Les approches thérapeutiques non pharmacologiques
des troubles du langage dans la démence sémantique
K. GRAVEL-LAFLAMME et coll.
Gériatrie et Psychologie, Neuropsychiatrie du vieillissement
10 – 4 – Décembre 2012
Bien que les définitions fluctuent selon les moments et les auteurs, la démence sémantique est considérée comme une détérioration dégénérative du langage particulièrement redoutable car elle touche au contenu même des concepts et non pas uniquement à leur forme. Si la prise en charge orthophonique est habituellement prescrite, les pistes de travail sont souvent limitées et incertaines. De là l’intérêt de cet article…
- Les auteurs ouvrent l’article par un petit rappel du concept de démence sémantique (D.S.). Issue d’une atrophie uni- ou bilatérale d’une partie du lobe temporal, la D.S. affecte de façon spécifique la mémoire sémantique, c’est à dire « la mémoire à long terme responsable de l’encodage et de la consolidation relatives au sens des mots, des concepts et des objets » (versus la mémoire épisodique défaillante dans la Maladie d’Alzheimer). « Le discours est fluent, sans effort apparent, mais marqué par des mots vagues, des paraphasies sémantiques et des circonlocutions ». Bien entendu ce déficit rejaillit sur les activités de la vie quotidienne et peu à peu sur les intérêts des sujets.
- Les auteurs ont analysé la bibliographie portant sur les méthodes d’intervention, la plus fréquente (NDLR mais peut être pas la plus efficace…) concernant l’approche cognitive. Treize articles ont été décortiqués dans ce domaine dont certains vous sont sommairement proposés ci après.
- Dans l’ordre chronologique, c’est Graham et coll qui ouvrent le bal en 1999. Le patient DM déjà largement anomique avait mis sur pied un cahier personnel pour les « mots problématiques » en corrélation avec un dictionnaire imagé. Les résultats montrent que ce sont les items inclus dans ce cahier, donc déjà intensivement travaillés, qui étaient les mieux appris. Mais il n’y avait pas de généralisation à des mots non travaillés et les résultats déclinaient au bout de quelques semaines. On pouvait également noter que les items étaient produits selon l’ordre dans lequel ils avaient été appris, ce qui laisse imaginer que la mémoire épisodique est en jeu dans cet apprentissage, ce qui n’était pas l’objectif.
- On retrouve ce dernier élément dans l’étude des mêmes auteurs en 2001. « Ces éléments suggéraient que DM n’avait pas rétabli les représentations sémantiques des items travaillés mais qu’il les avait plutôt apprises par cœur en s’appuyant sur ses capacités préservées de mémoire épisodique » (NDLR à l’inverse des sujets Alzheimer chez lesquels c’est cette mémoire épisodique qui se détériore en premier).
- Les études de Snowden en 2002 et de Jokel en 2006 ont montré que le réapprentissage de mots était inséparable de la présence d’informations résiduelles en mémoire sémantique. En clair si le concept même du mot a disparu, on ne peut le récupérer. Il est définitivement perdu.
- Une autre étude (Heredia en 2009) associe mot produit et mot écrit. Les résultats de cette étude semblent meilleurs que les précédents mais sans doute parce qu’il n’ y avait qu’un petit nombre d’items travaillés et qu’il s’agissait d’items inclus dans le quotidien. On a noté un certain maintien sur 6 mois mais aucune généralisation.
- En 2009 Bier propose une approche rigoureuse et complexe, en particulier sur la base de la thérapie avec récupération espacée et une autre portant sur la répétition des items. Il y a avait aussi des indices sémantiques et phonologiques donnés et à la fois la performance initiale et le maintien sont de bon niveau. Toutefois la constatation que les items ne sont donnés que dans le cadre de la même tâche linguistique (pas de généralisation) laisse penser à nouveau qu’il y a apport de la mémoire épisodique.
Rapp en 2009 s’appuie sur la représentation orthographique des mots avec des résultats intéressants mais non définitifs.
Jokel a utilisé en 2010 la technique de l’apprentissage sans erreur.Celle façon de faire empêche le patient de renforcer les erreurs qu’il produit. On note qu’une certaine généralisation a été réalisée dans ce cas.
NDLR : Il est intéressant de lire en détail toutes ces présentations car elles ouvrent de nombreuses pistes même si les résultats semblent limités car il n’y a pas de généralisation et très peu de maintien dans le temps, même limité. De plus lorsque la maladie est trop avancé, et donc les concepts très déficitaires, le réapprentissage devient illusoire. (NDLR à méditer dans nos façons de travailler.)
- Une autre approche a été proposée dans un article de Wong en 2009, que l’on peut qualifier d’écologique. Il s’agit en effet de renforcer par l’usage les capacités de communication du patient, par exemple l’expression de ses pensées, ses échanges avec son entourage, sa conversation à propos d’un sujet. On propose donc au sujet d’avoir des activités sociales soutenues. La thérapie comportait également un entrainement avec l’épouse afin de faciliter les échanges. Cette approche « participative » semble avoir donné de très bons résultats même à distance de la thérapie : la communication est demeurée fonctionnelle et les échanges avec l’épouse intéressants.
- La dernière approche « compensatoire » est proposée lorsque les déficits s’accentuent (NDLR : ne serait il pas judicieux de mettre dès le début en œuvre ces techniques parallèlement aux approches cognitives ? ). La principale difficulté du patient ND, qui travaillait comme animateur en institution pour personnes âgées était de retrouver les noms des participants des ateliers. Il avait mis sur pied un cahier personnalisé avec des indices. On lui a proposé d’utiliser un téléphone intelligent (sic !) équipé d’un logiciel pour inscrire les caractéristiques des personnes pour retrouver leur identité.
- Un entrainement spécifique AAA a été mis en place :
– A comme acquisition, se familiariser avec l’outil technologique par des explications et des manipulations concrètes.
– A comme application, en apprenant les situations d’utilisation possible par le biais de jeux de rôle
– A comme adaptation, dans l’utilisation dans la vraie vie, avec l’aide du thérapeute.
- Très vite, ND a privilégié l’outil technologique, y compris en recourant aux ressources d’Internet (Google Images ou Wikipedia par exemple). On peut sans risque imaginer qu’avec le développement et la sophistication des possibilités offertes il sera possible de développer des pratiques nouvelles.
En conclusion…
- L’approche cognitive semble donner de bons résultats mais uniquement en dénomination et non en utilisation dans un autre contexte.
- Il n’y a pas de reconstruction de la représentation sémantique mais seulement un apprentissage du mot, sans doute en lien avec un apport de la mémoire épisodique.
- Il semble donc intéressant de s’orienter « vers des méthodes qui prennent en compte les besoins de la personne afin d’améliorer son autonomie dans la vie de tous les jours ». Cela permettrait « des résultats significatifs, ayant un impact direct et rapide sur le quotidien de la personne et sur sa qualité de vie ».
- « Une stratégie d’intervention combinant un réapprentissage de mots soigneusement choisis pour leur importance dans les activités de la vie quotidienne, une approche participative pour favoriser l’implication de la personne atteinte de DS dans la communication, et une approche compensatoire pour pallier les difficultés rencontrés au quotidien dans un ensemble de situations pourrait s’avérer être une attitude thérapeutique inclusive et globale ».
- Il est nécessaire dans le temps et l’étendue de limiter le nombre de mots à apprendre et il est donc indispensable de sélectionner au mieux les items par rapport aux besoins du patient. Les items choisis doivent avoir « un impact fort sur la qualité de vie, sur sa participation sociale et sur sa satisfaction en contexte de communication. »
- Quel que soit le nombre de mots appris, cela ne suffit pas à une communication correcte. Il faut donc avoir une stratégie participative, une activité de « counseling » auprès du patient et aux proches et de suggérer des groupes de conversation. Enfin les bénéfices de l’utilisation d’outils technologiques sont à démontrer.
NDLR : ce qui est écrit ici à propos de la démence sémantique devrait aussi être pris à la lettre dans les thérapies des autres maladies dégénératives. Ne chercher qu’à faire des exercices ne suffit pas, voire ne sert presque à rien même si cela « fait joli »… C’est dans la vie quotidienne que tout se joue et de plus en plus de soignants s’engagent dans cette voie.
Bibliographie : uniquement des articles en langue anglaise (les auteurs sont canadiens…)
– ROUTHIER S. et coll. : « From smartphone to external semantic memory device : the use of new technologies to compensate for semantic deficits» in Non Pharmacological therapies in dementia – 2012 – sous presse
– JOKEL R. et coll. : « Errorless learning of computer-generated words in a patient with semantic dementia » in Neuropsychological Rehabilitation – 2010 – 20 – pp.16-41
– JOKEL R. et coll. : « Treating anomia in semantic dementia : improvement, maintenance, or both ? » in Neuropsychological Rehabilitation – 2006 – 16 – pp.241-256
A propos de cet article (et des autres): Pour répondre à la question d’un lecteur, voici comment nous procédons.. Nous sélectionnons dans les revues publiées les articles qui nous semblent les plus attractifs en formation continue d’un point de vue clinique. Certains articles passionnants mais trop théoriques sont ainsi exclus. Nous lisons et faisons une synthèse de l’article en ajoutant un brin de bibliographie. C’est le corps du texte… Lorsque nous citons l’auteur de l’article, c’est toujours entre des guillemets. Lorsque nous nous permettons un commentaire personnel, nous utilisons des caractères en italique en général précédés d’un NDLR (Note de la Rédaction)…
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