Approches et remédiations des dysphasies et dyslexies

Actualités Orthophoniques Juin 2002 (volume 6, n°2)
Le titre est particulièrement alléchant et dans cette époque de remise en cause de nos habitudes thérapeutiques, voilà un ouvrage qui devrait combler nos attentes. Or, il n’en est rien.

Car l’ouvrage manque de cohérence et de suivi. On a davantage affaire à une suite d’articles d’auteurs qu’à un traité sur le sujet. Il est vrai que le titre (« Approches… ») aurait dû nous alerter. Mais pas à ce point.
On passe ainsi d’un long développement à propos du bilan de dysphasie à des chapitres isolés, parfois assez éloignés du sujet essentiel. Quant à la dyslexie, elle est traitée de façon quasi incidente, sans qu’on puisse en tirer grand et nouvel intérêt dans notre intervention. Peut-être tout cela est-il lié au marseillocentrisme de l’ouvrage, puisque la quasi totalité des auteurs sont dans la mouvance marseillaise. Elle a pourtant fière allure, cette équipe qui va des Lavandes au CHU Timone en passant par la fac de lettres d’Aix. Mais elle a déjà beaucoup produit ces derniers temps, et peut-être, les auteurs, pourtant fort respectables par elles-mêmes, auraient dû privilégier la cohérence et la didactique sur l’ouverture. Ceci dit, avec beaucoup de regret d’ailleurs.

Mais heureusement certains chapitres apportent beaucoup et justifient à eux seuls la lecture sélective de l’ouvrage.

« L’intérêt d’un bilan pluridisciplinaire dans le diagnostic des dysphasies »

Au fil des années, la nécessité d’une évaluation multiple dans les pathologies lourdes s’est affirmée, y compris (et ce n’est pas simple) chez les professionnels libéraux. Aussi ce tour d’horizon des différentes approches s’avère particulièrement utile. On pourrait toutefois regretter que la partie consacrée au bilan orthophonique ne soit pas plus détaillée, quitte à récupérer des pages sur la psychomotricité dont une bonne partie ne concerne pas directement l’évaluation. Comme souvent, lorsque l’on est isolé dans notre cadre professionnel, on aimerait bien avoir un véritable développement sur les différentes épreuves d’autant qu’il nous est impossible de tout posséder à la différence des structures hospitalières. Peut-être l’ouvrage aurait dû conduire (en annexe…) à un atelier de travail. Regrettons également que les lignes consacrées à la classification ne soient pas mises à part dans un chapitre et développées en intégrant des approches thérapeutiques sériées. Notons également l’intérêt du diagnostic différentiel (souvent complexe) dans le bilan pédiatrique. Enfin, la nécessité du bilan neuropsychologique, parfois effectué en libéral par les orthophonistes « spécialisés » ou plutôt pour éviter diverses foudres « connaisseurs », est bien explicité ici.

Passons sur le chapitre consacré à « autisme-dysphasie » car il s’agit d’une analyse de recherche ayant actuellement encore peu d’incidences thérapeutiques à notre niveau.

« Etre dysphasique et apprendre à lire et à parler ».

Monique Touzin a beaucoup apporté à la profession dans une approche nouvelle de la dyslexie et de la dysphasie. Toujours très précise, mais également toujours abordable et « rentable » en termes d’implication quotidienne, elle a écrit de nombreux articles. Ici, elle se contente du minimum, nous présentant les principales pistes de réflexion et d’action, mais sans développement, ce qui est infiniment frustrant. Reprenez donc ses articles (par exemple dans Glossa ou Rééducation Orthophonique) et vous verrez l’intérêt réel de son apport.

« Approche multimodale de la communication chez le dysphasique »

Dans le crescendo de la neuropsychologieeeeeee cognitiveeeeeee, il est toujours bon de rappeler que la discipline orthophonique existe depuis bien longtemps et qu’elle a proposé des approches thérapeutiques souvent bien adaptées. Car, vous me croirez ou non, les dysphasiques existaient déjà AVANT. Si, si…et un certain nombre d’orthophonistes avaient mis en place des réponses thérapeutiques non négligeables. La preuve, elles existent toujours, du moins lorsque les diktats de la mode scientifique ne les ont pas supprimé des enseignements initiaux.

Nous avons ici l’illustration concrète et argumentée que les « vieilles recettes », lorsqu’elles sont totalement assimilées par une « longue » pratique et lorsqu’elles sont proposées avec discernement, permettent de mettre au point d’excellents programmes thérapeutiques. Mais ceci ne s’improvise pas (et c’est pareil avec les approches plus récentes), ce qui met en avant la qualité et la diversité des enseignements, ainsi que la méthodologie des stages pratiques.

On aurait simplement aimé avoir un chapitre encore plus développé, avec d’autres exemples, mais ne faisons pas le difficile…

« Communiquer avec les idéo-pictogrammes »

Voici de très nombreuses années que Béatrice Chavin-Tailland a mis au point un système d’idéo-pictogrammes, qui est aujourd’hui publié chez le même éditeur. Pour l’avoir en son temps utilisé, ce système permet de nombreuses possibilités et des niveaux d’utilisation variés. On ne s’étonnera donc pas qu’une utilisation avec des enfants quasiment privés de langage oral soit envisageable, de même qu’il est évident que la « syntaxe » même de ces pictogrammes permette d’aller vers le langage écrit. Dans ce chapitre, l’auteur présente son expérience dans un IME, mais elle nous ouvre également les portes d’une utilisation avec des enfants dysphasiques, à la suite des travaux de Monfort-Juarez. Il s’agit donc d’un outil à garder en réserve dans notre arsenal thérapeutique pour l’utiliser lorsque le langage direct reste impossible.

« Plainte attentionnelle et dyslexie : évaluation et proposition de prise en charge ».

Cet article, rédigé par les « directeurs » de cet ouvrage évoque clairement un sujet, souvent très présent, y compris dans nos conversations professionnelles, mais bien peu balisé dans nos connaissances thérapeutiques. Et surtout l’article nous conduit clairement de la théorie à la prise en charge concrète, en passant par l’évaluation. Bref, ce qu’il nous faudrait pour chaque pathologie.

Les différentes formes d’attention sont rappelées de même que la notion de THADA, encore peu usitée en France (et sans doute trop aux USA !!). Il est en particulier intéressant de lire ce qui concerne les troubles associés du THADA, qui concernent directement les prises en charge orthophoniques. Les divers aspects de l’évaluation sont indiqués, qui font de nos jours souvent appel à l’informatique . Rappelons à ce sujet le logiciel du GERIP, qui permet une approche clinique souvent suffisante. L’ordinateur permet à la fois de contrôler la passation des items (fréquence et temps d’affichage) de façon très précise mais aussi d’obtenir des données précises sur les temps de réaction ainsi que de fournir des « profils » détaillés.

Ici, c’est un logiciel « marseillais » (adapté d’un ancien test canadien) qui est cité : l’AXU (qui n’est pas un sigle mais simplement les trois lettres utilisées dans une des épreuves). Il s’agit de cerner l’attention auditive soutenue à travers un test de quinze minutes. L’enfant entend 540 lettres, dont 180 lettres cibles (les fameux A,X etU). Bien entendu, l’ordinateur pourra calculer instantanément le nombre de cibles atteintes, d’omissions, de fausses alarmes….Comme on pouvait s’y attendre, les enfants dyslexiques trouvent les lettres cibles, mais leur nombre d’omissions ou de fausses alarmes est important.

Enfin de véritables conseils sont prodigués pour l’intervention, qu’il s’agisse d’éléments « primaires » (mais ô combien importants) comme « placer l’enfant face à soi », « limiter les distracteurs » (NDLR ; n’oubliez pas le téléphone, qui sonne toujours au mauvais moment), ou d’un cadre plus général dans lequel s’insèreront les exercices.

Approches et remédiations des dysphasies et dyslexies

C. PECH-GEORGEL et F. GEORGE

Ed. SOLAL, Marseille, 2002, 165 p., 28 euros