Actualités Orthophoniques Mars 2000 (volume 4, n°1)
L’orthophonie est une sorte de caverne d’Ali Baba. Sans doute du fait de la complexité même des conceptions du langage, mais aussi de l’insuffisante formation de base, sans oublier la relative nouveauté de notre discipline, on peut trouver des propositions thérapeutiques extrêmement diverses dont malheureusement certaines confinent au ridicule ou au gag. La difficulté pour nous, au quotidien, est sans doute de connaître ET de maîtriser un certain nombre d’outils qui conviendront selon les cas, plutôt que d’être l’apôtre d’UNE méthode unique.
C’est l’intérêt de cet article : l’approche écosystémique, si elle s’éloigne des sentiers habituellement battus, n’en constitue pas moins une possibilité tout à fait utilisable dans certains cas. Ici c’est le retard développemental qui est mis en exergue, mais cette approche serait largement utilisable dans les troubles neurologiques comme l’aphasie ou les traumatismes crâniens, ou dans le bégaiement où la part de l’environnement dans l’avenir du patient est très importante.
Dans une première partie, les auteurs rappellent fort utilement les principaux modèles d’analyse du développement du langage, et par là même, les approches thérapeutiques sous-jacentes.
Cette partie, qui devrait constituer la base même de la formation, est complétée par de nombreuses références bibliographiques, hélas peu accessibles en France.
Les auteurs vont ensuite exposer clairement leur type d’intervention. Il s’agit fondamentalement d’identifier de façon systématique « les différents facteurs de risque et de protection biologiques, personnels, relationnels, familiaux et socio-environnementaux » qui participent à la situation de trouble.
Six principales étapes sont proposées :
1 – Préciser la nature de la demande.
On peut ainsi cerner différents niveaux, différents demandeurs, mais aussi reformuler la demande, sans négliger l’aspect de collaboration qui s’ébauche à ce moment.
2 – Evaluer les mécanismes internes et personnels à l’enfant, en fait analyser les forces et les besoins de l’enfant dans le développement de son langage.
3 – Une collecte de faits externes constitue la troisième étape. Il s’agit par exemple d’identifier les pratiques éducatives ou la nature des jeux relationnels, ou bien les stratégies de stimulation. Il faut aussi prendre en compte les facteurs d’environnement au sens large, en particulier dans sa dimension socio-économique.
4 – L’hypothèse de travail correspond à l’étape quatre. Il ne s’agit pas d’un diagnostic mais d’un énoncé subjectif au vu des faits amassés. On tente en fait de mettre en avant ce qui correspond à un ajustement (ou à un non-ajustement) de l’environnement aux besoins de développement de l’enfant.
Un fil conducteur permet d’assurer la cohérence de l’intervention.
5 – Un plan d’intervention est proposé. Il s’agira d’essayer de réduire l’impact des facteurs de risque et d’activer des facteurs de protection. Il s’agira donc de mettre en ?uvre des stratégies privilégiées au sein de la famille.
6 – Des révisions régulières constituent la dernière étape. On pourra ainsi identifier d’éventuels écueils et essayer de répondre aux blocages.
Le but principal de ce type d’intervention est de « créer (ou de recréer) des conditions écologiques favorables au développement du langage et de la communication de l’enfant ».
S’y ajoute la volonté de considérer les parents comme les plus au fait du développement de leur enfant (NDLR : ce qui contraste sans doute avec la grande connotation technique de nombreuses rééducations de jeunes enfants). Il y a donc une attitude permanente d’ouverture et de disponibilité vers la famille.
La deuxième partie de l’article raconte « l’histoire » de Sylvain. Ce mot d’histoire est clairement préféré à celui de « cas », ce qui dénote un parti pris net.
Sans entrer dans le détail de ce qui pour nous serait un retard de langage accompagné d’un trouble du comportement secondaire, nous pouvons noter quelques éléments qui montrent sans doute la spécificité de cette approche écosystémique.
Lors du premier entretien, la logopédiste (nous sommes en Suisse…) note les éléments formels (par exemple les omissions syllabiques ou la simplicité des phrases) mais aussi les éléments pragmatiques (Sylvain parle de ce qu’il a fait..) ou cognitifs (absence de relation entre les événements que l’enfant vit…), sans oublier les difficultés comportementales. Au fil des entretiens, elle va constater le type d’interaction entre les parents et leur fils.
Ceci conduit à un résumé des facteurs de risque .
Par exemple il n’y a pas de frontières intergénérationnelles entre Sylvain et ses parents : le ton de voix de sa maman est souvent enfantin, avec de nombreux rires.
Les pratiques d’éducation sont irrégulières.
Les parents n’ont pas d’expérience ni de connaissance sur le développement d’un enfant.
Du côté des facteurs de protection, on note la perception positive de Sylvain par ses parents, mais aussi leur forte motivation. Les conditions socio-économiques sont bonnes, de même que la qualité de vie du couple…
Les hypothèses de travail reposent d’une part sur l’explication des troubles du comportement par les ruptures de communication entre Sylvain et ses interlocuteurs, d’autre part sur la méconnaissance des parents qui ne peuvent ainsi pas ajuster leur comportement.
Le travail de la logopédiste, en étroite collaboration avec les parents qui assistent souvent à tour de rôle aux séances, comporte plusieurs éléments :
– bien sûr un travail « logopédique »
– un développement des connaissances des parents sur les étapes du développement de l’enfant, sur les attitudes et stratégies à adopter,
– un renforcement de la stimulation des parents
– un renforcement du sentiment de compétence
– favoriser des pratiques éducatives structurées et stables
– établir des frontières claires entre les parents et Sylvain.
Notons enfin que la logopédiste a rencontré l’enseignante et a observé le comportement de Sylvain en classe afin d’une part d’assurer le transfert des nouvelles habiletés, d’autre part d’aider l’enseignante dans ses stratégies.
Ainsi se présente cette approche écosystémique dont la principale difficulté vient de la complexité des faits à analyser et donc du choix des priorités.
Mais dont la principale qualité est de mettre l’accent sur ces interactions, élargissant ainsi notre lecture (NDLR : souvent trop technicienne des situations de retard de langage et de troubles de communication.).
René DEGIOVANI
Audette SYLVESTRE et coll.
Langage & Pratiques, 1999, n°24, pp.13-27