Actualités Orthophoniques Septembre 2003 (volume 7, n°3)
Il y a plusieurs niveaux d’investigation des troubles aphasiques : celui du médecin traitant, qui ne fait que constater le trouble, celui de l’orthophoniste clinicien qui va faire un état des déficits et des reliquats en vue de la rééducation et celui du chercheur qui va analyser en détail les troubles et tenter de les relier aux éléments sous-jacents. Le temps disponible et les méthodes employées dans les trois cas ne sont pas les mêmes. Et s’il n’est guère dans la possibilité de l’exercice quotidien de décortiquer finement les troubles, il est toujours utile et intéressant pour le clinicien de connaître le cheminement méthodologique et scientifique du chercheur.
Toute recherche impose au préalable la maîtrise précise des concepts et donc une revue de la littérature. Ce qui suppose la connaissance et l’accès aux articles scientifiques, fantasmatique obstacle sur la route des cliniciens…
Deux grands thèmes sont analysés ici :
• les perturbations syntaxiques
Dans la tradition aphasiologique, les troubles syntaxiques sont divisés en deux types :
L’agrammatisme , le plus connu, avec des structures simplifiées, peu diversifiées, l’absence des mots fonctionnels et la prédominance des mots « à contenu » (substantifs, verbes, adjectifs…) qui va jusqu’au célèbre style télégraphique et la dyssyntaxie où les éléments grammaticaux sont incorrectement sélectionnés. Le premier type de trouble est en général associé à une aphasie non fluente (style de Broca), le second à une aphasie de Wernicke.
Mais, les études récentes montrent que cette dichotomie n’a pas de raison d’être puisque les troubles apparaissent souvent identiques dans les deux cas. Ce ne sont donc que des troubles de la production des phrases, comme l’indique Pillon en 2001.
• la mémoire de travail
Voici un terme qui est devenu central en quelques années. Ce maintien temporaire d’informations, issues à la fois du contexte que de l’expérience du sujet, est dorénavant considéré comme essentiel dans de nombreux domaines du langage et en particulier, ici, dans la compréhension des phrases.
Au delà de la classique distinction entre boucle phonologique, registre visuo-spatial et administrateur central, les auteurs se réfèrent à un modèle psycholinguistique (Martin, 1999). Ce modèle se compose de trois niveaux, phonologique, lexical et sémantique, avec des n?uds activés différentiellement.
Le cas de Mme LM est ensuite présenté : elle présente des troubles de l’expression orale, de la production et de la compréhension fine de phrases.
Pour les auteurs la question essentielle est : d’où provient cette difficulté de compréhension des phrases, d’un déficit de la mémoire de travail ou d’un mauvais processus syntaxique ?
Une série de tâches spécifiques est donc proposée. La plupart sont malheureusement issues de documents non publiés, ce qui limite pour le moins l’extension de telles analyses aux orthophonistes n’appartenant pas à un Groupe de recherche :
• Jugement de grammaticalité
92 phrases sont proposées oralement et le sujet doit indiquer si elles correctes ou non sur le plan grammatical. 51 de ces phrases sont agrammaticales, avec des modifications des mots fonctionnels.
• Jugement de plausibilité
La phrase « Le médecin qui est ausculté par le malade est souffrant » est-elle plausible ? 108 phrases sont ainsi présentées…
• Test de compréhension syntaxique
Plusieurs types de phrases sont proposés, mettant en scène deux « personnages » et Mme LM devait désigner avec une petite figurine celui qui fait l’action.
Exemples : « la vache cogne la jument » ou « C’est la vache qui cogne la jument » ou « c’est la jument que cogne la vache »…Bref, la jument est toujours malmenée….
• Tests de compréhension orale en temps réel (Batterie de Grosjean – Rééducation Orthophonique n°198, présenté à l’époque par notre revue…)
Cette batterie analyse les différents niveaux de traitement (phonétique, lexical, morpho-syntaxique, sémantico-pragmatique et prosodique) afin de localiser le déficit dans les processus. Il y a des épreuves de discrimination de syllabes, de décision lexicale, de détection de mots dans une phrase.
• Empans verbaux
Il y a le classique empan de chiffres à l’envers pour tester la mémoire de travail et l’empan de mots (mots courts, mots longs, et mots similaires au point de vue phonologique) qui cible particulièrement le fonctionnement de la boucle articulatoire.
• Empan de lecture (Reading Span Test – RST)
Le sujet doit à la fois comprendre la phrase (par sa plausabilité) et garder en mémoire les derniers éléments (répétition des derniers mots). Ceci permet d’analyser le fonctionnement de l’administrateur central qui doit répartir ses ressources entre les deux activités.
Les résultats des tests sont les suivants :
• Détection difficile des phrases incorrectes lors de l’épreuve de jugement de grammaticalité. Toutes les catégories de phrases sont touchées mais l’écrit est meilleur. L’hypothèse retenue est donc une limitation des ressources de traitement.
• A l’épreuve de plausibilité, il n’y a aucune difficulté à l’écrit. Les résultats laisseraient penser à un déficit de la boucle phonologique, ce qui entraînerait une réponse « au hasard ».
• Les résultats au test de compréhension syntaxique semblent éliminer un déficit de compréhension syntaxique. LM est capable d’effectuer une analyse syntaxique mais à l’écrit seulement, car les résultats à l’oral montrent un gros trouble.
Il apparaît donc que « l’hypothèse d’une limitation des ressources de traitement serait compatible avec les résultats », ce qui est confirmé par les résultats en temps réel du test morpho-syntaxique dans lequel les phrases agrammaticales sont acceptées à tort à l’oral. L’hypothèse d’un déficit du mapping est à rejeter du fait des bons résultats à l’écrit.
• Les épreuves d’empans verbaux apparaissent toutes déficitaires. D’autres épreuves d’empan suggèrent que l’administrateur central n’est pas perturbé. Par contre, les deux niveaux de la boucle phonologique (registre phonologique et répétition articulatoire) sont atteints.
La conclusion des auteurs est que LM présente un déficit de mémoire de travail phonologique, ce qui ne lui permet pas de « répéter » mentalement une phrase complexe afin de l’analyser à nouveau lorsque la première tentative a échoué. Il y a un manque de « récapitulation » qui entraînent la dégradation des traces mnésiques.
Une thérapie assistée par ordinateur a été mise en place, portant sur la métaphonologie et la mémoire de travail phonologique. Les premiers résultats montrent des améliorations significatives, mais limitées aux items travaillés. A suivre donc…..
Laurence BURGAT et Jocelyne BUTTET-SOVILLA
APHASIE, 17, 1/2003