Actualités Orthophoniques Mars 2003 (volume 7, n°1)
Un accident vasculaire cérébral crée une situation nouvelle au sein d’une famille : le patient aphasique et/ou hémiplégique, autrefois autonome, nécessite dorénavant des soins et une présence importante. Le plus souvent, c’est l’époux – ou plutôt l’épouse puisque les AVC frappent encore davantage le sexe masculin – qui joue le rôle de soignant (caregiver en anglais = donneur de soins). Et plus précisément (en particulier dans cette étude) des femmes âgées (plus de 60 ans) puisque nombre d’AVC frappent après l’âge de la retraite.
Et lorsque l’on sait la lourdeur de la tâche (et nous la connaissons lorsque nous effectuons des séances à domicile), on comprend aisément qu’un retentissement physique, émotionnel et social concerne ce soignant.
On a constaté une augmentation de la mortalité, un isolement social et bien sûr des difficultés émotionnelles, comme l’anxiété voire la dépression. Certaines études citent le pourcentage de 42 à 52% d’état dépressif chez les soignants.
Pour pallier, au moins en partie, à ces problèmes, des groupes d’aide ont été mis sur pied. Ils apportent indéniablement un soutien aux soignants, y compris par le fait de savoir que d’autres sont concernés de la même façon.
Ils permettent également d’obtenir des informations sur les stratégies ou plus simplement sur des choses à faire et à ne pas faire de la part du soignant.
Toutefois ces groupes ne semblent pas réduire le stress du soignant.
Celui-ci naît bien plus des troubles cognitifs ou comportementaux que des troubles physiques, pour lesquels des solutions peuvent souvent être trouvées.
On doit aussi noter que ce stress n’apparaît pas dès la survenue de l’AVC, mais se développe plutôt lorsque les troubles se consolident, montrant alors l’ampleur du handicap.
Par ailleurs, de nombreuses recherches ont été effectuées concernant l’application des nouvelles technologies au domaine de la santé. Lorsque la distance, le côut ou des difficultés spécifiques rendent impossibles l’intervention directe, les nouveaux procédés des télécommunications et/ou de l’informatique permettent de contourner les obstacles.
Ainsi dans le cas des personnes qui vivent avec leur conjoint handicapé et qui répugne à le laisser seul.
Pour Galinsky (1997), les groupes d’aide qui s’appuient sur des technologies nouvelles ont plusieurs avantages (par exemple l’anonymat, l’accessibilité…) et plusieurs inconvénients (diminution des relations entre les personnes, difficultés liées à l’emploi des technologies, limitation des caractéristiques habituelles des groupes comme les notions de cohésion ou de confiance réciproque). Galinsky propose d’utiliser des « facilitateurs », sortes d’intermédiaires ou de médiateurs, ayant pour tâche d’animer et de guider le groupe.
L’étude de Brown (1999) montre que rien d’essentiel n’est perdu lors de l’utilisation du téléphone pour un groupe.
L’étude proposée s’intéresse donc au groupe de soutien par téléphone. Elle concerne une sélection d’une centaine de soignants âgés en moyenne de 70 ans et mariés depuis plus de 40 ans. Pour les trois quarts il s’agit de femmes. Leur rôle concerne aussi bien les soins personnels (bien que 70% des soignants soient aidés dans ce domaine), les activités du quotidien ou la gestion des « affaires » (incluant les décisions à prendre).
Chaque soignant a subi des mesures de son stress, de son isolement, de son état dépressif, de sa charge et de son sentiment de compétence en tant que soignant.
Un groupe contrôle a été créé. Une analyse a été faite au début de l’étude puis six mois plus tard.
Le groupe de soutien par téléphone s’est « réuni » huit fois à raison d’une heure à chaque fois. Un programme précis a été suivi à chaque rencontre:
1. Présentation des participants
2. Eléments relatifs aux AVC et aux « soins »
3. La communication avec son conjoint
4. Le comportement et les sentiments du conjoint : comment faire avec ?
5. Le stress lié au rôle de soignant
6. Prendre soin de soi
7. Etat des ressources disponibles
8. Séance de conclusion
Chaque personne a reçu une cassette de relaxation ( !!) et un document relatif à la gestion du stress.
En tout, seize groupes furent constitués, variant de 3 à 6 membres, et aidés par 2 « facilitateurs ».
On demandait au soignant de trouver un lieu privé pour les sessions, afin qu’il puisse librement s’exprimer hors de la présence du conjoint.
Par ailleurs, il était proposé aux participants d’avoir des contacts directs avec les autres membres du groupe en dehors des sessions. Seuls 35% des participants se sont ainsi retrouvés « hors téléphone ».
93% des participants ont été satisfaits par ce type nouveau d’aide par téléphone. Deux points restent en retrait : la cassette de relaxation que seuls 40% des soignants a trouvé importante et la faiblesse des rencontres réelles. Quelques difficultés techniques (utilisation du téléphone, difficulté à entendre tous les participants, manque d’intimité…) ont également été notées.
Qu’en est-il de la modification de l’état émotionnel des soignants à la suite de ses sessions ?
On note une petite diminution du stress et une amélioration du sentiment de compétence. En effet, les participants ont pu échanger leurs connaissances et leurs stratégies. Ils ont ainsi appris l’un de l’autre et ils apparaissent davantage compétents.
On doit également noter une nette augmentation de la sensation de fardeau chez les sujets contrôle. Les auteurs font l’hypothèse que le processus d’aide par téléphone a pu anticiper, plutôt que réduire, les difficultés et que cela n’a pas été le cas dans le groupe témoin.
On doit noter que l’isolement reste important malgré ces échanges. Peut-être les sessions ont-elles été trop courtes pour enlever aux participants le sentiment de leur solitude.
Le résultat montre clairement que le téléphone peut être un moyen alternatif acceptable pour communiquer en groupe lorsque le face à face est difficile ou impossible.
Par contre, l’amélioration de l’état émotionnel, qui constituait l’autre élément d’hypothèse, n’est pas substantielle.
Bien entendu, il serait possible de modifier certains paramètres à partir de cette étude : par exemple, utiliser les ressources les plus récentes pour faire de la vidéoconférence, car la vue des visages et des émotions peut renforcer le sentiment de groupe, l’envie de se retrouver et donc limiter l’isolement.
De même il serait utile de s’intéresser aux soignants plus jeunes car les demandes sont bien différentes.
Mais l’essentiel reste acquis : former des groupes d’aide et de parole par téléphone est envisageable.
Pour en savoir plus :
Research on telehealth and chronic medical conditions
LISS and coll.
Rehabilitation Psychology, 2002, vol.47,n°1
Connecting group members through telephone and computer groups
GALINSKY et coll.
Health Social Work, 1997, vol.22, n°3
Distance Education and caregiver support groups: comparison of traditional and telephone groups
BROWN et coll.
Journal of Head trauma Rehabilitation, 1999, vol.14, n°3
R. HARTKE et R. KING
To pics in Stroke Rehabilitation, Hiver 2003 – vol.9, n°4 – pp.65-81