Actualités Orthophoniques Juin 2002 (volume 6, n°2)
Cela fait maintenant une vingtaine d’années qu’ont été mis en évidence par de nombreux chercheurs les liens étroits qui unissent apprentissage de la lecture et conscience phonologique du système de la langue.
La conséquence logique a été de démontrer l’importance de la stimulation de la conscience phonologique au début de l’acquisition de la langue écrite ainsi bien évidemment que dans les situations de remédiation chez le dyslexique phonologique.
On a tendance à penser que les informations morphologiques sont utilisées après les informations phonologiques par l’apprenti lecteur. Mais les auteurs de cet article, rejoignant en cela les travaux de Treiman et Casar, pensent que l’enfant fait rapidement appel à des compétences morphologiques parallèlement aux compétences phonologiques.
En effet, très vite, l’enfant est confronté à l’écriture de mots puis de phrases et c’est là que la combinatoire morphologique est sollicitée avec – comme au niveau phonologique – une nécessité de segmentation des unités.
Le morphème est la plus petite unité lexicale significative qui constitue le mot. Il en existe de deux types : les morphèmes lexicaux ( il s’agit alors du lexème ou radical et il est autonome ) et les morphèmes grammaticaux ( il s’agit alors des dérivations, des flexions, le morphème grammatical est en combinatoire et peut-être sonore ou latent ).
Le français écrit tient compte de cette combinatoire morphologique avec : – – la segmentation des mots ( mots commençant par une voyelle…) – l’écriture ferme pour les morphèmes en combinatoire ( préfixe ou suffixe…) – le marquage fréquent de la flexion ( même s’il est latent).
Il est donc nécessaire que l’enfant ait oralement une conscience morphologique suffisamment développée pour comprendre et identifier le mot, les relations entre les mots et les dérivations effectuées sur les mots.
Des travaux antérieurs à la présente étude révèlent les points suivants : – les règles morphologiques sont appliquées sur le verbe conjugué (étude à l’oral d’enfants entre 3 et 6 ans ) de façon moins correcte par les sujets présentant un retard de langage spécifique ( Léonard et coll. ).
• la morphologie verbale ( corpus oraux et écrits d’enfants entre 10 et 12 ans présentant un RL et appariés avec des enfants ayant le même âge de langage ) apparaît déficitaire dans les deux modes ( Windsor et coll. ).
• « les capacités morphologiques semblent (…) davantage reliées à l’identification de mots complexes et aux processus de compréhension qu’au développement précoce de la lecture » , la conscience phonologique pouvant induire, elle, un apprentissage précoce de la lecture ( travaux de Carlisle).
• Pour Treiman et Casar, l’enfant , très tôt, utilise dans l’écriture non seulement la phonologie mais aussi des ressources morphologiques et orthographiques, les capacités morphologiques à l’oral servant de base aux compétences à l’écrit ( cf ci-dessus ). L’importance de la morphologie mise en évidence dans ces différentes études – portant principalement sur la langue anglaise – permet de relier un déficit morphologique au niveau oral avec un RL, un enfant mauvais lecteur ou un enfant dyslexique.
L’hypothèse de la recherche menée par les auteurs était d’établir une relation entre de mauvaises performances au niveau des compétences morphologiques à l’oral chez l’enfant DL-DO, la médiocrité de la conscience morphologique étant alors prédictive des performances en dictée d’énoncés; ceci étant à mettre en parallèle avec la conscience phonologique qui, elle, est prédictive des capacités développées dans l’apprentissage de la lecture.
Dix enfants ayant une dyslexie phonologique ont été testés – les exercices sont présentés en annexe de l’article :
à l’oral avec évaluation de la conscience phonologique
Avec évaluation de la conscience morphologique explicite avec des exercices de segmentation morphologique, de comptage de mots dans des phrases présentant des similarités phonologiques et enfin de flexions avec des verbes à mettre au participe passé et au futur simple.
à l’écrit avec dictée de logatomes, dictée de mots allant par paire minimale ( tarte/carte ) et dictée d’énoncé avec la première partie du texte « le corbeau » du L2MA.
Voici les conclusions que l’on peut tirer de cette étude :
• La dictée de logatomes n’est pas prédictive de la dictée d’énoncé.
• Les mots isolés sont mieux transcrits que les mots en contexte.
• La dictée de mots a toujours été mieux réussie que la dictée d’énoncé. Les compétences morphologiques testées à l’oral sont les plus en corrélation avec les scores obtenus dans la dictée d’énoncé.
• Les fautes morphologiques sont majoritaires par rapport aux fautes phonologiques dans la dictée d’énoncé.
• Les erreurs faites à l’oral et à l’écrit sur les morphèmes lexicaux et grammaticaux sont comparables.
V.REY, C.SABATER et C.DE CORMIS pensent qu’il faudrait tester chez les enfants plus jeunes la conscience morphologique implicite ( parole spontanée ) afin de travailler sur la notion de « non-généralisation des apprentissages chez les enfants dyslexiques » .
« Si ces travaux se confirmaient, la question de la remédiation se pose. (…) elle ne se substituerait pas à la remédiation phonologique mais elle constituerait un équilibre dans le domaine de la manipulation des unités linguistiques
( phonèmes et morphèmes ) et elle permettrait (…) une remédiation de l’orthographe plus proche de la langue et un peu moins scolaire. »
V. REY, C. SABATER, C. DE CORMIS
Glossa, Décembre 2001