Evaluation et dépistage des troubles
de la déglutition en gériatrie
A. FORSTER et co.
Neurologie, Psychiatrie, Gériatrie, n°74 – Avril 2013
La prise en charge des troubles de la déglutition chez les patients adultes fait clairement partie de notre champ d’intervention.
Mais lorsqu’on n’a pas pratiqué pendant longtemps, ce qui peut être le cas pour certains d’entre nous en fonction de notre patientèle, un petit rappel est sans doute utile…. Mais ce n’est qu’un point de départ vers une réelle appropriation des techniques…
La déglutition est un phénomène sensitivo-moteur semi-réflexe complexe et parfaitement coordonné. Chaque individu déglutit 1000 fois par jour !
Le processus de déglutition peut être affecté par de nombreux facteurs : comorbidités, multiplicité des prises médicamenteuses. En cas de trouble, il y a un risque accru de fausses routes et de bronchopneumonies.
C’est une pathologie fréquente, probablement sous-estimée chez les personnes âgées. Selon une étude par auto-questionnaire aux USA, 15% des plus de 65 ans seraient atteints par ces troubles. Dans une autre étude, 35% des sujets ont « expérimenté » ces troubles dans leur vie. Au japon, 14% des sujets vivant à domicile ont des troubles dysphagiques. Dans les services hospitaliers, les pourcentages augmentent allant jusqu’à 73% pour les plus de 75 ans. Comme on le lit, la prévalence de la dysphagie est loin d’être négligeable….
Physiologie de la déglutition normale :
La déglutition est un phénomène complexe rapide, mais pour des raisons didactiques, on propose trois temps :
– Phase orale
Il y a d’abord le masticage, la découpe, l’assouplissement et le mélange avec la salive (afin de former le bol alimentaire) qui constitue un temps préparatoire, volontaire et plus ou moins long. Puis les mouvements de la langue et la stimulation des nombreux récepteurs oropharyngés (qui se situent au niveau de la muqueuse buccale et des muscles masticateurs et qui s’adaptent à la consistance du bolus) vont permettre de propulser le « bolus » vers l’oropharynx
– Phase pharyngée
Elle est réflexe et ne peut être interrompue. Elle est sous la dépendance de plusieurs stimuli sensitifs et sensoriels qui influencent le mécanisme.
C’est la phase la plus compliquée et la plus critique car plusieurs phénomènes synchrones interviennent.
– Phase oesophagienne qui se termine lorsque le bolus est dans l’estomac.
Les troubles de la déglutition.
- le concept de presbyphagie. Avec l’âge, la sensibilité diminue et le déclenchement du réflexe peut devenir plus long à se mettre en place. Il peut également y avoir des problèmes bucco dentaires.
- Les troubles liés à des pathologies.
– Les causes neurologiques
Les troubles de la déglutition sont fréquents dans les accidents vasculaires cérébraux ((25 à 80% selon les études) et dans les séquelles (10 à 50%). La présence d’une dysphagie entraine une sur-mortalité et un séjour hospitalier plus long. Il est donc conseillé de réaliser une évaluation au plus tôt.
La Maladie de Parkinson : selon les techniques d’évaluation employées, les chiffres de prévalence s’étagent de 30 à 80%. Les troubles ne sont pas liés à l’évolution de la maladie, ils peuvent même apparaître avant les premiers symptômes. Les troubles parkinsoniens (bradykinésie, rigidité…) vont allonger le temps oral. De même le maintien en bouche de résidus qui vient compliquer la déglutition et augmenter le risque d’aspiration et de broncho-pneumonie. Les conséquences psychosociales peuvent être importants pour le patient et son entourage.
Les démences : tous les types de démence peuvent provoquer des troubles de la déglutition dans les trois temps. En plus des mécanismes spécifiques, les troubles de l’attention, de la concentration ainsi que des problèmes praxiques contribuent aux difficultés. C’est l’allongement du transit oral qui est le plus problématique chez les patients MA.
Les troubles de la déglutition sont quasi systématiques dans les SLA (en lien avec la faiblesse ou la spasticité des muscles impliqués) entrainant de la malnutrition, des inhalations de résidus et des bronchopneumonies.
D’autres causes, plus rares (SEP, VIH, encéphalopathies…) peuvent provoquer des troubles dysphagiques chez les personnes âgées.
– Les causes ORL
Les causes tumorales mais aussi les séquelles d’opérations (radiothérapies, chirurgie..), entrainent régulièrement des troubles de la déglutition.
– Les causes oesophagiennes
– Les causes iatrogènes
Certains médicaments peuvent engendrer un effet sédatif (comme les antidépresseurs, les anxiolytiques…) qui vient perturber la déglutition. De nombreux autres médicaments jouent un rôle direct ou non.
- Les complications
Le manque d’efficacité de la déglutition peut entrainer un risque de déshydratation et de malnutrition, ce que l’on constate en particulier dans les hébergements de long séjour. Il est donc important de faire des identifications précoces.
La sécurité est aussi essentielle. L’incidence des bronchopneumopathies augmente avec l’âge (30% chez les personnes en institution !) mais aussi avec le degré de dépendance et les comorbidités.
L’évaluation des troubles de la déglutition au quotidien
En dehors des fausses routes qui sont explicites, la reconnaissance de troubles de déglutition n’est pas aisée. Une anamnèse est indispensable et préalable à un examen clinique.
- Que rechercher à l’anamnèse ?
Il faut préciser les antécédents et les diagnostics actuels, en particulier dans les domaines sensibles que sont les troubles neuro et ORL. Il faut entendre les plaintes subjectives, connaître les médicaments ainsi que les types d’alimentation habituelle (et est ce que certains types donnent plus de difficultés ?).
Les obstacles sont importants : les patients se plaignent peu des ces troubles qu’ils considèrent comme « normaux » en vieillissant, surtout s’ils apparaissent progressivement. De plus les signes varient selon les personnes ce qui peut induire en erreur et ils sont souvent peu spécifiques. L’observation lors d’un repas est essentielle.
On peut noter parmi les signes : la régurgitation par la bouche ou par le nez, des résidus alimentaires qui subsistent, une durée du repas ou de la mastication excessive, la difficulté de conserver le bolus suffisamment de temps en bouche.
Toutefois ces informations ne suffisent pas puisqu’elles ne représentent que 50% des risques d’aspiration selon une étude.
- Quel examen clinique ?
Examen neurologique complet et examen ORL. Etude de la toux, de la voix, de l’élocution, de la production de salive, de l’état buccodentaire et de la respiration au repos.
- Comment tester la déglutition ?
La plupart des méthodes utilisent des liquides et apprécient la présence de signes suspects d’aspiration. Des méthodes récentes proposent divers volumes 5ml, 10 et 20 ml et diverses contenances (liquide, nectar, pudding).
- Apport des examens complémentaires
La VFS (vidéofluoroscopie) permet une analyse dynamique en temps réel et constitue donc l’examen princeps en cas de doute. Toutefois, la vigilance du patient est requise ce qui est parfois difficile dans certaines pathologies.
L’endoscopie flexible par voie nasale constitue aussi un examen intéressant.
Enfin, notons qu’en hôpital ou institution, une évaluation multidisciplinaire (incluant une aide soignante, une diététicienne, une ergothérapeute, une orthophoniste, un radiologue…) permet d’individualiser et d’adapter la prise en charge.
Que peut-on proposer comme traitement ?
La prise en charge doit bien sûr tenir compte de (ou des ) étiologie(s).
- Il faut avant tout éduquer la famille, les aidants et si possible le patient. Il faut également assurer la supervision de la prise des repas.
- Il convient de vérifier et d’adapter les prothèses dentaires.
- La revue et éventuellement l’arrêt de certains médicaments est nécessaire.
- L’ajustement postural est essentiel car il évite le risque de fausses routes (position assise, voire semi assise ou mieux debout).
- L’environnement des repas doit être calme sans distractions.
- Il existe des manœuvres compensatoires comme modifier la conformation et les dimensions du carrefour aéro-digestif pour limiter les fausses routes (par exemple rotation de la tête vers le côté paralysé après un AVC…)
- Certaines techniques spéciales peuvent aussi être utilisées (déglutition forcée, supra-glottique ou manœuvre de Mendelsohn) mais elles nécessitent une forte présence du patient, ce qui n’est pas le cas dans certaines pathologies.
- L’adaptation du volume et de la consistance du bolus alimentaire reste fondamentale dans la plupart des cas.