An intervention case study of a bilingual child with phonological disorder

Actualités Orthophoniques Décembre 1999 (volume 3, n°4)
Lorsque le thérapeute reçoit en consultation un enfant bilingue, le questionnement est double : doit-on, peut-on appréhender et par là même rééduquer un retard de parole chez un enfant bilingue de la même façon que chez un enfant monolingue ? Notre objectif et notre rôle sont-ils de permettre à cet enfant une parole correcte uniquement en français (en général la seule langue que maîtrise parfaitement l’orthophoniste) ou bien devons nous viser également une amélioration dans son autre langue (c’est à dire bien souvent sa langue maternelle) ? Ces réflexions paraissent d’autant plus importantes lorsqu’on sait que ces difficultés concernent environ 10% des enfants et qu’à l’approche de l’an 2000 plus de la moitié des enfants de la planète acquièrent deux langues au moment de leur scolarisation.
L’article de Holm et Dodd, qui est présenté comme une étude de cas, se propose tout d’abord de rappeler le développement de la phonologie chez les enfants bilingues puis de présenter et de définir les différents types de troubles de la parole chez l’enfant unilingue pour, grâce au rappel des connaissances concernant les systèmes phonologiques des langues, établir quels types de difficultés on peut rencontrer chez les premiers et quelles sont les approches rééducatives les plus pertinentes.

Développement phonologique chez les enfants bilingues.

Deux questions semblent essentielles par leurs implications majeures pour les propositions de rééducation.

L’une concerne l’unicité du système phonologique. Il existe apparemment deux systèmes phonologiques séparés et non pas un seul pour chacune des deux langues.

La seconde a trait à l’acquisition de la phonologie par l’enfant bilingue. Suit-elle les mêmes étapes de développement que celles d’un enfant monolingue ? Il semble alors que toutes les recherches concordent. Qu’elles soient transversales

ou longitudinales, les études de groupes tendent à prouver que le développement de chaque langue chez les enfants bilingues est différent de celui de la même langue chez un enfant monolingue, les auteurs observent notamment la présence de procédés phonologiques atypiques.

Typologie des troubles phonologiques chez les enfants unilingues.

Les recherches déterminent quatre sous-groupes identifiés en fonction du type d’erreurs de surface et des performances des enfants dans des tâches de réalisation de la parole (épreuves cognitives, répétition de mots, planification motrice fine…)

* Troubles d’articulation : il s’agit de l’incapacité à produire certains phonèmes de façon correcte isolément ou dans n’importe quel contexte. L’enfant y substitue soit un bruit spécifique soit un autre phonème. C’est donc un trouble de nature périphérique dans lequel un programme moteur erroné a été intégré.

* Retard du développement phonologique : le système phonologique est semblable à celui d’enfants plus jeunes. La plupart des phonèmes peuvent être produits mais on observe une discordance entre les procédés phonologiques utilisés et l’âge réel de l’enfant. Les causes peuvent être un environnement langagier peu stimulant, une maturation neurologique plus lente que la normale. Si dans la pratique orthophonique en France, on utilise davantage l’appellation retard de parole pour les altérations de la chaîne parlée chez des enfants de plus de quatre ans, on y adjoint parfois celle de trouble phonologique qui précise les causes et qui oriente la prise en charge.
* Trouble avec des déviations constantes : on observe une utilisation systématique de règles phonologiques déviantes avec des erreurs non typiques d’un développement normal (par exemple l’omission systématique des initiales consonantiques). Ce serait dû à une relative incapacité à maîtriser le système phonologique de la langue.
* Trouble de la parole non homogène : dans un même contexte, les productions de mots ou de structures phonologiques sont différentes suivant les occurrences. Ces enfants ont une connaissance intacte du système phonologique mais éprouvent des difficultés à planifier les séquences motrices nécessaires. Ils réussissent difficilement les épreuves de vocabulaire, de planification phonologique et de mémoire de travail phonologique.

On retrouve les quatre mêmes sous-groupes dans toutes les langues ayant fait l’objet d’études.

Troubles phonologiques chez les enfants bilingues.

Non seulement les enfants bilingues qui présentent des difficultés s’apparentent aux mêmes classifications mais ils produisent des erreurs caractéristiques des mêmes sous-groupes dans chacune de leurs langues. Ceci laisse à croire que les troubles dans les deux systèmes phonologiques sont dus à un seul et même déficit sous-jacent.

Il est donc nécessaire que les thérapeutes puissent identifier quel est le type de trouble afin qu’ils puissent intervenir efficacement.

Si les recherches sont bien avancées en ce qui concerne le développement et les troubles phonologiques, les évaluations restent très difficiles pour des orthophonistes souvent monolingues et on connaît peu les caractéristiques de ce qui serait une intervention efficace.

On sait par contre que la généralisation des progrès d’une langue à l’autre n’est pas systématique alors qu’on doit la considérer comme un des objectifs de la rééducation et comme une preuve de son efficacité. Plusieurs approches rééducatives sont toutefois envisageables.

Approches rééducatives.

La rééducation par les contrastes phonologiques (« phonological contrast therapy ») semble plus efficace dans le cas d’erreurs cohérentes.

La rééducation du langage dans tout son ensemble conviendrait davantage en cas de retard du développement phonologique.

Un travail à partir de termes du lexique de base (« core vocabulary approach ») est conseillé lorsque les erreurs sont très variables.

Les résultats sont probants dans la langue de la thérapie mais les auteurs remarquent que le transfert d’une langue à l’autre ne fait pas dans le cas de rééducations par contraste phonologique. Il semble que ce type de travail n’intervienne pas sur le déficit global sous-jacent c’est à dire

sur la difficulté à établir de règles phonologiques mais consiste seulement en l’enseignement du système phonologique d’une langue donnée.

Etude du cas d’un enfant bilingue.

L’hypothèse principale est qu’il existe un seul planificateur phonologique pour traiter le système phonologique de chaque langue et que dans le cas d’erreurs variables dues à une difficulté à emmagasiner ou à retrouver des séquences phonologiques une rééducation visant le déficit sous-jacent permettrait le transfert à la langue maternelle puisque cette rééducation « core vocabulary » permet dans une langue donnée la généralisation des résultats des mots travaillés vers les mots non travaillés.

Le patient est un enfant bilingue anglais/pendjabi (langue indo-aryenne d’une région de l’Inde et du Pakistan) en difficulté de parole depuis l’âge de deux ans. Ses parents ne pensant pas qu’une intervention en anglais serait bénéfique, il n’est orienté qu ?à l’âge de 4 ans 6 mois.

L’objectif de la rééducation est de rendre sa parole plus cohérente (ses productions sont très variables d’une fois à l’autre) et de permettre les progrès à la fois en anglais et en pendjabi. Toutefois la rééducation de fait en langue anglaise.

Evaluation de départ .

La première évaluation se fait en anglais et en pendjabi et est précédée d’une évaluation en anglais uniquement des performances de l’enfant en compréhension et en expression. Pour des raisons de simplicité, seuls sont testés dans la parole des mots cibles isolés dont la transcription en pendjabi est disponible.

Lors de l’analyse des données, quatre critères sont pris en compte.

• Pourcentage de consonnes correctes (PCC).

• Pourcentage de productions de mots labiles (dont la réalisation n’est pas identique lors des trois essais)

• Inventaire des phonèmes disponibles hors répétition.

• Procédés développementaux ou atypiques.

L’analyse fait état non seulement de substitutions fréquentes (avec un PCC inférieur à 45% en anglais et à 60% en pendjabi) mais également d’une labilité extrême de ces substitutions. Toutefois tous les phonèmes du pendjabi sont présents et les phonèmes anglais manquants sont d’apparition plus tardive même chez les enfants monolingues. Deux semaines après cette première évaluation les mêmes épreuves sont reproposées afin que puisse être définie une ligne de base.

La rééducation.

La prise en charge est individuelle et bihebdomadaire (une séance à domicile, une séance à l’école). Les trente séances sont réparties sur deux mois.

En collaboration avec H.K., ses parents et l’enseignante, l’orthophoniste établit une liste de cinquante mots signifiants pour l’enfant.

Chaque semaine, dix mots sont issus au hasard, l’orthophoniste les travaille avec l’enfant puis tout au long de la semaine ces mots sont induits par la famille et par l’école, cinq fois par jour, ils sont finalement révisés de façon ludique lors de la deuxième séance.

L’objectif n’est pas d’obtenir une production parfaite mais une production stable de chaque mot. Lors de la deuxième séance dix mots tests non travaillés, mais de structure identique à ceux travaillés, sont évalués sur trois occurrences afin de surveiller la généralisation. Afin que H.K soit motivé, les parents instaurent un système de récompenses et de tableau de réussite.

Chaque mot produit de façon constante est retiré de la liste, les autres y sont réintroduits.

Résultats.

Deux mois après le début de la rééducation, les mêmes évaluations sont proposées. Dix mots issus des mots travaillés et des mots tests sont également testés..

Le pourcentage de labilité est passé de 60% à 20% pour les mots entraînés et de 60% à 30% pour les mots non entraînés.

Lors de la post évaluation en pendjabi, les auteurs observent également une amélioration de la constance des productions, moindre qu’en anglais mais suffisante pour qu’H.K obtienne des résultats non pathologiques. Parallèlement, le PCC augmente et la variabilité des substitutions phonémiques diminue. Sa parole présente toujours un retard phonologique mais c’est désormais c’est un retard de type développemental sans procédés atypiques.

Les enfants bilingues (et monolingues) avec une parole aux erreurs inconstantes bénéficieraient donc d’une approche de ce type. Cette approche ne vise pas seulement les erreurs de surface, elle permet l’amélioration du planificateur phonologique qui sert les deux systèmes, elle permet donc la généralisation d’une langue à l’autre. En offrant à H.K des informations spécifiques et détaillées à propos d’un certain nombre de mots et en exerçant l’utilisation de ces informations par une pratique régulière, on améliore sa capacité à créer des séquences phonologiques de sortie (phonological output plans).

Autant une approche de contraste phonologique (destinée aux enfants avec des erreurs constantes) est spécifique à une langue puisqu’elle enseigne les contraintes d’un système phonologique particulier et ne permet donc pas de remédier au déficit sous jacent (c’est à dire la difficulté à abstraire ces contraintes), autant une rééducation de type « core vocabulary » permet un transfert d’une langue à l’autre dans le cas d’erreurs variables. Il convient donc de poursuivre la recherche dans le premier domaine afin de permettre également les transferts inter langues.

On peut se questionner sur l’intérêt autre que purement théorique de ce type de travail et sur la faible congruence avec notre pratique quotidienne. A la lecture de cet article, quelques bouffées de jalousie nous envahissent à l’évocation de tout ce dispositif d’évaluation et de rééducation. Il est rare, tant en exercice salarié qu’en libéral de pouvoir mettre en ?uvre une organisation aussi complexe et aussi fine et qui intrique autant l’école, le milieu familial et l’équipe thérapeutique. Toutefois, à défaut de reproduire, on peut adapter la démarche en en gardant l’esprit. Il paraît nécessaire qu’une rééducation d’un retard de parole aie comme objectif d’améliorer les performances dans les deux langues quelles qu’elles soient. La vérification systématique de l’existence dans la langue maternelle des phonèmes non produits en français et des traits pertinents difficilement perçus semble être deux étapes incontournables d’un bilan orthophonique efficace auprès d’un enfant bilingue. L’information auprès des parents quant à l’efficacité sur la langue maternelle de la prise en charge orthophonique est également primordiale.

Rozenn HENRY
Holm et B. Dodd
Child Language Teaching and Therapy, 1999, 15,2, pp.139-158