Utilisation de la technique de récupération espacée
dans la prise en charge des patients atteints de maladie d’Alzheimer
J.ERKES et coll Psychologie & Neuropsychiatrie du vieillissement – 7/4 – Décembre 2009
On sait les désordres cognitifs et humains que représente la maladie d’Alzheimer : oublis nombreux, pertes d’objets, désorientation, questions répétitives, puis altération des connaissances anciennes, avec ce que cela représente d’impact négatif dans la qualité de vie des patients et de leurs aidants.
Les recherches en neuropsychologie ont montré que les patients Alzheimer conservaient tout de même certaines capacités d’apprentissage.
– La notion d’amorçage est mise en avant par les chercheurs. Il s’agit de la capacité de conserver une trace de l’exposition à un stimulus et d’en tirer un bénéfice lors de présentations ultérieures.
– La mémoire procédurale, préservée dans la maladie d’Alzheimer = maintien des capacités d’apprentissage moteur et perceptif.
Ainsi au delà des déficits importants dans la maladie d’Alzheimer, certaines capacités demeurent préservées et les chercheurs ont mis sur pied des méthodes d’apprentissage qui les utilisent.
– l’apprentissage sans erreur, pour éviter que le patient ne reproduise ses erreurs d’apprentissage
– la technique d’estompage
– la récupération espacée (RE), qui est la plus applicable dans la vie courante.
La RE a été mise au point en 1978 chez des sujets non malades. Camp l’a appliqué aux sujets Alzheimer en 1989.
Comment ça marche ? Une information est donnée au sujet qui doit la répéter immédiatement puis avec un délai de quelques secondes. Si le sujet répond correctement, on augmente le délai jusqu’à ce que la rétention soit acquise définitivement. Le temps de 5 minutes semble suffisant pour beaucoup de sujets, mais il peut arriver qu’il faille des temps bien plus longs (et donc plus de répétitions) pour obtenir le maintien de l’information à long terme. On considère que l’information est acquise lorsque elle est rappelée trois séances consécutives.
Si le sujet se trompe lors d’un rappel, on revient en arrière, au délai précédent, en lui donnant à nouveau l’information et on recommence la progression.
De nombreux travaux ont porté sur l’efficacité de cette méthode.
– Par exemple à propos de l’association visage-nom en utilisant des connaissances verbalisables soit en utilisation unique soit en association avec une méthode mnémotechnique. En 2008, Bier montre que les quatre méthodes qu’il emploie pour créer ces associations visage-nom donnent de bons résultats, mais qu’avec la RE, plus de sujets parvenait à une réussite comparable à celle des sujets contrôle.
– La RE a été également utilisée pour le réapprentissage de noms d’objets, pour l’apprentissage des noms d’objets nouveaux mais aussi pour la localisation d’objets, voire pour se rappeler du numéro d’une chambre.
– Dans de nombreux cas, on note que les connaissances apprises avec la RE sont utilisées ensuite dans la vie réelle.
– La RE a aussi été mise en place pour apprendre des comportements, avec une bonne réussite. En particulier pour l’utilisation d’aides externes comme un calendrier ou un agenda, ou pour l’utilisation de fiches pour se servir d’un téléphone portable, ou encore pour un cahier avec des réponses à des questions répétitives ou enfin pour utiliser une carte rappelant une procédure pour éviter des troubles de déglutition.
– Une étude de Bourgeois en 2003 montre un net avantage à propos de la réussite et du maintien de l’information de la RE versus la méthode d’estompage.
– Certains auteurs proposent l’utilisation de la RE pour se souvenir de réaliser une action dans le futur (mémoire prospective) mais sans preuve de l’efficacité.
– Le maintien dans le temps des informations acquises varie selon les sujets, peut être en lien avec la sévérité des troubles, le type de connaissances entrainées ou la durée de l’apprentissage. Mais dans l’ensemble le maintien est bon à court et moyen terme. Certains auteurs notent que les items utilisés régulièrement après l’apprentissage dans la vie de tous les jours se maintiennent mieux. Des séances ponctuelles de ré entrainement (des « piqures de rappel ») pourraient favoriser le maintien. Un traitement préalable de l’information à apprendre pourrait aussi favoriser le maintien en mémoire.
– Le stade précoce est le moment le plus favorable pour utiliser la méthode RE. Toutefois certains auteurs ont obtenu des résultats intéressants dans l’utilisation de supports externes (calendrier…) ou de comportements alternatifs.
– Toutes ces études présentent toutefois une fiabilité méthodologique discutable, comme d’ailleurs tous les travaux portant sur l’efficacité des prises en charge cognitives, souvent réalisés avec des cas uniques. (NDLR : mais en prise en charge c’est de toute évidence une méthode qui donne de bons résultats…)
Quels sont les mécanismes sous jacents à la réussite de cette R.E. ?
– Chaque présentation de l’information engendre un effet d’amorçage facilitant la réactivation implicite ultérieure de cette information.
– Les émotions positives générées par la réussite du sujet pourraient constituer pour lui un renforçateur positif.
– La récupération active de l’information pourrait constituer à chaque essai un ré-encodage, renforçant ainsi le chemin d’accès et la rendant donc plus accessible.
– L’efficacité pourrait venir de ce qu’elle constitue une situation d’apprentissage sans erreur. Les sujets Alzheimer auraient tendance à reproduire les erreurs qu’ils ont commises précédemment. Une méthode d’apprentissage dans laquelle on éviterait au maximum que le sujet ne produise des erreurs serait plus efficace.
– Pourtant on note que les sujets font parfois des erreurs (ce qui oblige d’ailleurs à revenir au stade précédent). Mais de par la méthodologie (très court délai entre deux réponses), le nombre d’erreurs est bien plus faible que dans les méthodes habituelles.
Toutefois il faudrait de nouvelles études pour confirmer le rôle de ces mécanismes.
Quelle utilisation de la RE en pratique clinique ?
– La RE est donc une méthode efficace. Mais c’est en plus une méthode très adaptable et utilisable dans de nombreux contextes et en particulier dans le quotidien du sujet. Cette méthode a donc une forte valeur écologique.
– C’est une méthode simple qui peut être aisément apprise (puis pratiquée) à des aidants professionnels, en particulier dans une institution.
– C’est une technique n’impliquant pas d’efforts de récupération pour le sujet et permettant des « bons » résultats, ce qui procure une expérience positive, voire agréable.
– Tous les sujets ne peuvent pas bénéficier de la R.E. Les patients souffrant d’une démence neurodégénérative sont dans un bon profil si elles sont capables de produire des réponses verbales adaptées et de se concentrer plusieurs minutes
– A l’inverse, la présence d’un syndrome confusionnel, de troubles de la vigilance, de troubles du langage sévères constituent bien sûr des freins à l’utilisation de cette méthode.
– Il faut que l’état psycho-comportemental du patient soit correct.
Quelles connaissances apprendre par la R.E. ?
- Des connaissances verbales, des compétences motrices, des nouveaux comportements à condition qu’ils soient utilisables un certain temps. Cela exclut donc des actes uniques (style rendez vous).
- Les connaissances et les comportements vont s’exprimer dans le cadre d’un stimulus-réponse, en particulier pour l’utilisation d’une aide externe.
La mise en place concrète :
– définir précisément une connaissance ou une compétence à apprendre en tenant compte des capacités et des besoins.
– Bien évaluer la compréhension du sujet et la présentation de la consigne afin de minimiser le risque d’échec.
– Administrer plusieurs séances par semaine si possible, pas moins d’une hebdomadaire
– Il faut être flexible et pouvoir modifier et adapter le déroulement de l’apprentissage
– Le critère de réussite est la capacité du sujet à redonner spontanément l’information au début de trois sessions consécutives.
– Il peut arriver que des sujets montrent des signes d’irritabilité voire d’agressivité surtout lorsque les délais sont très courts (sentiment de répétition exagéré).
En conclusion, la méthode de récupération espacée permet de diminuer (NDLR dans certains cas et dans une certaine mesure) les conséquences de la maladie au quotidien….
Bibliographie :
– « Amorçage et maladie d’Alzheimer » de AM. ERGIS in « Les troubles de la mémoire dans la maladie d’Alzheimer » de ERGIS et coll, Ed. Solal, 2005
– « Mémoire procédurale et maladie d’Alzheimer » de F. BOUTBIBE et coll. in « Les troubles de la mémoire dans la maladie d’Alzheimer » de ERGIS et coll, Ed. Solal, 2005
– « A comparison of training strategies to enhance use of external aids by persons with dementia » de M. BOURGEOIS et coll. In « Journal of Communication disorders », 2003 n°36
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