Déficits non-cognitifs de la maladie d’Alzheimer

Actualités Orthophoniques Juin 1999 (volume 3, n°2)
Ce sont essentiellement les troubles cognitifs qui font l’objet d’études et de recherches dans la MA. Pourtant les déficits non cognitifs (DNC) sont presque toujours présents à un moment ou un autre de l’évolution de la maladie.
L’importance de ces désordres du comportement et de la personnalité est primordiale puisque c’est souvent en raison de leur gravité que la famille va demander une institutionnalisation et ce sont aussi eux qui vont être le plus difficile à ?gérer? par le personnel soignant.

Les études sur les DNC des syndromes démentiels organiques sont non seulement peu fréquentes mais encore elles se heurtent à de nombreuses controverses en raison des conclusions souvent contradictoires auxquelles aboutissent les chercheurs.

Ce flou dans les données épidémiologiques s’explique par des difficultés de type conceptuel -il n’y a pas de consensus dans la terminologie utilisée- et méthodologique -en raison du problème évoqué ci-dessus, il est difficile de trouver des outils fiables pour évaluer les DNC.

Lorsqu’un clinicien se trouve face à un patient, il va dans un premier temps utiliser des critères diagnostiques ( DSM-IV, ICD-10, NINCDS-ADRDA ) pour établir la maladie puis il cherchera à établir le plus précisément possible la sévérité des déficits cognitifs et non cognitifs.

Et c’est là que l’on se retrouve face aux difficultés conceptuelles et méthodologiques évoquées précédemment.

C’est parce que l’on connait encore mal la sémiologie comportementale des démences que les outils d’évaluation ne sont pas encore assez performants.

Pour évaluer les DNC dans les MA, ce sont fréquemment les ? signes ou les symptômes qui permettraient de les classer selon les critères psychiatriques de dépression, d’anxiété ou de troubles psychotiques ? qui ont été utilisés.

C’est alors de trois types d’échelles que l’on s’est servi :

– les échelles psychiatriques classiques dans les études anciennes mais elles se sont avérées peu fiables à cause des troubles du langage et/ou des fonctions mnésiques qui gênent leur utilisation.

– les échelles adaptées à visée spécifique ayant pour objectif d’évaluer certains DNC chez les sujets âgés ou déments mais la plupart d’entre elles ne sont pas validées correctement.

– les échelles globales d’évaluation des DNC.

Actuellement, c’est ce type d’échelle, permettant une évaluation psychopathologique large et adaptée à la MA qui est le plus usité.

Serge BAKCHINE insiste sur le NPI ( Neuro-Psychiatric Inventory ) qui permet d’évaluer douze perturbations fréquentes dans la démence; il mesure la fréquence et la sévérité de chaque symptôme à partir d’un questionnaire donné à ?l’informant familial? ( score NPI global ) et évalue la détresse provoquée par le symptôme chez l’informant ( score total de détresse de l’informant familial ).

Les DNC que l’on trouve dans la MA sont regroupés en quatre rubriques.

les désordres de l’humeur

– la dépression

Sur ce sujet, le consensus est très faible. La fréquence est évaluée selon les auteurs de 0% à 87%; cette différence s’explique par le fait que nombreux sont ceux qui considèrent qu’elle est une réaction psychologique du malade à la prise de conscience de la diminution de ses facultés intellectuelles. Mais il a été démontré qu’elle pouvait être le signe inaugural de la MA chez certains patients et que les deux syndromes pouvaient ainsi soit se succéder, soit coexister.

Alors est née ?l’idée que la dépression pouvait constituer une complication spécifique en rapport avec les lésions de la MA.?

Il n’est pas aisé de distinguer la démence d’un syndrome dépressif car signes cliniques et symptômes se recoupent en partie sur les plans cognitif, comportemental, affectif et végétatif.

C’est pourquoi l’on parle de ?pseudo-démence dépressive?; après un traitement sous anti-dépresseur, l’absence de régression des troubles cognitifs fait envisager l’existence d’une MA.

– l’anxiété

Elle est ainsi définie dans le NPI :?comportement effrayé ou inquiet exprimé sans raison apparente par le patient, comportement tendu et instable.? En se basant sur cette définition, on retrouverait ce DNC chez 48% des patients.

– euphorie et manie

On trouve assez rarement ces DNC dans les MA. Les signes de manie doivent faire suspecter d’autres démences en particulier les fronto-temporales.

les désordres du contenu de pensée

Il s’agit surtout des délires ( certitude d’être victime de vols et délire de suspicion en sont les formes les plus fréquentes ) et idées paranoïdes ( essentiellement à type de persécution sans intensité délirante ).

On définit les idées délirantes comme une conviction du patient quelque soit les preuves du contraire qu’on peut lui apporter et cette conviction doit durer plus de sept jours afin d’éliminer un syndrome confusionnel aigu.

les désordres de la perception

On y trouve les distorsions sensorielles : la perception que va éprouver le patient va être différente de la normale en intensité, qualité ou par rapport à son aspect spatial.

Sont également regroupés dans ces désordres les duperies perceptives avec les hallucinations principalement visuelles et auditives et les illusions.

Les troubles de la reconnaissance et de l’identification sont fréquents; un aspect particulier en est le syndrome de Capgras qui allie la non reconnaissance des proches à la certitude qu’il s’agit d’imposteurs et que ?quelqu’un d’autre est dans la maison.?

Il semblerait que ces DNC ne soient jamais au début de la maladie et le fait de les trouver à un stade inaugural fait envisager d’autres étiologies de démence.

Lorsque ces troubles apparaissent dans la MA, les troubles cognitifs associés sont déjà à un stade sévère de détérioration.

Ces DNC sont souvent associés à des comportements agressifs ou d’agitation.

les désordres du comportement et de la personnalité

Ces DNC sont très difficiles à supporter pour l’entourage et tout comme les hallucinations, leur sévérité est symptomatique de la gravité de la maladie, ils sont ?des marqueurs de sévérité évolutive voire même de mortalité prématurée.?

– les modifications de la personnalité et des conduites

On peut distinguer les comportements passifs, les comportements d’agitation et les comportements égocentriques.

– les comportements moteurs aberrants

Il s’agit de comportements moteurs explicables ni par les besoins du patient, ni par les troubles cognitifs. Ils revêtent souvent un caractère stérérotypé et là encore ces DNC peu fréquents en début de maladie augmentent avec la sévérité de la démence.

– l’irritabilité, l’agitation et l’agressivité

L’irritabilité est définie comme ?des fluctuations rapides entre frustration et impatience?.

On peut aussi la trouver en début de maladie mais à un stade léger; si elle est marquée à un stade précoce, il faut penser à d’autres étiologies de démence.

L’agitation peut englober différents comportements tels les comportements moteurs aberrants évoqués précédemment et les comportements de fugue.

Les comportements agressifs sont très souvent rencontrés chez les patients et sans doute encore plus chez les anosognosiques. L’agressivité est plus verbale que physique mais on peut se heurter à une violence physique à un stade avancé de la maladie lorsqu’il y a également des délires ou des hallucinations ou lorsque l’on essaie de contraindre le patient à faire quelque chose dont il ne voit pas l’intérêt.

• les perturbations des comportements alimentaires, sexuels

-le déni et l’anosognosie

Le déni des troubles peut apparaître très tôt; il est à distinguer de l’anosognosie par la revendication active du patient de toute pathologie.

Il a été démontré récemment que ?les anosognosies des déficits cognitifs, des déficits neurologiques et des DNC pouvaient être indépendantes.?

Il serait important de pouvoir agir sur les DNC car ils sont très perturbateurs tant pour le malade – en aggravant éventuellement les troubles cognitifs – que pour l’entourage.

On manque d’indications dans la littérature sur leur traitement pour toutes les raisons évoquées précédemment.

Dans les démarches non pharmacologiques, à un stade initial de la maladie, une approche psychothérapique peut être envisagée; à tous les stades, c’est à une prise en charge de type comportementaliste que l’on peut avoir recours.

Les traitements pharmacologiques sont symptomatiques avec l’utilisation d’anti-dépresseurs, d’anxiolytiques et enfin de neuroleptiques lorsque l’on ne peut vraiment faire autrement.

Si les traitements médicamenteux sont inefficaces, l’électroconvulsivothérapie semble avoir des effets positifs mais elle peut entraîner des troubles cognitifs.

L’ hypothèse consécutive aux derniers travaux sur la MA est que les réseaux cognitifs et non cognitifs pourraient être altérés de façon différente au cours de l’évolution.

D.L.
Serge BAKCHINE

Revue de Neuropsychologie, 1998, Vol.8, n°4, 727-758