Actualités Orthophoniques Mars 2002 (volume 6, n°1)
Cet article concerne les enfants qui démarrent tardivement dans leur langage, ce qui ne nous semble pas correspondre à un terme précis en français. Nous emploierons donc les initiales LT pour « late talkers ».
Trois études préalables ont tenté de cerner le suivi de ces enfants.
En 1996, Paul étudie 31 enfants LT de l’âge de 2 ans (ils n’ont alors qu’un seul mot à leur disposition) à l’âge de 5 ans. Il note qu’à trois ans, les difficultés lexicales ont disparu et qu’à cinq ans, à l’entrée au Kindergarten, moment du début de la scolarité, correspondant à notre Grande Section de Maternelle, l’expression orale est quasiment normale.
En 1993, Rescorla suit 33 enfants LT. A l’âge de cinq ans, seulement 4 ont des troubles grammaticaux en production orale et tout rentre dans l’ordre à 6 ans.
Whitehurst (1991-1994) met en évidence chez les enfants LT de 5 ans et demi quelques troubles résiduels, en expression et en réception.
On peut donc considérer qu’à leur entrée en classe, la quasi totalité des enfants a recouvré un niveau normal de langage, attesté par les tests classiques. Pourtant Paul, en 1996, souligne quelques zones de faiblesse chez ce type d’enfants lors de la communication avec les autres élèves, mais sans que cela ne pose problème pour les apprentissages scolaires. Il propose donc une politique de « watch and see » (surveiller et voir) qui permet de suivre au plus près les enfants, sans intervenir directement.
Cette approche a été critiquée par plusieurs autres chercheurs, du fait d’erreurs méthodologiques, mais aussi du fait de la non-prise en compte de la totalité des conditions de communication. Selon eux, se satisfaire de regarder les acquisitions scolaires ne suffit pas et il est indispensable de s’intéresser aux niveaux supérieurs du langage. De même, il est prématuré de dire que tout va bien dès les premiers mois de la scolarité.
D’autres études ont en effet mis en évidence que ces enfants LT continuent à avoir des difficultés au delà de 5 ans pour ce qui touche à l’utilisation complexe du langage. Ces difficultés se révèleraient au fur et à mesure des exigences scolaires. Par exemple, la définition d’un mot ou la participation à des activités sociales plus complexes seraient révélatrices de ce déficit résiduel. Paul a analysé les capacités de rappel d’une histoire et le récit spontané chez des enfants LT à 4 ans, 5 ans et 6 ans. Les LT produisent moins d’informations et relient moins bien les éléments entre eux. Par contre la longueur des énoncés est équivalente à celle des enfants du même âge. De même Rescorla a montré que les enfants LT avaient de moins bons résultats que leurs collègues pour le raisonnement verbal, pour les définitions de mots, pour la fluence orale ainsi que dans les épreuves de mémoire auditive à court-terme (donc dans des domaines de « niveau supérieur » de langage).Selon Rescorla, ces difficultés persistent encore à huit ans.
Les auteurs du présent article ont suivi un groupe particulier d’enfants LT, dans la mesure où ils avaient tous bénéficié d’une intervention préventive. Cette intervention a pris la forme d’un programme de 11 semaines destiné aux parents et plus spécifiquement aux mères des enfants LT. Il s’agissait du programme « Il faut être deux pour parler » issu du célèbre Centre Hanen de Toronto. Ce programme comprend huit soirées destinées à aider les parents pour faciliter le développement du langage de leur enfant. Il y a également trois visites à domicile qui permettent une approche plus individualisée.
21 enfants ont été évalués à deux ans, puis revus à 5 ans et demi ou 6 ans. Notons qu’il n’y a que 4 filles pour 17 garçons… Les enfants de ce groupe apparaissaient particulièrement vulnérables puisque les deux-tiers montraient des signes de risque de troubles. Ainsi, à deux ans, six enfants s’exprimaient avec moins de 10 mots, sept avaient moins de cinq phonèmes à leur disposition et neuf avaient un retard supérieur à quatre mois. On peut donc considérer qu’il s’agissait pour beaucoup d’un trouble modéré à moyen en matière de langage. D’ailleurs, plusieurs enfants ont bénéficié après la première évaluation d’une rééducation orthophonique durant environ une année (pour troubles de langage ou d’articulation).
L’évaluation à deux ans repose sur deux vidéos montrant les interactions mère-enfant et sur des tests plus formels. L’évaluation finale comprenait également un questionnaire pour les parents. En plus des épreuves classiques et habituelles (syntaxe, phonologie…), deux épreuves ont été proposées lors de cette évaluation. Il s’agit d’une part d’une épreuve de rappel d’une histoire racontée à partir d’un livre sans image. On s’est intéressé ici à la longueur des énoncés mais également à la qualité de la narration incluant les liens entre les informations (pronoms, conjonctions…).
D’autre part, une épreuve oblige au décentrement du discours. Il s’agit de phrases dont la réponse nécessite un changement de perspective. Ainsi, on demande à l’enfant : « Dudley dit à Elmo que Minnie lui a fait une surprise. A qui Minnie a-t-elle fait une surprise ? » ou encore « Elmo dit à Dudley que Zoe l’a frappé. Zoé a frappé qui ? ». Cette épreuve a lieu d’abord oralement puis par l’intermédiaire de marionnettes qui doivent « jouer » la phrase (ce qui s’avère plus délicat pour l’enfant).
Les résultats montrent que la majorité des enfants ont récupéré leur retard de LT à l’âge de 5 ans. Ceci contraste donc avec les enfants qui présentent des troubles phonologiques et dont les performances restent en deçà de la normale. Par contre, tant les résultats chiffrés que les réponses des parents montrent que certains domaines du langage et de la communication demeurent fragiles. Par exemple, la qualité de la narration ou la prise de parole en classe, voire le langage « décentré » (voir les épreuves ci-dessus).L’épreuve des marionnettes pose le plus de problèmes aux enfants, avec de nombreux items « hors concours » mais également des difficultés de rétention. Paul avait d’ailleurs suggéré cette piste, à savoir un déficit de la mémoire auditive à court-terme. Selon cette hypothèse, les erreurs seraient donc dus à une capacité limitée de rétention de l’information et de traitement de l’information dans les phrases complexes et/ou ambiguës.
Selon les parents, 14 enfants sur 21 présentent des faiblesses. Cet aspect de validation écologique apparaît important en association avec des tests plus formels.
En conclusion, les auteurs adhèrent au principe de « watch and see » proposé par Paul, en proposant un suivi régulier et précis, pouvant donner lieu à de courtes interventions orthophoniques ciblées.
Pour en savoir plus :
Clinical implications of the natural history of slow expressive language development
R. PAUL
American Journal of Speech-language pathology, 1996, 5 (2)
L. Girolametto et coll.
American Journal of Speech-Language Pathology, 2001, vol.10, n°4,