100 conseils simples et efficaces
pour lutter contre la maladie d’Alzheimer
Jean CARPER
Les Editions de l’Homme – 2011
Depuis quelques années, la maladie d’Alzheimer est considérée par la population française comme le fléau n°1, devançant dorénavant le cancer. On ne s’étonnera donc guère que tout ce qui pourrait empêcher la maladie de frapper soit au cœur de beaucoup de préoccupations, y compris commerciales !
L’auteure de ce livre est américaine, chroniqueuse et écrivaine reconnue en matière de santé et de nutrition, y compris sur CNN… Un gage de qualité, voire de fiabilité. Allons donc voir en détail ce qu’on nous propose en matière de prévention.
De quoi s’agit-il ?
De 100 conseils (et c’est vrai, le titre ne ment pas !) tenant chacun sur deux pages le plus souvent. Une sorte d’inventaire des « découvertes scientifiques » qui permettraient d’éviter d’attraper la maladie d’Alzheimer ou du moins d’en retarder de quelques années l’apparition, suffisamment pour mourir d’autre chose avant. Tâche louable !
C’est résolument un livre anglo-saxon. Et cela influe sur les informations données. Par exemple le conseil n°52 « sachez trouver les bonnes informations » ne propose que des références américaines ou canadiennes. De même l’annexe sur les Centres de recherche. Il aurait pourtant été facile de rechercher ces informations pour la France….
Mais aussi sur le style même de l’ouvrage, qui repose sur des résultats dont on ne connait pas la fiabilité méthodologique et qui semblent promettre monts et merveilles. On trouve souvent de telles assertions sur le Net, mais leur regroupement dans un même ouvrage est impressionnant. Comment oserions nous encore attraper la maladie lorsqu’on vous a ainsi prévenu des possibilités de lutte !
Lorsqu’on entre dans les différentes fiches, il est surprenant de constater l’hétérogénéité des propositions. De toute évidence, certaines sont attestées et sont reconnues médicalement y compris en Europe : par exemple les fiches sur l’exercice physique à développer (15, 37, 49, 99…) ou celles sur le combat contre l’obésité et le diabète (17, 30, 43, 53…) qui semble indispensable ou encore la nécessité d’une vie sociale épanouie (82,58, 69… ) et d’une bonne qualité de vie (68, 80, 86…). Sans qu’il y ait des certitudes définitives et surtout sans que l’on connaisse encore les liens avec l’apparition de la maladie, arriver à la vieillesse en bonne forme semble salutaire.
D’autres enfin sont des sortes de vœux pieux pas si simples à exaucer !! « Protégez vous contre les traumatismes crâniens » ou « évitez les accidents vasculaires cérébraux » ou encore « surmontez la dépression » ou aussi « ne laissez pas votre cerveau absorber du cuivre et du fer ». Qui ne voudrait pas réaliser ces conseils !! Bien sûr que je vais tout organiser pour cela… mais quoi faire en réalité ?
D’autres semblent surprenantes voire prêtent à sourire : « Mettez du vinaigre dans tout » ou « aimez les langues » ou encore « passionnez-vous pour les noix » ou enfin « devenez fou de cannelle » et « mangez du cari »…. !!!
On retrouve aussi la passion des « Américains » pour les compléments et les vitamines. Ainsi prendre de l’acide alpha-lipoïque et de l’acétyl-carnitine voire des multivitamines, et des B12 et des D et/ou des antioxydants qui vont éviter le raccourcissement des télomères, sans oublier un apport suffisant de niacine… De même , comme sur Internet, le rôle très excessif donné à certains aliments (jus de pomme, huile d’olive, thé, noix, café, vinaigre et vin rouge…) sur des bases scientifiques bien ténues. Sans oublier « envisagez l’usage de marijuana médicinale » !
Mais le plus grave est surtout dans le glissement des mots et des concepts. Partant du principe (encore non établi officiellement me semble-t-il !!) que « la Maladie d’Alzheimer serait un phénomène progressif qui s’étend sur des dizaines d’années (bien, cela semble probable) et qui subit l’influence de facteurs associés au mode de vie de l’individu » (cela n’est en rien prouvé, juste une piste de recherche), l’auteur « dérape » en écrivant « il est de plus en plus certain que nous pouvons diminuer les risques et même sauver notre cerveau de ses (la M.A) attaques ». Bien sûr un peu plus loin dans l’introduction, elle écrit « Les recherches…constituent à bien des égards un ensemble hétéroclite d’hypothèses incertaines… Il n’existe pas encore de certitudes quant à ses causes et aux mesures de prévention à appliquer ». Mais cette formule préventive ne gêne en rien les raccourcis entre possibilités ET réalités.
Par exemple, « n’est il pas ridicule de refuser à vos cellules nerveuses les munitions (ici les aliments anti-oxydants) dont elles ont besoin pour empêcher la maladie d’Alzheimer de les prendre d’assaut » ou « la malbouffe conduit tout droit à la maladie d’Alzheimer ». Il y a aussi beaucoup d’approximations, de conditionnels (mode facile pour pouvoir dire certaines choses sans aucune certitude !!), de raccourcis presque risibles (« Le jus de pomme serait un Aricept naturel ») d’informations sans réel fondement (le danger de l’anesthésie, l’isolement qui double le risque de maladie d’Alzheimer…). Sans oublier la peur que font naître des propos martelés pour faire peur, de façon indéniable. Et jouer sur la peur est un très bon auxiliaire de vente !! D’ailleurs si j’ai bien fait mes comptes, à force de comptabiliser ce qui double notre risque, j’ai au moins 2400 % de risques d’attraper la maladie….. C’est beaucoup… et sans espoir !!
Pour terminer quelques phrases issues directement du livre :
– « avoir une grande famille peut neutraliser les altérations du cerveau causées par la maladie » (je fais quoi maintenant, j’adopte ?)
– « une consommation excessive de viande prépare le cerveau à la M.A. » (direct !!)
– « un verre ou deux de jus par jour diminuent radicalement le risque d’être atteint de la M.A. » (je file à Carrefour !)
– « être au courant des dernières informations scientifiques peut vous aider à prévenir la démence (donc lisez chaque article sur www.orthophonie.org et le tour sera joué !!!).
J’aurais du m’en douter : un tel titre, accrocheur, racoleur, aurait du m’éloigner de ce livre. Et la simple lecture de la quatrième de couverture encore plus. Et enfin la lecture du sommaire et de quelques pages au hasard. C’est ce que je fais habituellement. Mais là j’étais pressé et une fois de plus j’ai cédé à cette sorte de réflexe compulsif qui me pousse à essayer de tout lire en matière de Maladie d’Alzheimer, à la fois pour répondre aux interrogations de mes patients et de leurs proches et pour vous en parler… Je ne regrette pas cette lecture qui nous montre que dans ce domaine où les certitudes sont encore très rares, il est facile de jouer avec l’approximation, le conditionnel, les études partielles pour donner des pistes incertaines à des personnes fragiles.