Actualités Orthophoniques Juin 1999 (volume 3, n°2)
De façon régulière, le questionnement à propos de certaines « méthodes » de rééducation revient au c?ur de nos interrogations. Il y a quelques semaines, c’était sur la liste « Orthophonie » d’Internet que se déroulait un débat à propos de la « méthode » Thomatis. Aussi, cet article qui présente et analyse deux méthodes d’intervention auprès d’enfants autistes semble pouvoir apporter un complément d’information intéressant.
L’A.I.T. (Auditory Integration Training) repose sur les travaux de l’ORL français Guy Bérard dont l’ouvrage, traduit en 1993 aux USA, a connu un succès certain. Les principes fondamentaux sont ceux que nous connaissons avec la méthode d’Alfred Thomatis (inattention à certains sons et hypersensibilité à certains sons- par exemple les sirènes-).
L’intervention est également de même veine : il y a un audiogramme préalable pour déterminer les fréquences (considérées comme des « pics ») que la personne entend de façon excessive. Ces pics constitueraient des éléments anormaux, à l’origine de troubles d’apprentissage ou de comportement. Il s’agit donc de modifier l écoute pour obtenir la suppression de ces pics. On utilise pour cela un EERS (Ears Education and Retraining System – Système auditif d’éducation et de ré-entrainement en traduction littérale) appelé également Audiokinetron. La personne porte un casque et entend de la musique modifiée. Cette modification porte sur le filtrage mais aussi une modulation en temps des fréquences. De ce fait la musique entendue est souvent considérée comme « incompréhensible » par les auditeurs ! L’écoute a lieu durant 10 jours, répartis sur 2 semaines, à raison de 30 minutes deux fois par jour. Un audiogramme a lieu à mi-parcours pour une éventuelle correction du filtrage des pics.
Cette méthode a connu un succès important aux USA bien au delà du champ thérapeutique : En 1991, le livre de Stehli, « Le son d’un miracle » a été largement diffusé, ce qui a conduit plusieurs scientifiques à évaluer la méthode :
En 1995, Rimland et Edelson étudient en double aveugle (un groupe traité et un groupe témoin) 17 personnes autistes. On constate une amélioration du comportement des sujets ayant bénéficié de l’écoute filtrée (moins d’irritabilité, baisse de l’hyperactivité). De plus la sensibilité auditive, la compréhension et la mémoire auditive ont progressé aux tests. Mais d’une part ces changements ne sont pas statistiquement significatifs et d’autre part l’acuité auditive et la gêne auditive n’ont pas été améliorées, ce qui pose un problème de crédibilité aux tenants de la méthode qui insistent sur le lien entre amélioration du sujet et meilleures performances auditives. On doit également noter à propos de cette étude des défauts méthodologiques importants qui font perdre beaucoup d’intérêt aux résultats signalés : appariement peu adéquat des participants, choix de tests discutables.
En 1996, Bettison étudient 80 enfants de 3 à 17 ans. Il note une amélioration chez tous les sujets, en ce qui concerne la qualité auditive, le comportement et même le QI verbal, et cela même plusieurs mois plus tard. Mais là encore les différences ne sont pas statistiquement différentes. L’auteur suggère donc que l’évolution peut provenir, non de la méthode elle-même, mais d’éléments comportementaux (les parents espérant une amélioration de ce traitement biaisent inconsciemment leurs réponses) ou de biais méthodologiques (test-retest).
En 1997, l’étude de Gillberg ne parvient pas à prouver l’efficacité de l’AIT.
Ainsi donc aucune étude contrôlée et méthodologiquement sérieuse n’a montré une réelle influence de l’AIT sur les enfants autistes. Et la conclusion, malgré les fortes pressions et la campagne « d’information » des avocats de cette méthode, semble claire pour les auteurs : on doit être très circonspect en préconisant cette méthode.
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La F.C. (Facilitated Communication = Communication facilitée !)) est utilisée en Australie depuis près de 20 ans. Toutefois, l’article princeps aux USA date de 1990 (Biklen). Selon les tenants de cette méthode, quasiment 100% des enfants autistes pourraient apprendre à communiquer par ce système, même s’ils n’ont pas acquis au préalable des compétences en matière de communication augmentée.
Le F.C. repose sur l’aide d’une personne, le « facilitateur » qui soutient ou tient la main, le poignet ou le coude de l’enfant tout en laissant les mouvements des doigts complètement libres (pour taper sur les touches d’un clavier) et sans exercer une pression sur la main.
Ce système aurait un rôle physique (en particulier en évitant les mouvements involontaires) et surtout un impact émotionnel : l’enfant serait en confiance et se sentirait plus en « sécurité » pour s’exprimer. La « qualité » du facilitateur, qui traite l’enfant avec respect, serait un élément essentiel.
La réussite de cette F.C. viendrait de l’amélioration des capacités praxiques de l’enfant, peu évidentes auparavant. Et de là découlerait l’amélioration de la lecture et de l’écriture. Les tenants de la méthode proposent le tableau suivant : l’enfant aurait des aptitudes cognitives normales, mais qui n’auraient fonctionné que sur le mode réceptif jusqu’à l’utilisation du F.C. qui va permettre une expression appropriée. Ils indiquent également que cette méthode ne peut être testée expérimentalement, car l’essentiel se situe dans la confiance que l’enfant a dans son facilitateur, et que la méthode n’est pas actuellement explicable par les théories scientifiques.
Cette méthode a très largement essaimé aux USA, portée par des études de cas non validées mais laudatrices et relayée par la recommandation de la « Autism Society of America ». .
Mais dès 1993, la situation va changer : les organismes officiels vont changer peu à peu de position, une émission de télévision va contester certains témoignages et en 1995, ASHA (« le syndicat des orthophonistes américains ») va nier toute validité scientifique à cette méthode.
Des études scientifiques furent alors développées. En particulier, il n’a pas été possible d’exclure le fait que les facilitateurs pouvaient faire passer l’information. Une autre recherche a montré que les plus fervents tenants de la F.C. avaient le moins d’éducation et un manque de confiance envers la science dans son explication du comportement humain. L’absence d’apprentissage fut également notée, ce qui semblait prouver le rôle déterminant du facilitateur. Et en 1997, Kezuka prouva que des petits mouvements étaient faits par les facilitateurs pour guider les enfants (et ce bien que tous les facilitateurs niaient ce fait). Notons au passage que cette « nouvelle » possibilité qu’avaient les enfants de s’exprimer avait donné lieu à des « aveux » et à des « plaintes » de nature sexuelle. Dans un premier temps, la justice accepta ce type de témoignage, puis le rejeta comme non fiable. De nos jours, la F.C. est bien moins utilisée aux USA.
La troisième partie de cet article, relayée par le commentaire convergent d’un autre auteur, s’intéresse aux raisons qui poussent les parents d’enfants autistes à s’intéresser à ces méthodes non scientifiques. « L’espoir ».
Les parents d’enfants handicapés représentent une population vulnérable, ayant une attitude ambiguë vis à vis des professionnels. Les parents d’enfants autistes sont encore plus vulnérables car leurs enfants n’ont le plus souvent pas de problèmes physiques qui signeraient en quelque sorte un défaut biologique. Comme lors d’un décès, des étapes sont nécessaires pour « faire le deuil », allant d’une sorte de tollé de ce qui est arrivé, d’une dénégation du handicap, d’une douleur envahissante à une « acceptation ». Certains parents ne peuvent accepter un nouveau schéma de vie pour leur enfant handicapé. Ils restent dans le déni du trouble et recherchent l’amélioration à tout prix. Les méthodes de l’AIT et de la FC ont en commun la croyance de l’amélioration, créant un enfant fantasmé en progrès.
Dans ces conditions, le rôle de l’orthophoniste doit être de présenter la réalité des différentes méthodes mais également de guider les parents vers une acceptation « raisonnée » du handicap de leur enfant.
Notons enfin un très intéressant tableau qui liste les différentes réponses, normales ou non, à l’annonce du handicap que peuvent avoir les parents. Par exemple, l’annonce peut naturellement être accompagnée de pleurs ou du sentiment « pourquoi moi ? ». Par contre, la remise en cause du diagnostic, une sorte de paralysie voire l’abandon psychique ou physique d’un adulte sont à écarter.
Pour en savoir plus :
Communication unbound : Autism and praxis
D. BIKLEN
Harvard educational review, 1990, 60
Auditory Integration training : a pilot study
RIMLAND et EDELSON
Journal of Autism and Developmental Disorders, 1995,25
B.SIEGEL et coll.
Journal of Speech-Language Pathology and Audiology, 1998, vol.22, n°2