Actualités Orthophoniques Juin 2000 (volume 4, n°2)
J’ai choisi de vous présenter le cas de Mme PN Odette, tout d’abord parce qu’il me semble particulièrement relever d’une approche orthophonique , ensuite parce que la patiente est jeune (57ans).
Il s’agit en effet d’une dame née en février 1942 , elle est veuve depuis 1993 de son second mari ; elle a 3 garçons, Alain 37 ans (du premier mari), Patrick 25 ans , Philippe 22 ans . Son jeune fils est très proche d’elle et lui rend visite tous les soirs . Il est étudiant en maîtrise ou doctorat de droit . Elle a exercé plusieurs métiers , employée de bureau , agent immobilier à Paris , enfin de 89 à 93 employée de maison avec son mari dans les Yvelines.
En 93 son mari décède d’un cancer ; la même année elle perd aussi son parrain et son père . A partir de cette époque, elle a présenté un syndrome dépressif accompagné de troubles mnésiques de plus en plus invalidants. Dans ses antécédents personnels on note un éthylisme ancien pour lequel elle a suivi une cure de désintoxication en 96 .
Sa famille a demandé en Novembre 98 une consultation en service de Neurogériatrie du Pr Bernard Michel ; elle a été hospitalisée 4 jours pour un bilan.
Compte-rendu du bilan :
• Examen neuropsychologique: désorientation temporelle, troubles mnésiques , pas de troubles du sommeil. MMS :13/30 ; BEC :37/96 ; ADAS :39/70
• Examen du langage : paraphasies phonémiques, manque du mot , troubles arthriques.
• Examen des fonctions excentrées : compréhension orale altérée .
• Examen des fonctions visuo-spatiales : dyschronologie , intrusions.
A cette période (donc novembre 98) , le service notait déjà une perte d’autonomie totale, et à la fin de cette période d’examens et de bilans posait un diagnostic de probable maladie d’Alzheimer .
Le traitement médicamenteux était jusqu’alors de 3 Nootropyl par jour , il fut décidé la mise sous Aricept 5 , un comprimé par jour.
Il est certain que ce résumé de bilan datant de 8 mois auparavant est un élément de comparaison très précieux . Il serait intéressant de communiquer avec le service pour avoir les résultats plus complets des épreuves .
Quelques mois plus tard devant l’aggravation de sa perte d’autonomie, la famille décidait un placement en maison de retraite . Elle est donc arrivée à la Bastide St Jean fin juillet 99. Le début de sa maladie remonte environ à 4 ans, avec une aggravation progressive des troubles mnésiques et phasiques.
On m’a demandé de prendre en charge cette patiente (directrice de la maison de retraite et médecin psychiatre) , d’établir à nouveau un bilan et de décider de l’opportunité d’une prise en charge . Après quelques séances de prise de contact (la patiente arrivait dans un milieu de population âgée .. ) j’ai fait passer un Mini Mental Score.
Le résultat est en baisse par rapport au chiffre de novembre 1998 ; elle obtient à ce moment là un score de 11, score qui est le signe d’une démence plutôt sévère, avec notamment de grosses difficultés de repérage dans le temps et dans l’espace (pour la question concernant l’année, elle donne l’année du décès de ses trois proches – 1993). Les épreuves de rappel sont impossibles . On note aussi une apraxie constructive ainsi qu’une agraphie (phénomène de closing -in).
Il y a une impossibilité d’écrire son nom , ou une phrase (elle a le sentiment d’écrire « je vais faire de la gymnastique » ..alors qu’elle n’écrit qu’un gribouillage .
A son entrée , et dans l’observation des premiers jours sans doute aggravé par « le placement en maison de retraite » , l’expression orale d’Odette est très perturbée :
• on note une confusion certaine dans l’organisation de son discours , sur la trame même des phrases ,
• les transformations de type aphasiques sont nombreuses,
• le discours est émaillé de paraphasies avec même de fréquents néologismes (ce qui ne semble pas perturber la patiente).
• le manque du mot est très marqué .
Quelques séances après mon retour de vacances , j’entame la passation de la BEC96 sur deux séances pour ne pas trop stresser la patiente.
Le score est meilleur qu’il y a 8 mois ; elle obtient 48/96 soit 11 points de plus .
On note :
• une désorientation dans le temps qui n’est pas sous-tendue par un déficit de compréhension orale ( au MMS il y a des paraphasies sémantiques en réponse aux questions sur la saison. La patiente donne automne au lieu de l’été).
• des troubles du langage importants : « passin » au lieu de sapin (trouble pas courant qui justifie la passation du Boston), « patisson »au lieu de éléphant , ancre donne « clan »
• on retrouve les troubles de la visuo-construction. Ils entraînent de ce fait une apraxie graphique, l’écriture est perturbée.
• des troubles mnésiques de fixation. Il s’agit de troubles massifs , l’apprentissage est impossible même en reconnaissance . Il n’y a pas d’aide à l’indiçage ; le rappel et l’apprentissage sont impossibles .
• La dénomination est meilleure , le score est de 8/12 ; on suppose donc qu’il n’y a pas agnosie visuelle.
Suite aux résultats à l’épreuve de dénomination de la BEC96 , il m’a semblé intéressant d’approfondir les capacités de la patiente sur ce sujet ; j’ai donc procédé à la passation du test de Dénomination du Boston.
Sur 60 images on obtient les résultats suivants :
• justes 24
• paraphasies phonémiques11
• paraphasies sémantiques 7
• néologismes 1 (encle pour loquet)
• définitions par l’usage 14
• manques 2
On peut donc à la suite de cette épreuve noter à nouveau l’absence d’agnosie visuelle et donc une meilleure performance avec un support d’images ; on peut donc projeter un canal utilisable en prise en charge , les photos , les images, les illustrations .
Je reviens quelque peu sur le discours d’Odette qui au fil des séances a perdu son aspect très confusionnel pour devenir plus informatif (adaptation ? transfert positif avec l’ortho ? recadrage plus rassurant ?…) . Il reste cependant ponctué de paraphasies phonémiques ( malède, retousses….) sans feed – back .
Son type de discours a été confirmé par l’épreuve du BDAE (Boston), épreuve de conversation et l’épreuve de description d’images. Je note aussi des phrases courtes.
Que va m’apporter de plus le Boston ?
• pas de problème de schéma corporel , asomatognosie ( Epreuve de désignation des parties du corps correcte ) ce qui peut avoir une certaine valeur en cas de douleur.
• compréhension orale limitée aux ordres simples.
• patiente inaccessible aux épreuves de logique et de raisonnement
• expression orale : pas de trouble arthrique pur mais paraphasies phonémiques s’apparentant à des troubles Wernicke.
En résumé on note donc :
• des troubles au niveau de la 2° Articulation donc selon la catégorisation : transformations phonémiques et néologismes.
• une bonne répétition et lecture de mots (à utiliser bien sûr en prise en charge). La répétition de phrases difficiles qui a été un échec est à revoir . La lecture de phrases est meilleure que la répétition de phrases.
• la dénomination par le contexte est bonne et peut être utilisée (cf groupe).
• compréhension écrite très limitée ( cf 3° voie de lecture , lecture à voix haute à entretenir et à maintenir.)
Le test du Boston donne donc des pistes non négligeables (cf patiente très aphasique) :
• utilisation des transpositions : lecture (compréhension limitée, ex : à travailler association mot-image), répétition ; pas d’utilisation de la copie / apraxie (dommage pour la perte de la signature).
• utilisation de la dénomination, utilisation d’images et de photos personnelles (pas de prosagnosie).
Il est évident que tout ce travail se passe dans un contexte de transfert positif , de confiance . La prise en charge s’appuyant sur les capacités et les possibilités restantes de la patiente tendra à maintenir le plus possible le langage et de ce fait prévenir sa perte.
Passation d’un bilan comparatif (ce jour 10.1.00)
• MMs : score de 15/30 augmentation de 4 points par rapport à juillet 99 .
Amélioration des épreuves de repérage dans le temps et dans l’espace (5 points sur les deux épreuves au lieu de 1) .
• Passation du test de dénomination du Boston :
• réponses justes : 28 ….soit +4
• paraphasies phonémiques :10….soit -1
• paraphasies sémantiques : 5….soit -2
• néologismes : 0….soit -1
• définitions par l’usage : 13…..soit -1
• manques : 4….soit +2
Monique BOUANICH, Orthophoniste – Marseille