Les processus cognitifs impliqués dans l’acquisition de l’orthographe : dictée versus copie
M.PEREZ et coll.
A.N.A.E. – N°118 – Septembre 2012
Quelle idée saugrenue de considérer la copie comme un processus intéressant dans l’apprentissage de l’orthographe !!
Des générations d’enseignants et pas mal sans doute d’orthophonistes ne jurent que par la sacro-sainte dictée.. D’où notre choix de vous présenter cet article, qui, bien que tourné vers la recherche, ouvre une réflexion pouvant déboucher sur la clinique.
S’il est fréquent de comparer dictée et copie dans le processus d’apprentissage de l’écriture manuscrite, il est bien plus rare d’effectuer cette comparaison à propos de l’apprentissage orthographique. Et c’est l’objet de cet article…
Selon plusieurs travaux, l’évolution de la copie va du lettre à lettre au mot complet en passant par une phase indispensable, la syllabe qui serait « une unité fondamentale dans la production écrite des mots ».
Dans la perspective de leur étude, les auteurs reprennent les fondamentaux des structures cognitives en jeu dans la production écrite:
– la mémoire à long terme, illimitée, représente donc une ressource pour l’exécution de la tâche. Elle contient les programmes moteurs nécessaires au tracé et le lexique mental avec les représentations des mots.
– La mémoire de travail, bien sûr limitée, qui apparaît donc comme une contrainte mais qui a une grande importance pour mener vers la voie de traitement adéquat (adressage/assemblage). Pour rappel, lorsque le mot est connu, c’est la voie d’adressage qui est utilisée, et lorsqu’il n’est pas connu, on doit passer par l’assemblage pour lire/écrire le mot.
– La mémoire à court terme est encore plus contraignante.
On peut noter que « l’input visuel que constitue le mot à copier agit en quelque sorte comme une mémoire externe à laquelle le scripteur peut se référer en cas de besoin. » A l’image de la mémoire à long terme pour toute production écrite avec en plus la sécurité et la non variabilité du modèle, ce qui confère à la copie un réel avantage sur la dictée.
Les auteurs proposent des modèles comparatifs en fonction des mots proposés.
- TOMINE est un pseudo-mot régulier (pour rappel la régularité orthographique se définit comme la correspondance univoque entre une lettre et un son et vice versa). En dictée, la mémoire de travail convertit phonème en graphème. La mémoire à long terme (qui ne trouve pas ce mot !) recherche les items proches (tomate, mine…). Chez le scripteur expert, cette voie d’adressage s’avère donc infructueuse et la voie d’assemblage est correctement réalisé par la conversion. Chez l’apprenti scripteur, la compétition entre le produit de la conversion et les « fausses adresses » peut conduire à un mot mal orthographié. En copie, la difficulté est identique si ce n’est que la vue du mot écrit renforce l’écriture correcte en consolidant le processus de conversion.
- PURRATE est un pseudo-mot irrégulier. Il est très probable que son écriture sous dictée soit régularisée, donnant logiquement PURATE. Seule la copie permet une écriture correcte.
- STYLO est un mot irrégulier (le son /i/ est écrit /y/ ce qui est rare=1% seulement) mais familier. En dictée si le scripteur a une représentation mentale de l’input dans son lexique mental, il écrira /stylo/ en voie d’adressage. Sinon ce sera /stilo/ par voie d’assemblage « logique »… à condition que la conversion phonème-graphème soit correcte…
Dans les deux cas d’écriture, il n’y a pas de fonction d’apprentissage. Soit le mot est déjà connu (voie d’adressage), soit il y a erreur ou en tout cas instabilité par voie d’assemblage.
Or on peut définir l’apprentissage d’un mot « comme l’introduction et la stabilisation en mémoire à long terme des représentation phonologique, orthographique, sémantique et grapho-motrice de ce mot » (donc « une forme normée, stable et aisément récupérable d’un mot »).
Dans la dictée, seule la représentation phonologique est en jeu. Les autres composantes doivent être prises en compte par d’autres activités. Par exemple la copie permet d’acquérir la forme orthographique et le patron grapho-moteur.
La copie permet aussi de renforcer l’accessibilité au mot lorsque celui ci est déjà dans le lexique mental, à la fois par un appel à la mémoire externe et par l’exécution motrice du mot. A l’inverse, si la représentation orthographique est absente ou erronée, il y a conflit entre la représentation phonologique, orthographie et la mémoire externe. C’est bien sûr la mémoire externe qui l’emporte car elle constitue une forme orthographique normée et fixe, à la différence des représentations personnelles.
Dans l’activité de copie, il y a une authentique tâche d’apprentissage car tout (mémoire à long terme, mémoire externe, acte grapho-moteur…) se conjugue simultanément pour entrainer un renforcement des différentes représentations antérieures et donc le passage pour le scripteur à des formes normées et stables.
Quelles sont les différences et les similitudes entre dictée et copie ?
Toutes deux ont en commun de conduire à une production écrite à partir d’une information linguistique contrainte : l’information est imposée de l’extérieur et les productions doivent être conformes aux mots proposés.
Mais en dictée l’information fournie est exclusivement phonologique et il incombe au scripteur SEUL de décider ce qu’il entend et ce qu’il écrit…. Alors que dans la copie il y a plus réplication que transformation. Ainsi dans la copie il y a une forte adéquation entre le stimulus vu et la réponse du scripteur et il s’agit donc d’une vraie tâche d’apprentissage alors que la dictée permet d’évaluer le résultat d’un apprentissage et bien moins de laisser une trace cognitive.
L’intérêt de ces modèles devrait être de mieux adapter la pédagogie… et la remédiation en replaçant chaque activité dans l’apprentissage.
Pour une fois, vous pourrez lire gratuitement la totalité de l’article, aimablement mis en ligne par un des auteurs….
http://andre.tricot.
Quelques éléments bibliographiques :
– ALAMARGOT et coll. : « La production écrite et ses relations avec la mémoire » in A.N.A.E. – N°17 – 2005
– BONIN et coll. « La consistance orthographique en production verbale écrite : une brève synthèse » in l’Année Psychologique – 108(3) – 2008
– JOLLY et coll. « Approche comparative des tracés de lettres d’une enfant atteinte d’un trouble d’acquisition de la coordination et scolarisée en CP avec ceux des enfants ordinaires de GSM et CP » in Psychologie Français – n°55 – 2010
A propos de cet article (et des autres): Pour répondre à la question d’un lecteur, voici comment nous procédons.. Nous sélectionnons dans les revues publiées les articles qui nous semblent les plus attractifs en formation continue d’un point de vue clinique. Certains articles passionnants mais trop théoriques sont ainsi exclus. Nous lisons et faisons une synthèse de l’article en ajoutant un brin de bibliographie. C’est le corps du texte… Lorsque nous citons l’auteur de l’article, c’est toujours entre des guillemets. Lorsque nous nous permettons un commentaire personnel, nous utilisons des caractères en italique en général précédés d’un NDLR (Note de la Rédaction)…
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