Actualités Orthophoniques Décembre 2002 (volume 6, n°4)
Lorsque l’on dessine ou lorsque l’on écrit, on laisse ?une trace immédiatement visible?.
L’enfant commence à dessiner tôt et il le fait spontanément. Par contre l’écriture est une démarche nécessitant un apprentissage et qui apparaît plus tard dans l’évolution. Il existe un décalage entre les premiers contacts que l’enfant va avoir avec l’écriture et le moment où il va entrer dans l’écriture mais c’est sur ces premiers contacts que s’appuiera l’apprentissage ultérieur.
?L’enfant parle et dessine avant de savoir lire et écrire et cette antériorité pose la question de la relation entre ces deux systèmes de notation?. On peut considérer que l’écriture est apparue en se différenciant progressivement d’une représentation figurative pour passer à une représentation graphique de la parole puis à un système de signes organisés selon la syntaxe.
L’enfant, dès son plus jeune âge, est confronté à un univers sémiotisé et des connaissances implicites se développent. La lecture utilise les connaissances liées au langage en général et le dessin celles liées aux objets.
L’école maternelle aide l’enfant à différencier ces deux modes d’expression. Le dessin succède au gribouillage et l’écriture se met petit à petit en place, l’enfant assimilant sa fonction de communication et sa dimension culturelle. Il est difficile de distinguer dans la maîtrise progressive de l’écriture à laquelle va arriver le jeune enfant ce qui est la conséquence de son développement cognitif et moteur de ce qui est lié à l’entraînement prodigué à l’école où l’enfant est essentiellement ?un copieur de formes?.
Différentes études s’accordent sur ? l’existence d’une étape picturale ou logographique? à laquelle succède la prise de conscience de la nécessité de changer de stratégie pour aborder l’écriture, l’enfant ayant distingué la différence de traitement entre le dessin et le mot. Il y a donc une continuité entre le dessin et l’écriture. La période de transition qui permet l’identification des multiples modes d’expression (écriture, dessin, chiffres) se fait autour de 4 ans : c’est la période charnière.
L’enfant adapte alors son attitude et son comportement à l’acte qu’il réalise. Il est plus décontracté, plus relâché dans son geste graphique lorsqu’il dessine.
Les auteurs de l’article ont sélectionné 60 enfants âgés de 2,9 ans à 7,4 ans normalement scolarisés de la petite section de maternelle au CP.
Ils leur ont présenté trois types de tâches .
• des tâches de production
dessin écriture : l’enfant dessine des objets de différentes tailles et écrit ce que c’est.
écriture : on présente à l’enfant ces mêmes objets déjà dessinés et on lui demande d’écrire ce que c’est.
• des tâches de reconnaissance
deux dessins sont présentés à l’enfant avec différence de tailles puis quatre mots et quatre pseudo-mots. Par exemple pour les dessins ?petit ballon rouge? et ?grand ballon rouge?, on lui présente ?BALLON?, ?ballon?, ?aeoqod?, ?D5T7KOI?, ?je?, ?automobile?, une pseudo-écriture, un cercle puis on lui demande de choisir le mot qui correspond au dessin.
• des tâches de verbalisation
on demande à l’enfant d’expliciter les raisons de son choix.
On constate alors quatre stratégies.
– la stratégie picturale avec non différenciation des deux systèmes de notation.
– la stratégie de représentation générale où l’enfant a une idée générale de ce qu’est l’écriture comme par exemple sa linéarité.
– la stratégie sémiotique. L’enfant sait que pour écrire, on utilise des signes spécifiques.
– la stratégie phonographémique . L’enfant a compris les liens entre langage oral et langage écrit.
La stratégie picturale est utilisée à 3 ans majoritairement, la stratégie phonographémique à 6 ans et ce dans les trois types de tâches.
La stratégie de représentation générale est minoritaire.
A 4 et 5 ans, les stratégies utilisées sont hétérogènes avec une forte variabilité inter-individuelle.
Par exemple, huit enfants sur quinze de 4 ans écrivent en employant la stratégie sémiotique mais seulement trois verbalisent avec cette même stratégie. Il existe donc un décalage entre les capacités de production et celles de verbalisation. Ce décalage diminue très nettement à 5 ans.
A 4 ans la forme et/ou la taille influe(nt) dans les tâches; à 5 ans seule la taille continue d’influer.
Les enfants de 4 ans sont partagés entre des représentations que l’on trouve chez les enfants plus jeunes et chez les plus âgés.
?C’est donc bien à l’âge charnière de 4 ans que l’apparition d’une première ébauche de la différenciation du dessin et de l’écriture survient et permet de passer de ?l’écriture-dessin? à ?l’écriture-lettres?(…) On est devant deux états stables (3 ans et 6 ans) séparés par une phase de variabilité inter-individuelle.?
M. NOYER et R . BALDY
Psychologie & education, 2002, n°49