifiquement (ce qui tranche avec la situation des années 50) des cognitivistes.

Il y a ensuite le fait que les travaux s’effectuent avant tout à partir de modèles théoriques, sans validation empirique auprès des enfants.

A propos de la conscience phonologique, l’auteur a la dent dure : « ce succès pourrait bien refléter l’imaginaire mystifié de certains chercheurs croyant avoir enfin trouvé LA réponse… ». Il s’agirait « d’une conception simpliste » car une cause unique pourrait rendre compte d’un problème complexe…

Il cite également pour expliquer le succès du tout-médical les avancées de l’imagerie cérébrale qui permettent de visualiser le cerveau en action de lecture.

Il réfute également l’hypothèse selon laquelle la maîtrise du langage oral conditionnerait celle du langage écrit. Selon lui cette hypothèse n’a jamais été vérifiée, ni par les travaux de recherche, ni par l’observation des groupes de mauvais lecteurs.

Il conclut donc que le Plan d’Action repose non pas sur des bases scientifiques, mais bien sur des bases politiques. Et c’est ce contexte politique d’ensemble qu’il analyse.

En matière de recherche, le courant de psychologie cognitive a quasiment fait disparaître la psychologie de l’enfant. Or ce courant repose sur des déterminants de nature biologique, laissant aux facteurs sociaux la portion congrue. Il représente la vie mentale comme un ensemble de fonctions (incluant le langage) et rejetant donc tout déterminisme social. Il accole la pratique à la recherche, d’une façon scientiste, et sans interaction. Enfin, ce courant serait très dépendant et sous influence de la recherche américaine. « La mondialisation, qui est dans une large mesure la manifestation de l’empire de la puissance américaine, n’est plus une menace dans ce secteur de la recherche, c’est une réalité ».

Tous ces éléments permettraient de donner « une nouvelle jeunesse à l’hypothèse quelque peu défraîchie de l’hypothèse dyslexique ».

L’auteur poursuit en notant le fort lobbying des médecins et des orthophonistes au cours des dernières années. S’y ajoute les médecins scolaires à la recherche de légitimité et les associations de parents d’enfants dyslexiques.

L’auteur taille en morceaux aussi bien les médecins, qui ont « un crédit étonnant » que les chercheurs qui adhèreraient aux associations « par espoir d’acquérir par ce moyen dans l’opinion une crédibilité scientifique et un crédit moral encore fragiles ». Les responsables de l’Education Nationale, qui ont été lassés d’être considérés comme inefficaces dans la lutte contre la dyslexie, ont également abdiqué en faveur du courant médical.
Jacques FIJALKOW

Psychologie & Education, n°47, Décembre 2001