Actualités Orthophoniques Septembre 2002 (volume 6, n°3)
Cet article se veut le témoin d’une expérience toujours en cours, menée avec 4 groupes de 10 à 12 enfants déficients intellectuels et leurs éducateurs, au sein de l’IMP de la Montagne-Verte, géré par l’ARSEA à Strasbourg.
L’idée du groupe n’est pas la clé mais plutôt le moyen pour solliciter l’ensemble des protagonistes d’un espace déjà construit (éducateurs et enfants). Les éducateurs ne se voient pas refoulés hors des murs, thérapeutiques, mais sont inclus non sans risque pour l’orthophoniste, risque de « dévoiler » les techniques d’usage de l’orthophonie envers lesquelles on entend dire parfois : « c’est ça l’orthophonie ! ? !»…
Ainsi, les éducateurs, responsables des groupes, sont invités à participer activement aux activités et je les sollicite dans le prolongement du travail entamé lors d’une séance.
Leur présence est importante et même nécessaire pour ces enfants qui ont tant besoin de repères…D’autre part, c’est une possibilité de travail à plusieurs où chacun connaît sa place mais amène au mieux sa richesse, sa spécificité et ses points de vue.
Aujourd’hui, la « méthode » qui qualifie mon travail se base sur deux approches, tantôt une approche fonctionnelle, tantôt une approche plus formelle.
La première approche met en scène des exercices ciblant certains aspects du langage exercés hors contexte ou des capacités liées aux troubles associés :
? l’écoute et l’attention auditive
? la discrimination auditive et visuelle
? la phonologie
? le lexique actif et passif
? la morphosyntaxe en expression et en compréhension
? le scénario dans le récit
? le repérage spatio-temporel
? l’empan mnésique
? le rythme
? les tâches métalinguistiques
? la pragmatique
Bien entendu, ces exercices sont proposés aux enfants sous forme de jeu :
– des jeux avec accessoires. Ex : puzzles comportant autant de pièces que de syllabes entendues dans le mot représenté. Ce matériel favorise la conscience syllabique par le découpage puis la création d’animaux bizarres comme le cra-val : la tête de crapaud avec le dos du cheval.
– des jeux didactiques adaptés la plupart du temps (ex : Qui-est-ce ? avec leurs photos)
– à partir de matériel rééducatif : images par thèmes, comptines, images séquentielles…
– autour d’une histoire
Petit à petit, l’entrée corporelle s’est avérée nécessaire à la compréhension et à l’intégration des notions abordées. Ainsi le recours à des systèmes augmentatifs de communication comme la mimogestualité ou gestes du MAKATON* se sont naturellement intégrés aux histoires contées, aux comptines…
Ex : mimer les moustaches avec les mains quand on parle de la souris ou encore les oreilles pour le lapin.
C’est ainsi que l’on peut voir des enfants mutiques aider les enfants parlants à retrouver la suite de la comptine en mimant la suite des gestes…
Les gestes du Borel* sont venus accompagner des activités développant la conscience phonologique et faciliter l’accès à la rime par exemple (notion difficile pour ces enfants). Les gestes accompagnent également le travail des praxies bucco-linguo-faciales et l’association d’un mouvement ( un saut ou autre action si l’enfant ne peut pas sauter) à une syllabe a permis à des enfants de dénombrer correctement les syllabes dans un mot.
Cet entraînement repris par les éducateurs a permis de nets progrès sur le plan de l’attention et de la communication verbale et non verbale.
Des systèmes graphiques support de sens sont également utilisés pour le travail syntaxique : pictogrammes ou signes Makaton.
Quant aux situations de communication libre ou dirigée (approche fonctionnelle), elles s’organisent autour d ?échanges, d’un livre, de mimes, de matériel pour jeu symbolique : vrais fruits, marionnettes à doigts…
Là aussi, des ajustements s’opèrent. Citons l’exemple des marionnettes utilisées lors d’un récit. Leur présence a soutenu l’attention des enfants du groupe 3 (10-12 ans) et enrichit leurs interventions, à l’inverse elles déstabilisaient les enfants du groupe 1 (6-8 ans) qui ont une capacité attentionnelle plus limitée.
Toutes ces situations facilitent l’appropriation du langage, en offrant la possibilité à chacun de prendre la parole avec les règles que cela implique. Les éducateurs découvrent en ce lieu l’interaction langagière, base de l’orthophonie : adapter son langage, anticiper, savoir attendre, reformuler, compléter, questionner…
Ainsi, chaque mardi matin, l’humour, la convivialité et le sérieux se conjuguent. Notons que l’étonnement et la surprise sont des éléments précieux ! On voit que les enfants étonnent leurs éducateurs et s’étonnent parfois eux-mêmes devant leur réussite !
Très vite, nous, éducateurs et orthophonistes, nous avons compris la nécessité d’organiser des temps d’échanges en dehors de la présence des enfants afin de traiter les difficultés au fur et à mesure qu’elles se présentent, échanger sur les objectifs suivis et en fixer de nouveaux. Les éducateurs connaissent bien les enfants grâce au temps passé à les rendre autonomes dans les gestes de la vie quotidienne, à les aider à se socialiser, à les stimuler pour les apprentissages et à les encourager. Les informations qu’ils m’apportent permettent de réajuster sans cesse le travail proposé. Selon moi, ces moments renforcent la cohésion entre les intervenants ce qui contribue en grande partie à la réussite des ateliers.
C’est aussi le temps de « reconsidérer » la place de chacun. Quelle est la place de l’éducateur au sein de cet espace orthophonique ?
Quelle est celle de l’orthophoniste dans cet espace déjà construit enfants-éducateurs ? Questions difficiles…
Au-delà du témoignage, je souhaite que cet article soit une transmission, celle d’une possibilité de conjuguer des compétences, des connaissances et savoir-faire, permette de développer le travail en collaboration entre orthophonistes ou autres intervenants et éducateurs dans le but de servir encore mieux les enfants déficients intellectuels.
Clarisse GENIN, orthophoniste.